Le 7 mars 1969, les spectateurs français attendent patiemment à l'entrée des salles de cinéma qu'une ouvreuse munie d'une lampe électrique viennent les accompagner à leur siège. Après les actualités et les réclames, et après avoir acheté à l'entr'acte une quelconque friandise aux mêmes ouvreuses munies d'un panier d'osier, ils découvrent le générique coloré du nouveau film de Gérard Oury, "Le cerveau", associé au morceau imparable "The brain" de Georges Delerue et The American Breed.
A la 23ème minute du film, la frange masculine du public entre en transe. Il n'y a plus que les caramels qui sont mous, les grains de popcorn giclent hors de leur cornet et les esquimaux dégoulinent dans les mains. L'actrice Silvia Monti envahit l'écran, dans une scène restée culte et qui n'a rien perdu de son intensité érotique quarante-quatre ans plus tard. Comme je n'aime rien affirmer qui ne soit scientifiquement prouvé, je viens de me la passer dix-sept fois d'affilée, impossible de s'en lasser (de s'enlacer aussi, malheureusement). Accrochée à une corde, la belle Italienne se laisse descendre d'un balcon, (dé)vêtue d'un bikini noir et munie d'un mini poste de radio d'où s'échappe la chanson "Cento giorni" de Caterina Caselli. Tous les hommes autour de la piscine sont en arrêt. Et pourtant, ce sont des gangsters, par nature pas faciles à arrêter. Silvia Monti glisse le long de sa corde comme un serpent le long d'une liane et hypnotise sa proie (Monti python, quoi).
Dans le film, Silvia Monti incarne Sofia, la soeur du mafieux sicilien Frankie Scannapieco qui, afin de la garder pure jusqu'au mariage, la tient recluse dans sa somptueuse villa sicilienne et éloigne à coups de fusil ses prétendants éventuels. Excédée, la belle jure à son frère qu'elle offrira sa virginité au premier venu. Le premier venu n'est pas le premier venu, puisqu'il s'agit du colonel Matthews, le fameux "Cerveau" qui débarque pour négocier son prochain coup avec la Mafia. Le tandem David Niven/Eli Wallach fonctionne à merveille mais, honnêtement, à partir du moment où Sofia lance son opération séduction, tout le reste, on s'en moque.
Lamartine a écrit "O temps, suspends ton vol" en 1820 mais ce n'est pas possible, ce doit être une erreur, il avait forcément vu "Le cerveau" avant. Cette expression prend tout son sens en visionnant cette scène. J'en mettrais mon kimono au feu, Gérard Oury a dû la faire recommencer plusieurs fois, pour le plaisir. "Silvia, c'était parfait mais on va la refaire par acquis de conscience". "Silvia, ce n'est pas toi mais ce crétin de Giuseppe est entré dans le champ". "Plus sensuelle encore, s'il te plaît, Silvia". "Désolé mon chou, j'ai oublié de mettre la caméra en marche". Etc.
Si pour ce qui est de sortir de l'onde, c'est Ursula Andress qui mérite la palme dans "Dr. No" (normal, elle a déjà le masque), Silvia Monti, elle, sait se jeter à l'eau.
On la voit peu ensuite dans le film, si ce n'est dans une autre scène où elle roucoule avec le colonel Matthews place du Trocadéro, à bord de son splendide coupé sport BMW 2000, et après l'attaque du train, déguisée en pompier, cette fois dans une plus banale R16.
L'actrice poursuit sa carrière jusqu'au milieu des années 70, en tournant dans des films italiens inédits chez nous pour la plupart, surtout des gialli et des films éroticorrifiques : "Les sorcières du bord du lac" (Le regine, de Tonino Cervi, 1970), "Le venin de la peur" (Una lucertola con la pelle di donna, de Lucio Fulci, 1971), "Journée noire pour un bélier" (Giornata nera per l'ariete, de Luigi Bazzoni, 1971), "La fureur d'un flic" (La mano spietata della legge, de Mario Gariazzo, 1973). Elle tourne également pour Pasolini dans "Carnet de notes pour une Orestie africaine" (Appunti per un'Orestiada africana, 1970). Ils sont faits pour s'entendre : lui écrit en frioulan, elle est affriolante. Elle donne même la réplique au légendaire duo Terence Hill/Bud Spencer dans "Le corsaire noir" (Il corsaro nero, de Lorenzo Gicca Palli, 1971). Pasolini, Bud Spencer. Un sacré grand écart. Mais elle a les jambes pour.
Puis elle devient comtesse, en épousant le noble vénitien Luigino Donà delle Rose, l'un des éminents membres de la jet-set italienne, qui crée Porto Rotondo en Sardaigne. Il fait de Silvia la reine de Saint Moritz, l'hiver, et de Marbella, l'été (j'espère qu'elle a gardé son bikini noir). En 1997, elle se remarie avec Carlo de Benedetti, ex-patron d'Olivetti, comte lui aussi, mais en banque.
Elle a également friquoté, plus jeune, avec Gianni Agnelli, qui a prononcé cette phrase pleine de sagesse : "Les hommes se divisent en deux catégories : ceux qui parlent des femmes, et ceux qui parlent avec les femmes".Je crois donc qu'il est temps de terminer cet article, sous peine de me voir irrévocablement classé dans la première catégorie.