S’imprégner de ton souvenir et te retrouver dans la ville

Publié le 13 mai 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

(Ma participation à l’atelier d’écriture qui consiste à illustrer la photo ci-dessous)

Il y a quelques jours en ouvrant le coffre en camphre, pour chercher une tenue pour ma petite-fille, la vie m’a servi une de ses surprises, de celles qui passent par les sensations. L’essence du bois, contenait plus qu’une simple odeur capiteuse et plaisante, elle charriait le souvenir d’un pays, d’une lumière et d’une époque. D’un coffre hérité de ma mère, comme une cassette ancienne, je détenais son patrimoine estimable de saris précieux. La plupart en soie chatoyante, certains étaient peints à la main, d’autres mêlés de fils d’or, et tous avaient une valeur particulière, une histoire.

Je me revoyais arpenter les rues de Paris. Définir des itinéraires, des voies à explorer, pour découvrir toutes les sinuosités qu’offrait la ville. C’était un cadeau de vivre à Paris et d’avoir l’occasion de voir les choses sous un angle semblable. Les années avaient fini par passer comme des vagues souples, dessinées avec perfection, s’ourlant d’événements inattendus, lissant sur leurs passages les aspérités, les bonnes choses et les moins bonnes.

Etre enfin maman avait illuminé mon existence, et avoir la chance d’être grand-mère m’avait redonné un souffle m’attribuant un nouveau rôle. J’aimais être « Amachie », la grand-mère maternelle en tamoul. Avec ma petite fille, nous partagions certaines passions, la créativité, l’amour des lieux et des rencontres. Elle appréciait ses origines, et elle aimait s’entrainer à exprimer ses émotions par la danse. A l’époque, c’était le chemin que j’avais trouvé avec ardeur pour m’exprimer pleinement dans ma complétude.

Je suis restée accroupie au bord du coffre, en la regardant partir dans la pièce voisine avec la tenue que je lui avais donnée. J’ai humé l’effluve, en remplissant mes poumons du souvenir de ma mère, de ces années de danse, de cette époque où la ville accueillait chaque jour mes pas. La main sur la pile de tissus, je me revoyais remonter la rue du Temple, jeter un œil en arrière vers la place de l’Hôtel de Ville, voir scintiller les jets d’eau sous les rayons parfois rares du soleil. Je voyais les endroits sur lesquels je posais mon regard, le toit de l’immeuble recouvert d’un graffiti, le linge qui séchait sur le toit d’un autre, l’angle si particulier sur les Archives Nationales que l’on pouvait avoir en se baissant sur le trottoir, les endroits secrets derrière les portes cochères, ou les lumières changeantes depuis les salles de danse du Centre du Marais, qui parfois dévoilaient l’architecture colorée du Centre Georges Pompidou.

Les années avaient marqué de leur poids, les jointures de mon corps s’étaient verrouillées par endroits. J’avais envie comme à l’époque savourer des plaisirs simples : une glace en sortant de la danse, un diabolo fraise, une photo volée, un texte ressenti avant de prendre corps sculpté par l’assemblage des mots. J’ai saisi mon téléphone et j’ai convenu le plus vite possible d’un rendez-vous avec ma soeur pour le lendemain. Notre écart d’âge n’était plus visible, nous étions à rides égales. Toutes les deux satisfaites de nos vies. Le lendemain, à la station de métro, mon regard s’est aventuré dans la rue du Prévôt pour en apprécier son étroitesse, j’ai ensuite pris la direction opposée, en remontant la rue Pavée, tournant à gauche dans la rue des Rosiers. J’ai souris en pensant à ma maman, nous aimions les mêmes choses, nous les exprimions de la même manière. Elle était déjà dans le salon de thé, nous nous fîmes la bise, avant de sourire en regardant la table à desserts. Je devinais à son regard, son intention de commander la tarte au citron, dont les parts impressionnaient toujours par leur hauteur. Le serveur posa les assiettes sur la table, et avec elles, la théière. Avec cérémonie, je me levais pour servir le breuvage que notre mère aimait tellement, et dont la consommation s’était ritualisée. Dans mon geste, je pensais ce qu’elle ce dont elle nous avait abreuvé. A notre tour, nous avions pu transmettre des valeurs et apaiser la soif de savoir des nôtres.