A l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée à la Cinémathèque Française, petit retour sur l’œuvre cinématographique de l’un des plus grand perfectionnistes du cinéma français, chef de file de la Nouvelle Vague : Monsieur Jacques Demy.
« Je préfère idéaliser le réel sinon pourquoi aller au cinéma », disait Jacques Demy en 1964 dans une interview qu’il accordait au journal Le Monde. Idéalisé, oui il l’est, ce réel où l’amour ne meurt jamais (Lola), où le destin est érigé en maître (Les demoiselles de Rochefort), où les comtes prennent vie (Peau d’âne) et où le merveilleux est mis en scène jusque dans les couleurs acidulées des papiers peints. Au fond, on aurait presque envie de dire de Jacques Demy qu’il est un cinéaste qui a su conserver naïve son âme d’enfant. Et pour ce Nantais, fils d’un père garagiste et d’une mère coiffeuse, cela se traduit par un univers magique empli de marins, de forains, de fée des Lilas, de danseuses, d’ouvriers, de jumelles excentriques, d’artistes rêveurs et de marchands de télé.
Le premier des films à voir de Demy, est celui qui l’a fait connaître du grand public en 1962: Lola. Lola, interprétée par la délicieuse Anouck Aimée, est une chanteuse de cabaret, qui aime les marins de passage et élève seule son petit garçon en attendant le retour du père de ce dernier, qui est aussi le seul homme qu’elle a jamais aimé. Ce film, tout en noir et blanc, dépeint, comme dans un rêve à la fois trop sombre et trop lumineux, le destin de ces femmes, mères tristes, éternellement insatisfaites, marquées par la vie et se sentant victimes de l’égoïsme des hommes, qu’on retrouvera tout au long de l’œuvre de Demy. Toutes les époques de la vie d’une femme sont réunies dans le personnage de Lola qui évolue dans ce ballet, apparaissant tantôt pute, tantôt mère, mais demeurant toujours fidèle à l’homme qui l’a abandonnée. Quelques années plus tard, Demy s’installera aux Etats-Unis où il réalisera, pour la Columbia, la suite des aventures de Lola en Californie dans Model Shop.
Si dès son premier long-métrage Jacques Demy nous montre bien que, pour lui, le cinéma est indissociable de la musique, deux années plus tard il se lance, avec le compositeur Michel Legrand, dans un pari osé ; celui de réaliser un film entièrement chanté ! Ce sera Les parapluies de Cherbourg, chef d’œuvre de Demy s’il n’en n’est qu’un, qui révélera Catherine Deneuve et décrochera la Palme d’or à Cannes en 1964. De ce film, Demy dira qu’ « un film léger parlant de choses graves vaut mieux qu’un film grave parlant de choses légères ». En effet, si Les parapluies est une comédie 100% chantée, aux couleurs acidulées et aux décors enchantés, il n’en demeure pas moins que le film nous conte le destin tragique de Geneviève, séparée de son amant Guy par la guerre d’Algérie. Enceinte et raisonnée par sa mère, elle renonce à son amour pour Guy et épouse un riche bijoutier. Tragédie donc plutôt que comédie, mais tragédie enchantée, au goût doux amer, et dans laquelle Legrand signe son plus beau thème : celui de la chanson des amants où Deneuve, plus sublime que jamais, déclare son amour à Guy « Mais je ne pourrai jamais vivre sans toi, je ne pourrai pas, ne pars pas j’en mourrai…. »
Le trio Demy/Legrand/Deneuve connait un second succès en 1967 avec la mythique comédie musicale Les demoiselles de Rochefort dans laquelle Delphine et Solange, deux jumelles, aspirent à monter à Paris afin de vivre de musique et de rencontrer le grand amour. La chance se présente justement quand des forains débarquent en ville et un marin de passage dans le bar que tient la mère des jumelles est à la recherche de son idéal féminin ! Légère et colorée, cette comédie musicale est « Une énorme pilule de bonheur, appétissante et facile à croquer », comme l’écrivait Jean de Baroncelli dans Le Monde en 1967. En apparence du moins, puisque, une fois n’est pas coutume, la comédie musicale laisse rapidement place au réalisme mélancolique…
Le monde « en-chanté » de Jacques Demy, comme il l’appelle lui-même, est peut-être le mieux incarné dans son film Peau d’âne sorti en 1970. Cette réadaptation du conte éponyme est un véritable ravissement pour les yeux mais aussi pour les oreilles, particulièrement quand arrive la scène de la recette du cake d’amour ou celle des conseils de la fée Lilas. Le cinéaste nantais nous montre alors qu’il est un conteur hors pair, qui éblouit les âmes enfantines, sans pour autant édulcorer la part obscure du récit original. Dans la foulée s’en suivront la revisite de la légende du Joueur de flûte (1972), du manga Lady Oscar (1978) ou du mythe d’Orphée avec Parking (1985). L’utopisme et le féministe légendaire qui habitent Demy seront poussés à l’extrême en 1973 avec L’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune où il nous conte l’histoire de Mastroianni, un homme qui tombe enceint.
Nonobstant Trois places pour le 26, son ultime long-métrage (1988) avec Yves Montant, la boucle est pour ainsi dire bouclée en 1982 avec Une chambre en ville. Une chambre en ville apparaît comme le film final de l’œuvre de Demy car il est nourri de références du reste de l’œuvre du réalisateur. Ainsi, comme Les Parapluies de Cherbourg, il est entièrement chanté et comme Lola, il se passe à Nantes. Surtout, Demy multiplie ici les auto-citations et se plaît à refaire naître des personnages, comme c’est le cas dans le magasin de télévisions, où on découvre qu’un appareil appartenant à Mme Desnoyers, personnage de Lola, est en réparation. Le satyre en imperméable de ce même film apparaît dès le début, lorsque Edith et Guilbaud se croisent sans se remarquer, écho au chassé-croisé amoureux, dicté par le hasard, de Catherine Deneuve et Jacques Perrin dans Les Demoiselles de Rochefort. La multiplication des clins d’œil crée un effet de continuité certain, comme un hommage que Demy rendrait lui-même à tous ces films qu’il a aimé, créé et qui l’ont amené au succès. Toutefois, parce qu’il met en lumière une part beaucoup plus sombre du cinéaste, Une chambre en ville apparaît peut-être d’avantage comme un complément nécessaire, essentiel à la compréhension du reste de l’œuvre de Demy. A tord boudé par le public, ce film a été largement soutenu par les professionnels du milieu et les critiques, allant même jusqu’à être 9 fois nommés aux Oscars de 1983.
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