La protection du secret des sources, affaire de déontologie journalistique par excellence, est souvent réduite - ne serait-ce que dans le langage courant - à la protection des sources. Un raccourci qui traduit un certain flou sur la question. Les réseaux sociaux constituent-ils une faille à cette protection, pourtant indispensable à l'obtention et la diffusion de l'information ?
"Une source" ou "un témoignage", justement ? La question a le mérite de souligner la différence entre un individu pouvant témoigner d'une situation personnelle ou concernant son entourage et la véritable source qui, elle, aurait un secret. Selon Jean-Michel Fabre, "la protection des sources s’arrête lorsqu’il n’y a pas de secret". Il souligne le fait que la source doit également se protéger et ne pas diffuser à tout va des informations : "le journaliste est responsable mais pas coupable si une source le follow [sur Twitter]".
En effet, l’utilisation des réseaux sociaux, qui permet de combler la distance entre les journalistes et leurs lecteurs et d’instaurer une relation plus directe, peut provoquer des soupçons sur le rapport de telles ou telles personnes avec un journaliste, pouvant ainsi mettre en danger la source et l’information. Dominique Pradalié secrétaire générale du syndicat national des journalistes et rédactrice à France 2, met en garde : "Les réseaux sociaux ont un principe de base qui est le partage. Il y a une méconnaissance des vices et avantages des réseaux sociaux même de la part des journalistes.Si vous criez devant une personne dans la rue ce n’est pas pareil que devant 50". La possibilité d’avoir un compte semi-public sur Facebook et de privatiser son compte Twitter n’y change rien. Pour Aurélie Chabar, "aucune technologie ne peut permettre de garantir à 100% l’anonymat. Il est illusoire de penser qu’on peut être anonyme sur les réseaux".
Des propos avec lesquels Jean-Marc Manach, journaliste spécialiste de la protection de la vie privée et du secret des sources, n’est pas en accord : "De la même manière que vous n’irez pas à la guerre sans gilet pare-balle, quand vous contactez une source le minimum c’est de le protéger concrètement pour que ça ne se retourne pas contre lui". Il souligne la nécessité de chiffrer sa communication et insiste sur l’importance, pour le journaliste de contrôler son ordinateur, car le risque principal est de se faire pirater. Pour lui, "a priori la logique n’est pas d’utiliser Twitter ou Facebook pour contacter des sources ou alors par exception et pas pour une affaire sensible". Gérard Davet, journaliste au Monde et victime de l’affaire dite des fadettes confirme : "Je ne pense pas que Twitter ou Facebook soient une faille pour la protection des sources parce qu’il faut être débile pour utiliser Twitter pour un renseignement confidentiel".
"Quand la source est grillée, le dommage est fait et il est irréparable"
Gérard Davet et un téléphone (sur le blog d'Antoine Laurent) Encore une différence entre le simple témoignage et les informations d'une source. Le premier mettant en avant une situation parfois personnelle pouvant intéressée le grand public n'impliquerait pas la protection de l'informateur alors que la source proprement dite, pouvant dévoiler un scandale, se mettrait en danger et nécessiterait de ce fait une protection. Pour Jean-Marc Manach l’important est "de faire de telle sorte qu’on ne remonte pas à la source". Il ajoute que même si une source suit le journaliste sur Twitter et qu’on procède à l’analyse des followers de ce dernier, il n’y aura pas de preuve. "A priori il n’y a pas vraiment de risque. Dans la mesure où si la personne qui témoigne court un risque il ne va pas utiliser Twitter ou Facebook pour contacter un journaliste", résume-t-il. Gérard Davet rejoint ses propos, un message sur Facebook "n’engage à rien. Démarcher quelqu’un ne pose pas de problème, il faut pouvoir prouver qu’il y a eu transmission d’information".Bien que sous le coup de la loi informatique et liberté de 1981, Vox Forte a une rubrique déontologie qui explique que les informations concernant chaque source sont confidentielles jusqu’à ce qu'elle "pose sa candidature à une recherche de journaliste, […] poste un portrait, un scoop ou une proposition de sujet". Un stockage de données sur chaque "source" qui reviennent au journaliste une fois validation effectuée. Toujours selon cette rubrique, dès que le journaliste a accès aux informations de la source "c’est à lui (elle) qu’il incombe de faire respecter la protection de sa source". Jean-Michel Fabre explique, "Nous, on n’est pas journalistes, on applique la plus proche déontologie [loi informatique et liberté].Tout simplement dès lors qu’on a des informations personnelles, on a un devoir de protection." Jean-Marc Manach rassure : "les gens qui ont des choses à dire, quelqu’un qui a un vrai scandale ne va pas appeler Vox Forte mais un journaliste qui est calé sur le sujet ou qu’il connait".
En attendant, la loi du 4 janvier 2010, qui protège le secret des sources, ne prévoit rien dans le cas où cette protection n’a pas été effective. Selon Gérard Davet, "il faudrait une loi assortie d’une sanction. Il faudrait qu’il soit complètement défendu d’attaquer le secret des sources sauf dans des cas extrêmes c’est-à-dire qui porteraient atteinte à la vie de quelqu’un ou au droit commun", car, ajoute Dominique Pradalié, "Quand la source est grillée, le dommage est fait et il est irréparable".