Roger est un orfèvre de la nouvelle. Son crédo est celui des petites gens, de ces vies minuscules mises en lumière avec sensibilité (Carver et Michon, encore). Son premier roman, Portraits d’automne, paru au Dilettant en 1999 et réédité en poche (Folio) lui a valu les éloges de la critique et un passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot. Tout ce que j’ai perdu m’appartient (éd. du petit véhicule) reste mon recueil de nouvelles préféré.
Il m’a confié deux nouvelles à publier sur ce blog. Autant vous dire que je n’en suis pas peu fier. La première est très courte, vous pouvez la découvrir ci-dessous. La seconde, beaucoup plus longue, sera mise en ligne la semaine prochaine. J’espère que vous prendrez le temps de les découvrir. Il me semble que ça en vaut la peine...
La foudre, Volodia Voilà. Je dirai simplement les choses, comme elles se sont passées. Pas de trémolos dans la voix ni de grandes orgues. Rien que la lueur du matin qui, ce jour-là, découpait autrement l'horizon. On ne peut s'y préparer, on ne peut s'en protéger. Rien d'autre que prier que cela n'arrive pas. Jamais. Quand la chose est arrivée – dans notre langue on dit le coup de foudre (udar groma) mais l'expression signifie autre chose pour vous – quand c'est arrivé, j'ai été désigné pour faire partie de la première équipe. Il neigeait tous les jours et la plaine autour de la centrale était une page blanche sur laquelle, interminablement, les chenilles réécrivaient leurs hiéroglyphes. De toutes ces années, nous n'avions rien fait d'autre que de surveiller, la centrale, les environs, les terroristes surtout. À l'atelier, nous bichonnions les engins. Nous avions des consignes très strictes pour tous les cas de figure mais celui-là, personne ne l'avait sérieusement envisagé. Lors de la construction, la zone avait été vidée de tous ses habitants, à cause des secrets militaires, le Kremlin était un peu paranoïaque là-dessus. Il n'était resté que Vladimir et sa femme. Ils n'avaient plus d'âge. Je les avais toujours connus ici, dans leur baraque minable et sans confort. Ils vivaient comme dans le temps. Quand on a construit la centrale, ils ont été les seuls à refuser de partir à la ville. Lui, Vladimir, il était quelqu'un ! Je ne connais pas très bien l'histoire mais à Stalingrad il avait eu un comportement héroïque. Depuis, il boitait et on lui fichait la paix. Là, tout est allé si vite après l'explosion… Je suis venu lui dire On a reçu des ordres, Volodia. Tu as une heure, pas plus. En attendant, le docteur a donné ces cachets. Je repasse vous prendre. Sa femme a posé la main sur son épaule, elle pleurait presque. Mais les personnes âgées ont reçu tellement de coups dans leur vie que les mots leur sont rentrés dans la gorge et les larmes dans les yeux. Volodia a simplement secoué la tête, Je crois qu'on va rester, petit, a-t-il dit. Il y avait de la tendresse entre nous, il m'avait connu gamin, il m'appelait petit et moi, je l'appelais Volodia. Quand je suis repassé, il avait fait le plus dur : il avait étranglé sa femme de ses propres mains. Il lui avait mis un bouquet, trois fleurs, entre les doigts. Il a dit Aide-moi, petit. Il avait serré la corde autour du cou mais le plafond était bas. Alors je l'ai saisi à la taille et brusquement j'ai tiré de toutes mes forces en chialant comme un môme.
Roger Wallet