J’ai toujours été très mauvaise pour exprimer mes sentiments, surtout sur un blog. Le billet personnel, sur un sujet personnel, finit par donner ceci. Et encore dites vous que j’ai mis dix ans à arriver à pondre ce satané billet et que je me suis autocongratulée de mettre un titre aussi clair qui selon moi disait tout sans rentrer dans les détails. (pathétique on a dit, oui).
La vérité est que je ne sais pas quoi foutre avec mon histoire familiale. En ce moment je vois partout des signes. Un vieil article parlant des excuses de la SNCF aux déportés arrive dans ma TL je ne sais comment. Je parle de peut-être me faire tatouer le numéro de déporté de mon père, je vois le lendemain un article sur le huffington sur ce sujet. Tout semble systématiquement me ramener à parler de la déportation de mon père la veille des 15 ans de sa mort.
Sujet que j’évite depuis je ne sais combien d’années; où j’oscille entre une sidération complète (pas un déni, juste je ne veux rien voir, rien lire, rien entendre sur le sujet) et des bonnes grosses blagues que ne renierait pas Le Pen. Blagues que je m’autorise et « interdis » à quasi tout le monde d’ailleurs.
Je ne suis jamais entrée dans aucun musée sur la déportation ; la dernière fois où j’ai eu un vague contact avec le sujet c’est à la synagogue Pinkas à Prague vers 1995 et cela s’est très mal passé. Depuis j’évite, je contourne. J’écris des trucs, j’appuie sur la croix, fermer sans enregistrer, le tout dans la poche avec une couette par dessus.
Je ne sais pas comment on gère un trauma qui n’est pas le mien et qui s’est passé si longtemps avant ma naissance. Je suis allée voir des psys, sans aucun hasard j’ai chaque fois choisi des psys juifs ashkénazes à peu près aussi à l’aise que moi sur le sujet. Le dernier m’avait dit « oh vous savez moi il m’a fallu 50 ans pour accepter que j’avais le droit d’être en vie. » Ok. Pas gagné donc. On va passer à la couette triple épaisseur je crois.
Mon père passait son temps à regarder des émissions sur la seconde guerre mondiale ; je n’ai jamais vraiment compris pourquoi et cela n’était pas quelqu’un à qui j’aurais pu en demander les raisons. Chacun a sa manière de gérer un trauma ; je n’ai pas à juger mais j’aurais aimé comprendre. Espérait-il comprendre quelque chose ? Trouver des raisons ? J’ai tenté de regarder, il y a deux ans environ, un reportage sur Barbie, je suis allée flinguer une porte, j’en ai conclu que cela n’était pas le moment.
Tous les jours, tous les bons dieux de jours, je lis des connards dire qu’il y en a marre de la « repentance » à propos de la déportation, de l’esclavage ou de la colonisation. Au delà d’un propos plus politique, j’ai envie de dire qu’on piétine chaque fois la mémoire de mon père avec ce genre de merde (ainsi évidemment que toutes les victimes des événements cités bien sûr mais mon billet de ce jour est, vous l’aurez compris, quelque peu égocentré).
Je ne me suis jamais réjouie de la mort de quelqu’un ; ni de Barbie, ni de Pinochet, ni de qui que ce soit. Pourtant je crois que le jour où Faurisson claquera je reprendrai une part de tarte. Cela parait évident de le dire mais pourtant peut-être nécessaire ; la vie de mon père a été sans aucun doute gâchée par sa déportation. La résilience vantée par Cyrulnik, il ne l’a pas connue. Voir cet homme, qui plus est remis sur le devant de la scène par quelques salopards, nier ses souffrances est plus que je peux en supporter. Je ne sais pas si des déportés ont écrit sur l’après-déportation (et non je ne veux pas de références, merci) et surtout sur leurs souffrances. je pense qu’on ne leur en a pas laissé la place ; après tout c’était la victoire et quelques cadavres morts et vivants n’allaient pas gâcher la liesse. Et puis cette génération là ne parlait pas. Enfin mon père, lui, ne parlait pas.
J’ai des regrets. Regrets inutiles car je n’étais pas en état de poser des questions quand il était encore là et qu’il n’était pas en état d’y répondre. Mais des regrets tout de même. Une fois j’étais gamine, je l’ai poussé dans le dos, pour rigoler, comme ca. Il s’est retourné et j’ai vu dans ses yeux qu’il n’était plus là, qu’il pouvait me tuer en cet instant là. Un quart de seconde. Cela m’a rappelé la schlague, m’a-t-il dit. Puis il s’est enfermé dans sa chambre. Et j’ai eu tellement honte.
Alors hier j’ai fait un pas. J’ai écrit au service historique de la Défense pour tenter d’obtenir son dossier. Je ne sais ce qu’il contiendra, s’il existe.