Naomi est nez de profession. Quand un accident de la route lui fait perdre son odorat, elle perd ses repères. Elle rencontre Scanlon, devine son odeur, tombe amoureuse. Enceinte, elle retrouve l'intégralité de ses sens et doit faire face à une seconde réadaptation. Rien n'est comme elle se l'était imaginé, pas même l'odeur de son mari.
J'adore cette idée. Pas vous ? Construire un roman sur l'odorat est un réel défi relevé haut la main par Keith Scribner. Les meilleurs passages sont ceux qui se rapportent à la description des odeurs ressenties par Naomi. Les sensations sont décrites avec une telle précision et justesse qu'elles sont arrivées jusqu'à mon cerveau et mon nez.
J'ai aimé également le traitement des groupes anarchistes et sécessionnistes. La recherche de sens, le combat désespéré pour une cause, le poids du sentiment d'injustice. Et puis, ce lien maternel qui unit certains personnages. La culpabilité du bonheur, la recherche de repères, les faux-pas qui aident à avancer.
Une écriture créative, par instant poétique et lyrique, un regard acéré et sans complaisance. Malgré quelques longueurs, Keith Scribner dit beaucoup et avec grâce.
Christian Bourgeois, 525 pages, 2012, traduit de l'anglais par Michel Marny
Extrait
« Par le passé, tout comme elle créait des parfums de mémoire, elle avait inventé des odeurs pour Scanlon. Les rares fois où il avait pris une guitare, il sentait l'épicéa et le chêne. Quand, dans le métro, il avait attrapé un type qui avait mis la main dans le sac de Naomi, l'avait plaqué contre la portière avec une poignée de sa chemise avant de le jeter dehors à l'arrêt suivant, elle avait senti de puissantes notes de fond de clou de girofle, de créosote, de mastic à carrosserie et d'huile minérale. Un baiser dans le parc évoquait les feuilles mortes d'érable et le miel. Au lit, sa bouche sur son cou, la poussant du coude et du front, puis son premier élan en elle – tabac sucré et musc. Tandis qu'il ramassait les morceaux d'une femme morose et désœuvrée dans son appartement aux relents aigres, c'était une brise régulière d'ozone, à marée basse, par une nuit chaude. Elle avait inventé des choses si réelles qu'elles étaient devenues son odeur ; elles étaient devenues lui. »
La superbe couverture est de Megan Kathleen McIsaac. Pour découvrir son travail : c'est ici
Pioché chez... Kathel, merci !