Et le vénérable père de saisir son dentier dans ses mains et de me le montrer avec un air malicieux. Soudain, j'ai cru rêver tant le spectacle était inattendu ! L'humanité, l'humour et la bonté du fondateur d'Emmaüs me sont des guides. J'ai envie de lui faire un clin d'oeil à chaque fois que je sacrifie la profondeur d'une rencontre sur l'autel des choses prétendument urgentes. À propos, je note qu'aujourd'hui, on ne dit plus « À bientôt », mais «À très vite ! ». Cela sonne comme une sommation. Et il nous faut répondre à tant de courriels toute affaire cessante si l'on ne veut pas passer pour un coeur desséché, un malappris. Hâtons-nous de faire une salutaire halte et de stopper net la précipitation pour nourrir d'authentiques relations à l'autre ! Et que dire de ces amis Facebook ? Seront-ils toujours en ligne à l'heure de l'épreuve ?
Pour m'unir à Dieu, comme l'abbé Pierre, j'ai à cœur d'éviter tout gaspillage. Pour me perdre dans l'absolu, je dois me garder de m'épuiser dans l'inutile. En somme, l'abbé Pierre, fragile et puissant à la fois, m'invite à profiter du monde comme un mourant. Savoir que tout reste précaire et connaître la valeur de la vie sans m'enfermer dans quoi que ce soit. Récemment, un ami me disait que lorsque le téléphone sonne, les mots sont presque invariablement les mêmes :
« Bonjour, comment ça va ? À propos, tu ne pourrais pas me rendre un service ?... »
Je regarde mon portable, je pense à l'abbé Pierre et me propose d'y mettre un peu de gratuité. Et si, désormais, j'appelais une personne par jour juste pour lui demander comment elle va.
Alexandre Jollien
(source : La Vie)
J'ajoute à ce beau texte que s'éloigner de l'inutile, c'est aussi apprendre à se respecter...