« Explorer de nouveaux territoires était l’une des grandes leçons de Bashung »
Avant de se produire ce soir à La Maroquinerie, Arman Méliès revient avec nous sur sa collaboration avec Bashung, son très bel album IV (déjà disponible) et ses disquaires parisiens.
Vous êtes auteur, compositeur, multi-instrumentaliste, vous écrivez aussi pour d’autres artistes, notamment Bashung, on vous en parle toujours ?
Arman Méliès : On m’en parle sans abuser. Quelque part c’est légitime. C’est quand même un honneur pour moi d’avoir travaillé avec cette personne. Ce n’est vraiment pas un sujet qui me dérange. Loin de là.
Vous avez écrit Venus, chanson qui me donne des frissons juste à son évocation, comment est née cette chanson ?
Comment est née cette chanson ?… Sincèrement je ne me rappelle pas trop… On s’était rencontré (ndlr avec Alain Bashung) pas mal de temps auparavant, il m’avait invité à un concert, je savais qu’il aimait bien ce que je faisais, qu’il aimait bien mon disque. Je savais qu’il y avait un terrain favorable pour une collaboration.
Il m’a recontacté à l’époque où il avait enregistré une partie de ce qui devait être Bleu Pétrole mais finalement il avait tout jeté. Il se retrouvait sans aucune matière pour son prochain disque. On s’est rencontré, il m’a dit ce qu’il voulait. Sa volonté première sur ce disque c’était de chanter à nouveau. Il m’a dit que L’Imprudence (qui est pour moi un chef d’œuvre absolu) était quelque part un peu trop abstrait. Cela a été ressenti comme une œuvre un peu hermétique par le public. Il voulait revenir vers quelque chose de plus immédiat, de plus sensuel. Sa volonté était de chanter à nouveau vraiment.
Portrait par Delphine Ghosarossian
Suite à cette conversation, je suis retourné dans mon petit studio. J’ai pris ma guitare, mon sampler, mon ordinateur et j’ai commencé à travailler sur plein d’idées. Ce titre là était dans les premiers. J’ai écrit pas mal d’ébauches, même si après, tous les titres n’ont pas aboutis. Il y avait, la seconde fois que je suis allé voir Alain, six ou sept titres en chantier. Il y avait ce titre là. Pour celui-ci par rapport aux autres qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’en ai aucune idée, si ce n’est que je savais que ce titre là me plaisait beaucoup. Je savais que s’il ne le prenait pas, ce titre là se retrouverait sur mon disque. Car c’était l’époque où je travaillais aussi sur l’écriture du mien, sur Casino. Je m’étais dis : « ce titre là, soit il le prend, soit c’est pour mon disque. » Il y avait Diva aussi, qui pour le coup s’est retrouvé sur mon disque. C’était les deux titres des premières sessions pour lesquels je me suis dit : « il se passe vraiment quelque chose. »
Par ailleurs Alain avait une chanson de Gérard Manset, une musique et un texte. Il aimait beaucoup le texte mais n’aimait pas trop la musique. Il l’avait de coté. Il a essayé différentes choses sur ma musique et ce texte là collait. Quand je suis allé le revoir, il m’a dit : « Il faut que je te fasse écouter quelque chose, j’ai enregistré ça vite fait, j’espère que ça va te plaire, car c’est une piste qu’est pas mal. » Il chantait le texte de Manset sur ma musique. Ca a donné Vénus, c’était juste le rêve ultime.
Sur votre album IV, il y a un virage plus de synthétique, comment est venue cette orientation ? Ecrivez-vous seul ou avec d’autres acolytes ?
L’écriture du disque s’est vraiment faite seul, comme d’habitude. En même temps j’ai toujours ce rêve de travailler avec des gens dès le départ de l’écriture. C’est quelque chose qui me plairait, que ce soit pour la musique, ou pour les textes.
Lorsque vous étiez en groupe c’était aussi un travail solitaire ?
Oui, après on arrangeait en répétitions, tous ensemble.
J’ai donc toujours ce fantasme, mais qui reste de l’ordre du fantasme jusqu’à présent. Parce que soit entre temps j’ai déjà des idées qui sont là de façon plus ou moins élaborées, soit aussi sans doute parce que j’ai encore cette volonté de vouloir tout contrôler, j’ai encore un peu de mal à laisser un petit peu de liberté aux autres pour qu’ils puissent triturer tout ça.
Ca s’est donc fait une nouvelle fois tout seul. Dans un premier temps à la guitare, que j’ai très vite abandonnée pour me mettre en danger, pour essayer de trouver quelque chose qui faisait que je me renouvelais. J’avais cette idée, dès le départ, de faire un album qui soit très synthétique dans les sonorités. C’était quelque chose que j’avais un petit peu développé sur Casino. C’était un terrain de jeu qui m’excitait énormément. Il y a un coté matière brut qu’on peut sculpter qui me plaisait beaucoup. Même s’il y a une certaine froideur dans les sons synthétiques, je trouve que c’est quelque chose qui peut être extrêmement poétique.
Je m’étais donc dit très vite que je voulais utiliser des synthétiseurs 1- parce que je ne maitrise pas trop, du coup ça va être assez marrant, ça va m’amener dans des directions que je n’aurais pas prises avec la guitare, 2- parce que ces sonorités là me plaisent, me séduisent, je pense que le résultat sera probant.
Explorer de nouveaux territoires était l’une des grandes leçons de Bashung. Toujours essayer d’aller voir un petit peu ailleurs, de se renouveler en s’influençant de mondes qui ne sont pas forcément les nôtres. Moi, je viens plutôt du folk je trouvais intéressant d’aller voir vers l’électronique, la new-wave, le post-punk des années 80, le Krautrock des années 70, toutes ces choses là pour renouveler un peu mon écriture.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Silvaplana / Röcken / Schwarzwasser / Der Antichrist ? Pourquoi et comment décider de faire une chanson de 10 minutes ?
Comme toutes les chansons le texte vient après, comme le titre. Par contre Silvaplana est venu assez vite. Tout le texte n’était pas là, mais au moins quelques bribes du couplet, le Silvaplana du refrain et du coup le fait d’appeler cette chansons Silvaplana même à l’état d’ébauche c’était déjà là.
Je ne sais pas comment viennent les idées… J’avais en gros le corps de la chanson, ce couplet refrain en ternaire assez mélancolique, assez calme que j’avais envie d’emmener ailleurs. Le peu de mots que j’utilisais dans cette chanson m’évoquaient une sorte de transe que je voulais créer.
Le fait que cela soit en ternaire et le fait que je veuille faire quelque chose de relativement orchestré, je me suis rendu compte assez vite que je pouvais retomber sur quelque chose que j’avais fait sur la fin de Diva. Du coup, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir ailleurs. Il fallait que j’aille vers quelque chose qui soit plus épique, de l’ordre de la transe, de la répétition, quelque chose qui soit assez rapide. Ca a donné cette dernière partie qui fait assez Krautrock. Ce n’était pas ma volonté première, je ne me suis pas dit « tient on va faire une référence à cette musique. »
Quant au format de 10 minutes ?
Je me suis retrouvé avec quelque chose de relativement long. J’avais par ailleurs une idée d’introduction. Curieusement l’idée d’introduction, je l’avais depuis le départ mais je ne l’ai travaillée qu’à la fin en ayant déjà le corps de la chanson puis toute la fin. Ce qui me permettait en ayant déjà la fin, de raccorder les wagons.
La durée c’est un pur hasard. Le morceau, même en trois parties, n’aurait pu faire que six minutes. Il s’est trouvé que ça en faisait dix ou onze…
Vous avez eu une liberté totale ?
Oui, ca a toujours été le cas, quelque soit la maison de disque avec laquelle j’ai travaillé, il n’y a jamais eu de souci.
Peut-être qu’avec une maison de disque un peu plus regardante ou un petit peu plus intrusive on m’aurait dit : « ce morceau là ce serait bien de le mettre en fin de disque, comme une sorte de final un petit peu plus libre. » Moi je tenais absolument à ce que ce titre soit au milieu de l’album parce qu’il représentait la colonne vertébrale du disque, il résumait beaucoup de chose dans le disque.
La maison de disque avec laquelle je travaille actuellement qui s’appelle At(h)ome était tout à fait d’accord et n’y a vu aucun problème.
Pourquoi cette attaque des artistes français dans votre clip du titre Mon Plus Bel Incendie ?
Parce que je trouvais ça drôle. Je ne sais plus comment l’idée m’est venue, mais j’ai toujours un rapport un petit peu difficile avec la chanson. On m’a toujours catalogué comme un artiste faisant partie de cette grande famille de la chanson française, hors, j’en écoute très peu. Dans mes influences il n’y a quasiment pas de chanteurs français. Il y a quelques gens que j’admire énormément. Dans les anciens je cite souvent Léo Ferré, pour les textes Manset ou Murat, qui sont pour moi des gens qui écrivent de façon admirable. Mais tous ces gens là n’ont pas influencé ma musique. Après dans les gens en activité, qui à la limite pourraient se rapprocher un peu plus de mon univers, comme Dominique A, Bashung ou Christophe ont été ou sont très importants dans mon parcours, mais pareil ce sont des gens que j’admire mais qui ne m’ont pas influencé. Par ailleurs quand on parle de chanson française justement on ne parle pas de ces gens là. On va parler de Brel, de Brassens, chez les anciens, on va parler de Julien Clerc, Cali, Bénabar, hors ce n’est pas du tout mon monde musical. Il y a toujours eu comme ça une sorte de surprise à être catalogué dans cette famille dans laquelle je ne me reconnais pas beaucoup.
Il y avait donc cette idée, cette famille vous allez voir ce que vous allez voir, je vais lui régler son compte. Ce qui est paradoxale c’est que j’ai proposé à des gens que j’aime beaucoup, la plupart sont des amis et les quelques autres sont des gens que je connaissais vaguement, mais que j’estimais énormément. Par exemple Benjamin Biolay je le connais très peu, on s’est croisé une fois en concert il y a très longtemps, mais c’est quelqu’un que j’estime énormément, qui est l’un des grands de la musique en France. Donc au final je me retrouve à supprimer dans ce clip des gens que j’aime beaucoup, alors que ce n’était pas à la base le propos du clip. C’était rigolo et c’était très bien de se retrouver avec tous ces gens dont je me sens proche pour faire ce truc assez ironique.
Est-ce que vous utilisez internet dans votre activité musicale ?
Je lis beaucoup sur internet, les quotidiens ou magazines qu’on peut trouver par ailleurs sous format papier. Je fouine beaucoup pour découvrir de la musique, découvrir des artistes. Je suis scotché jour et nuit pour tout et n’importe quoi. C’est quelque chose qui est important dans la façon dont je me nourris de musique mais aussi de lecture, de visuel. J’ai besoin d’être en permanence alimenté pour que ça régénère mon processus créatif, que ça me donne envie de créer de nouvelles choses. Ce n’est pas uniquement internet, je vais aussi voir des concerts, j’achète beaucoup de disques, je suis un fan de disques vinyles, donc j’en achète beaucoup. Je vais voir des expos…
Vos bonnes adresses pour les vinyles ?
Juste à coté il y a les Boutiques Sonores, qui est une très très belle boutique, sinon je vais beaucoup à Nationale 7, où ils vendent aussi des meubles qui sont magnifiques, Ground Zéro, Le Souffle Continu, qui est un disquaire un petit peu plus spé mais où il y a énormément de chose. Chez Gilbert aussi, il y a un rayon vinyles qui est assez monstrueux. J’y traine assez souvent. Il y en a beaucoup sur Paris mine de rien.
Merci.