Traitement des Déchets d’Equipements Electriques et Electroniques (DEEE) par les Ateliers du Bocage:

Publié le 11 mai 2013 par Ticanalyste

NDLR: Article rédigé en décembre 2009

DEEE, D3E, PEEFV, e-déchets, technodéchets… Ces mots vous évoquent-ils quelque chose de particulier? Surtout en cette période où tous les citoyens de la planète ont leur attention rivée sur les conclusions du  sommet de Copenhague qui s’est déroulé du 07 au 18 décembre 2009. Cette Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques et la protection de l’environnement, a été une occasion propice pour mettre la lumière sur une ONG, qui de par sa conception de la société de l’information (réduction de la fracture numérique et protection de l’environnement) est devenue une pionnière et un leader dans son domaine d’activité au Burkina Faso. Depuis novembre 2005, l’ONG « Les Ateliers du Bocage » tente, contre les âpres difficultés du terrain de procéder à une gestion écologique des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). Comprenez par gestion écologique la collecte, le tri, le traitement, la valorisation et le réemploi de ces déchets. Cette dernière activité représente une des stratégies de l’ONG pour la réduction de la fracture numérique géographique.

 Le lundi 7 décembre, date du début de COP 15[1], nous avons rendu visite à cet éco- organisme dirigé par M. SANOU Alassane – que nous remercions à l’occasion pour sa très grande et longue disponibilité – nous a éclairé sur les activités et les projets  de sa structure pour en savoir plus sur ses activités, ses difficultés, ses acquis et ses projets.

Née en Novembre 2005, de l’amitié entre trois éco citoyens (Bernard ARRU – directeur général Ateliers du Bocage France, Emmanuel SIAMBO – Président Emmaüs Solidarité Ouaga, Conseiller Afrique de Emmaüs international, Jean-Yves TAILLANDIER – Ex-Chef de projet aux Ateliers du Bocage Ouaga);  l’ONG « LES ATELIERS DU BOCAGE » située au secteur 17 de Ouagadougou est membre d’Emmaüs France. Elle porte le même nom et mène les mêmes activités que la structure mère située en France. « Les Ateliers du Bocage »  est un centre de recyclage et de dépollution du matériel informatique et de télécommunication en fin de vie afin de favoriser une gestion écologique et saine des déchets issus de ce type de matériel. Pour le respect strict des dispositions réglementaires en matière de sauvegarde de l’environnement, les Ateliers du Bocage ne rejette aucun déchet dangereux dans les déchetteries du Faso. Les pièces potentiellement dangereuses (circuits imprimés et moniteurs, par exemple) ne pouvant pas actuellement être traitées au Burkina Faso sont expédiées en France aux Ateliers du Bocage (structure mère) pour y être recyclées.

Cette ONG, aux activités s’inscrivant dans l’actualité du moment compte en son sein huit (08) personnes, toutes sensibilisées aux questions écologiques. Ces quatre femmes et hommes sont  repartis dans les tâches tenant compte de la parité entre les sexes. Cette parité est respectée même dans les activités techniques telles que la maintenance informatique et le démantèlement des DEEE.

M. Alassane SANOU  responsable de l’ONG (que nous remercions à l’occasion pour sa très grande et longue disponibilité) nous a éclairé sur les activités et les projets  de sa structure.

DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT…

A l’instar d’autres pays africains et asiatiques, le pays des hommes intègres, pour réduire la fracture numérique et se conformer aux technologies de ces dernières décennies, importe de plus en plus d’appareils électriques et électroniques: télévisions, ordinateurs, téléphones, électroménagers… Ces appareils « France au revoir » ou neufs à l’achat une fois hors d’usage ou moins performant deviennent des DEEE, autrement dit des déchets d’équipements électriques et électroniques et qualifiés de bombe écologique par l’organisation écologique internationale GREEN PEACE. Dérivés des appareils du quotidien, ces déchets occupent une place de choix dans les magasins et les salons de leurs propriétaires. Pire, la grande quantité est soit abandonnée dans les poubelles publiques ou réutilisés dans les filières informelles de recyclages (qui sont loin de s’inquiéter de l’impact écologique de leur procédé) s’ils ne sont brulés tout simplement dans la nature ! En 2007, l’ONG « les Atelier du Bocage », estimait que 10 conteneurs chargés d’EEE entraient chaque mois sur le territoire Burkinabé et plus de la moitié de ce qu’ils contenaient constituent des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).

 L’ONG estime, de nos jours que  le volume des DEEE importés connaît une forte croissance liée à un taux d’équipement de plus en plus élevé et à l’obsolescence due à l’évolution très rapide des performances technologiques. Ces déchets d’équipements électriques et électroniques « DEEE » sont constitués entre autres d’appareils électroménagers, de matériel audiovisuel et d’équipement bureautique et informatique.

Comme les autres types de déchets, les DEEE peuvent être classés en fonction de leur composition. En effet, en plus des métaux et du plastique, les DEEE peuvent contenir des produits polluants et très dangereux pour l’environnement et la santé.

A titre d’exemple : un téléphone portable contient plus de 500 composants parmi lesquels des métaux lourds dangereux (plomb, mercure, cadmium, béryllium), ainsi que des substances chimiques toxiques (retardateurs de flamme bromés).

Quelques effets sanitaires des substances chimiques contenues dans les appareils électroniques.

  • Certains retardateurs de flamme bromés (utilisés dans les cartes de circuit imprimé et les boîtiers en plastique) sont difficiles à isoler et s’accumulent dans l’environnement. Une exposition prolongée peut affecter la capacité d’apprentissage et de mémorisation. Cela peut également avoir un effet sur les systèmes hormonaux et thyroïdiens, ainsi que sur la région abdominale entraînant des problèmes comportementaux.
  •  Plus de 1 450 tonnes d’un retardateur de flamme bromé appelé TBBPA ont été utilisées pour fabriquer les 991 millions de téléphones portables vendus dans le monde en 2006. Cette substance chimique est reconnue pour sa neurotoxicité.
  •  Les tubes cathodiques des moniteurs contiennent du plomb (20%) et l’exposition au plomb peut avoir un impact sur le développement intellectuel des enfants. Cela peut également endommager les systèmes nerveux, sanguins et reproductifs des adultes.
  •  Le cadmium, composant utilisé dans les batteries rechargeables d’ordinateur, les contacts et les interrupteurs, ainsi que dans les anciens tubes cathodiques, peut s’accumuler dans l’environnement et est extrêmement toxique, plus particulièrement, au niveau des reins et des os.
  •  Le mercure, utilisé dans les dispositifs lumineux des écrans plats, peut endommager le cerveau et le système nerveux central, plus particulièrement chez le fœtus, lors du développement de cette partie du corps humain.
  • Les composés du chrome hexavalent, utilisés dans les boîtiers en métal, sont extrêmement toxiques et cancérigènes.
  • Le PVC est une matière plastique chlorée utilisée dans certains équipements électroniques, notamment pour l’isolation des fils électriques et câbles Les dioxines et les furannes chlorés s’échappent lors de la fabrication ou l’incinération (ou le simple brûlage) du PVC.

La dégradation naturelle de ces composés chimiques est très longue et leur toxicité est élevée même à de faibles concentrations.

 Ainsi donc, conscient de la dangerosité des DEEE pour l’environnement et la santé, vu l’absence de règlementation et le faible niveau d’éducation environnementale de la population, les ateliers du Bocage ont mis en place un système de collecte de ce type de déchets à Ouagadougou. Ce système est composé de deux stratégies, une fixe et une avancée.

 La stratégie fixe (réception au siège) : Le siège de l’ONG est équipé d’une salle de collecte où on peut y déposer des DEEE.  Cela permet à tous les citoyens voulant se débarrasser de leurs déchets de le faire de façon écologique.

 La stratégie avancée ou mobile (demande d’enlèvement de DEEE) : elle consiste en la collecte des DEEE par les agents de l’ONG. Pour cette activité ils sont équipés d’un véhicule de collecte et se présentent par un simple appel téléphonique pour vous aider à vous débarrasser de vos DEEE de façon écologique.

 Une fois collectés, les DEEE sont démantelés et triés par rapport à leur composition. Cette opération a pour objectif de retirer les composants contenant des substances dangereuses et d’obtenir des sous ensembles ou des pièces aptes à être valorisés de façon optimale d’un point de vue matière.

 Le tri de déchets suit la typologie suivante :

Les cartes électroniques pour leur contenu en métaux précieux

Les tubes cathodiques et autres composants dangereux

Les boîtiers plastiques destinés à être valorisés dans les filières plastiques locaux.

Les pièces métalliques composées de fer, cuivre, aluminium présents dans les câbles, les bobinages, les coffrets

… A LA REDUCTION DE LA FRACTURE NUMERIQUE.

Selon M. SANOU son organisation par le biais de son projet « Clic vert » se présente comme la première filière locale de réemploi durable et solidaire de matériel informatique. Il constate que la rapidité des innovations numériques génère une nouvelle forme d’exclusion, laissant une partie de la population à l’écart de ces bénéfices. Il souligne de passage qu’il existe de multiples raisons expliquant ce « fossé numérique » mais, que l’accès à moindre coût, à du matériel informatique et à une formation reste déterminant pour commencer à faire partie de cette nouvelle société. Malgré un taux d’équipement qui progresse, force est de constater qu’une part encore importante de la population burkinabé reste exclue de la société de l’information. Pour remédier à cette exclusion qui évolue au fil des innovations, il convient de s’appuyer sur la réutilisation des ordinateurs reconditionnés qui sont accessibles aux moins nantis. L’objectif de ce projet initié par les Ateliers du Bocage est de prolonger la durée de vie des ordinateurs pour lutter contre l’exclusion numérique et protéger l’environnement.

Sur la base de ce projet les Ateliers du Bocage ont entrepris la donation de matériels bureautiques et informatiques (machines à écrire mécaniques, ordinateurs…), à des personnes défavorisées, des écoles, des orphelinats et des ONGs œuvrant dans le domaine du développement rural. De nos jours au Burkina Faso, les Ateliers du Bocage sont une référence dans l’offre promotionnelle de matériel TIC, rendant ainsi ce matériel accessible aux moins nantis.

A titre d’exemple, un ordinateur Pentium III, 900 Mhz est vendu à 75 000 FCFA, tandis qu’un Pentium IV, 1.2 GHz est vendu à seulement 100 000 FCFA. Fidèle à sa vision écologique de la société de l’information, les Ateliers du Bocage, pour éviter que son action de vente ne génère plus tard chez les acquéreurs des déchets informatiques, assurent un service après-vente mais aussi la reprise et l’échange d’anciens équipements.

Aux Ateliers du Bocages, les associations et les ONG bénéficient d’une réduction pouvant aller a -30% sur les équipements informatiques de seconde main. L’ONG assure aussi pour les structures acheteurs un suivi du matériel. En cas de désuétude, elle s’assure de la récupération des déchets, évitant ainsi les abandons sauvages des DEEE.

LES DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES ATELIERS DU BOCAGE

La première difficulté rencontrée par les Ateliers du Bocage se situe au niveau de la collecte des DEEE.

L’absence de textes juridiques à caractère contraignant dans le cadre de la gestion des DEEE doublé du faible niveau d’esprit éco-citoyen de la population ainsi que de son ignorance face aux dangers que peuvent représenter les déchets en général et ceux issus des EEE en particulier limite les actions de l’ONG.

En effet, M. SANOU constate que les usagers sont très réticents à se débarrasser de leurs déchets en accolant presque toujours une valeur sentimentale ou économique exorbitant à leurs déchets. Au niveau des organisations écologiques ou environnementales le message passe mieux, mais pour le reste de la population le travail reste à faire. Cette résistance de la population s’explique par le fait que la filière soit encore jeune et assez peu connue, ralentissant ainsi les opérations de collecte.

 La deuxième difficulté est le manque de visibilité de l’ONG. Implantés à Ouagadougou depuis 2005, les Ateliers du Bocage restent une structure méconnue de par la population. Pour ceux qui la connaissent, ils se la représentent comme une boutique de vente d’ordinateurs de seconde main à moindre coût. Cette conception occulte son activité majeure qui est le démantèlement et le traitement écologique des DEEE. Cette opération de vente d’équipement informatique à moindre coût pour juguler la fracture numérique la met en porte-à-faux avec les entreprises de vente d’ordinateurs à but lucratif. Ces entreprises voient dans les Ateliers du Bocage un concurrent dont il faut faire la contre publicité. Le responsable de l’ONG a souligné avoir entrepris une campagne de sensibilisation au près des promoteurs de ces genres d’entreprises, pour les amener à comprendre la logique de fonctionnement des Ateliers du Bocage et sa finalité. Dans cette même logique, il compte améliorer la couverture publicitaire de la structure et de ses activités avec l’aide de ses partenaires.

PROJETS ET PARTENAIRES DES ATELIERS DU BOCAGE

La collecte, le démantèlement, le reconditionnement et l’exportation des produits dangereux vers la France, sont des activités coûteuses que l’ONG assume avec l’aide de ses partenaires financiers ou techniques. Pour mener à bien sa mission d’intérêt général au Burkina Faso les interlocuteurs nationaux privilégiés des Ateliers du Bocage sont : le Ministère en charge des Technologies de l’Information et de la Communication et celui en charge de l’habitat et de l’environnement et l’ambassade de France au Burkina. A titre d’exemple, les Ateliers du Bocage en collaboration avec le Bureau national des évaluations environnementales et de gestion des déchets spéciaux (BUNED), mettent en place un projet, qui de par ses objectifs allient collecte des DEEE, protection de l’environnement et la réduction de la fracture numérique. En claire, ce projet a pour mission la collecte et le reconditionnement des ordinateurs usagés de l’administration publique au bénéfice du  Ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation (MEBA) et du Ministère des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique (MESSRS). Ces ordinateurs serviront à équiper les  écoles, les lycées et les universités, en attendant que l’OLPC[2] se généralise au Burkina. Ce projet se présente ainsi comme une opportunité pour les ministères en charge de l’enseignement d’accélérer le processus d’intégration des TIC dans l’enseignement (TICE). En tant qu’éco-organisme les Ateliers du Bocage ont obtenu la confiance et l’accompagnement d’autres partenaires étrangers (UNESCO, GAZ DE FRANCE, LE POITOU CHARENTES…) qui la soutiennent dans sa  vocation d’organiser et de contrôler la collecte, la dépollution et le recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).

Un autre type de valorisation, et pas le moindre peut être effectué avec les DEEE collectés par les Ateliers du Bocage au Burkina Faso. Ce type de valorisation consiste en l’extraction des métaux précieux contenus dans les DEEE. De nos jours, l’Afrique du sud est le seul pays en Afrique à être doté d’infrastructures pouvant extraire ces métaux précieux en respectant des conventions écologiques. Ces infrastructures ont la capacité technique d’extraire jusqu’à 95 % de 17 métaux différents (or, platine, palladium…) par un processus pyrométallurgique, alors que le procédé traditionnel (chimique humide) ne permet de récupérer qu’à peu près 25 % d’un seul métal, l’or, contenu initialement dans le déchet.

Plusieurs pays à l’instar de l’Afrique du sud se sont lancés dans ce type de valorisation et le Japon est celui qui en tire le plus de bénéfice. En effet, La crise économique aidant, la capitale mondiale de l’électronique a compris qu’elle pourrait être, en réalité, l’un des pays les plus riches en métaux précieux… contenus dans ses DEEE. Cela est compréhensible, parce que selon des estimations, pour obtenir 1 kg de Métaux précieux il faudrait 240 000 tonnes de minerais, alors que l’on peut obtenir la même quantité de métaux précieux rien qu’en recyclant 800 tonnes de DEEE et le Japon se trouve être le pays où la masse des DEEE par habitant est le plus élevé (5,3 Kg/an/habitant). Selon un article publié dans Le Monde du 14.07.09, les études du professeur Komei Harada de l’Institut de la science de matériaux montrent que le Japon détient dans ses déchets trois fois plus d’or, d’argent et d’indium que le reste de la planète. Selon les calculs du professeur Harada, l’archipel nippon serait assis sur une "mine d’or" de 6 800 tonnes, une autre de 60 000 tonnes d’argent et une troisième de 1 700 tonnes d’indium (utilisé pour les écrans à cristaux liquides) – soit 16 % des réserves mondiales dans le cas du premier et 23 % pour les deux autres métaux. Si le Japon recyclait ces richesses enfouies dans ses déchets, poursuit-il, il figurerait au même rang que l’Australie, le Brésil ou le Canada en termes de ressources en métaux rare.

Les conclusions de cette étude pourraient se présenter comme un cas d’école pour le Burkina. Vu que ce dernier se transforme inexorablement en dépotoir pour les DEEE des pays développés. Le Burkina pourrait tirer profit de cette situation en recyclant les déchets qui l’inondent, il deviendrait ainsi un pays producteur de métaux ferreux et de métaux précieux introuvable dans son sous-sol tout comme le Japon, ce qui n’est aucunement mauvais pour son économie. Si un tel projet venait  à être envisagé au pays des hommes intègres il devra tenir compte des normes environnementale et écologique en vigueur.


[2] One Laptop per Child (OLPC :« un portable par enfant ») : Le XO-1 est le premier ordinateur conçu par le projet OLPC. C’est un ordinateur portable bon marché (200$) destiné aux enfants des pays en développement, pour leur permettre d’apprendre, d’explorer, d’expérimenter et de s’exprimer.


[1] COP15 est l’acronyme de Conférence des parties, en anglais Conference of the Parties, soit COP en abrégé. Ces 3 lettres désignent donc les conférences de l’ONU sur le Climat, et comme le Sommet de Copenhague est la 15ème conférence, COP 15 désigne la conférence de 2009 sur le climat qui a pris place à Copenhague au Danemark.