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Déchets – Méthanisation : le traitement mécano-biologique devant le juge administratif

Publié le 10 mai 2013 par Arnaudgossement

JP.jpgA quelques jours d’intervalle, deux juridictions administratives se sont prononcés sur la légalité d’arrêtés préfectoraux d’autorisation d’exploiter des installations de traitement mécano biologique de déchets. Un  contentieux naissant que les élus, les autorités administratives et les opérateurs doivent étudier avec soin.


I. Par jugement en date du 18 avril 2011, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé, à la demande de plusieurs associations, l’arrêté du 17 janvier 2011, par lequel le préfet de la Seine-Saint­ Denis a autorisé l'exploitation d'un centre multifilière de traitement des déchets ménagers
Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil peut être téléchargé ici.
Ce projet de centre multi filière devait notamment accueillir un centre de traitement mécano-biologique (TMB) des déchets. Ce processus destiné à permettre la méthanisation de la part fermentescible des déchets à éliminer est décrit ici sur le site du Syctom de Paris
La création et l’exploitation de ce centre TMB a suscité une opposition et cette action en justice qui a conduit au jugement rendu le 18 avril 2013. Le Tribunal administratif de Montreuil s’est montré rigoureux dans l’appréciation des conditions d’information du public avant enquête publique et du caractère suffisant de l’étude de dangers.
On relèvera également que le juge administratif a utilisé ses attributions de plein contentieux en contrôlant la conformité de l’autorisation préfectorale litigieuse au regard de textes applicables à la date du jugement. Le jugement précise en effet :

« Considérant que le juge, lorsqu'il est saisi d'une demande dirigée contre  une décision autorisant ou refusant d'autoriser l'ouverture d'un établissement classé pour la protection de l’environnement, fait application des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date de sa décision ».

C’est ainsi que le Tribunal administratif contrôle la conformité de l’autorisation ICPE attaquée avec les dispositions de l’arrêté du 10 novembre 2009 « fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les installations de méthanisation soumises à autorisation en application du titre Ier du livre V du code de l'environnement ». On soulignera cependant que si l’arrêté du 10 novembre 2009 est postérieure à la date de présentation de sa demande d’autorisation par l’exploitant, il est antérieur à la date de signature de l’arrêté préfectoral octroyant l’autorisation demandée.
Le jugement précise ici :

« Considérant qu'il résulte de l'instruction que le dossier de demande d'autorisation d'exploiter a été déposé le 7 mai 2009 auprès de la préfecture de la Seine-Saint-Denis; que, par suite, le projet objet de la décision querellée doit être regardé comme une installation existante au sens de l 'arrêté du 10 novembre 2009 ; que toutefoi s, il résulte de l'article 53 de ce dernier, publié le 26 novembre 2009, que ses dispositions, à l 'exception des articles 4 et 42, sont applicable s  aux  installations   existantes   dans   un   délai   de  trois  ans   à   compter   du 26 novembre 2009 ; que, dès lors, à la date du présent jugement, l'installation classée dont s'agit était tenue de respecter les dispositions de l'arrêté du 10 novembre 2009 »

Or, le Tribunal administratif juge au cas présent que l’autorisation d’exploiter litigieuse contrevient aux termes de l’arrêté du 10 novembre 2009 :

« Considérant qu'il résulte de l'instruction que si l'arrêté litigieux indique en son point 1.2.3.3 : « le traitement tri-méthanisation se fait au fil de l'eau. Il n'y a pas de matière entreposée en entrée et en sortie de traitement du digestat brut », le dossier de demande, dans son volet B « description  du  site  et  de  ses activités», précise que  « seule la  fraction  fermentescible  des ordures ménagères issue des bioréacteurs pourra éventuellement être stockée pendant environ une journée avant d'être méthanisée. Cette procédure sera applicable dans le cas d'un arrêt technique du procédé de méthanisation (...)»; que l'arrêté litigieux, en son point 8.2.24 se borne à prescrire que les « ouvrages de stockage du digestat sont dimensionnés et exploités de manière à éviter tout déversement dans le milieu naturel. Ils ont une capacité suffisante pour permettre le stockage de l'ensemble du digestat produit pendant une période correspondant à la plus longue période pendant laquelle son évacuation ou son traitement n’est pas possible, sauf si l’exploitant ou un prestataire dispose de capacité de stockage sur une autre site et est en mesure d'en justifier la disponibilité» ; qu'ainsi, à la date du présent jugement, l'autorisation d'exploiter  ne  précise pas les capacités d'entreposage des matières en entrée et en sortie de traitement et méconnaît ainsi les dispositions précitées de 1'article 7 de 1'anêté du 10 novembre 2009 »

Au-delà de cette question du silence de l’arrêté d’autorisation sur la question des capacités de stockage, le jugement fait également application d’un décret du 29 octobre 2009 modifiant la nomenclature des ICPE :

« Considérant que le décret n°2009-1341 du 29 octobre 2009 modifiant la nomenclature des installations classées a introduit les rubriques 2780 «Installations de traitement aérobie (compostage ou stabilisation biologique) de déchets non dangereux ou matière végétale brute, ayant le cas échéant subi une étape de méthanisation », 2781 « Installations de méthanisation de déchets non dangereux ou matière végéta le brute à l'exclusion des installations de stations d'épuration urbaines » et 2782 «Installations mettant en œuvre d'autres traitements biologiques de déchets non dangereux que ceux mentionnés aux rubriques 2780 et 2781 à l'exclusion des installations réglementées au titre d'une autre législation » ; que la circulaire d 'application du décret du 29 octobre 2009, intervenue le 24 décembre 2010, soit à la fin de la procédure d'instruction du dossier, ne conditionne pas l'entrée en vigueur des dispositions du décret; qu'il résulte de l 'instruction que l 'activité de prétraitement des déchets au moyen de bioréacteurs, envisagée dans le projet litigieux, relève de la rubrique 2782 de la nomenclature ; que l 'autorisation en litige n'a été accordée que pour les activités relevant des rubriques 2780-3 et 2781-2; que l 'omission de la rubrique 2782 dans l’arrêté est susceptible d 'avoir une influence sur les prescriptions imposées, dès lors que des règlementations distinctes peuvent être applicables aux rubriques retenues par un arrêté d'autorisation d'exploiter; que, par suite, en n'examinant pas le projet au regard de la rubrique 2782, et, par suite, en ne délivrant pas d'autorisation pour l'activité relevant de cette rubrique, le préfet de la Seine-Saint-Denis a entaché sa décision d'erreur de droit ».

Ces éléments du jugement du Tribunal administratif démontrent la nécessité pour le demandeur d’une autorisation d’exploiter d’assurer la veille juridique des textes susceptibles de s’appliquer à son dossier, ce compris après son dépôt auprès des autorités administratives qui seront en charge de son instruction.
II. Par arrêt du 9 avril 2013, la Cour administrative d’appel de Marseille a, à l’inverse, rejeté la demande d’annulation d’un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter une unité de traitement mécano-biologique de déchets ménagers et assimilés.
L’arrêt peut être consulté ici.
Au nombre des moyens discutés, on relèvera notamment celui relatif au respect de la distance d’éloignement de 200 mètres que la Cour administrative d’appel de Marseille juge non opposable à une installation de traitement mécano-biologique dès lors que celle-ci ne  constitue pas une « installation de stockage de déchets non dangereux » :

« En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'arrêté du 9 septembre 1997 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux :
13. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 9 septembre 1997 relatif aux installations de stockage de déchets non dangereux : " Pour l'application du présent arrêté, les définitions suivantes sont retenues : Installation de stockage de déchets non dangereux : installation d'élimination de déchets non dangereux par dépôt ou enfouissement sur ou dans la terre, y compris : Un site permanent (c'est-à-dire pour une durée supérieure à un an) utilisé pour stocker temporairement des déchets non dangereux, dans les cas :-de stockage des déchets avant élimination pour une durée supérieure à un an, ou - de stockage des déchets avant valorisation ou traitement pour une durée supérieure à trois ans en règle générale. A l'exclusion :-du stockage dans des cavités naturelles ou artificielles dans le sous-sol ;-des installations où les déchets sont déchargés afin de permettre leur préparation à un transport ultérieur en vue d'une valorisation, d'un traitement ou d'une élimination en un endroit différent " ; qu'aux termes de l'article 9 du même arrêté : " La zone à exploiter (...) doit être à plus de 200 mètres de la limite de propriété du site, sauf si l'exploitant apporte des garanties équivalentes en termes d'isolement par rapport aux tiers sous forme de contrats, de conventions ou servitudes couvrant la totalité de la durée de l'exploitation et de la période de suivi du site " ;
14. Considérant que les appelants ne peuvent utilement soutenir que l'installation de la société S. ne respecte pas cette distance d'éloignement de 200 mètres dès lors qu'il ne s'agit pas d'une installation de stockage de déchets non dangereux telle que définie par l'article 1er de l'arrêté du 9 septembre 1997, la circonstance, à la supposer établie, que la société Rhodia, soumise à ces dispositions, ne la respecterait pas étant dépourvue d'incidence sur la légalité de l'autorisation d'exploiter en litige ; »

Autre moyen débattu qui retiendra l’attention, celui relatif au respect du plan départemental d’élimination des déchets ménagers et assimilés et, plus particulièrement, la norme de qualité du compost qu’il retient :

« En ce qui concerne le moyen tiré de l'incompatibilité du projet avec le plan départemental d'élimination des déchets ménagers et assimilés :
(…) 18. Considérant, en deuxième lieu, que le plan départemental fixe un objectif de " valorisation organique par compostage " ; que l'A. et autres soutiennent que le traitement mécano-biologique ne permet pas de produire un compost conforme à la norme NFU 44-051 et que celui-ci ne pourra donc pas être utilisé dans l'agriculture mais devra être traité sur un autre site ; que, toutefois, les articles 2.4.1 et 2.4.2 de l'autorisation d'exploiter imposent le respect de la norme NFU 44-051 et de l'arrêté du 22 avril 2008 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les installations de compostage ainsi que le contrôle de l'inspection des installations classées sur les justificatifs de la conformité de chaque lot de produits finis ; que, dans ces conditions, en se bornant à invoquer une lettre du C., qui relève du régime associatif, adressée dans le cadre de l'enquête publique, les appelants n'établissent pas que le compost issu de l'installation serait incompatible avec les objectifs du plan départemental ; »

Au cas présent, la preuve de l’absence de conformité du compost à la norme F fixée par le plan départemental n’était donc pas rapportée.
Enfin, l’arrêt rendu ce 9 avril 2013 par la Cour administrative d’appel de Marseille est également intéressant en ce qu’il précise que le projet de traitement mécano-biologique ne méconnaît pas les dispositions de l’article L.541-1 du code de l’environnement reprenant la hiérarchie communautaire des modes de traitement des déchets :

« En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 541-1 du code de l'environnement :
20. Considérant qu'aux termes de l'article L. 541-1 du code l'environnement : " les dispositions du présent chapitre et de l'article L. 125-1ont pour objet : (...) 2° De mettre en œuvre une hiérarchie des modes de traitement des déchets consistant à privilégier, dans l'ordre : a) La préparation en vue de la réutilisation ; b) Le recyclage ; c) Toute autre valorisation, notamment la valorisation énergétique ; d) L'élimination (...) " ;
21. Considérant que l'autorisation d'exploiter en litige, qui s'inscrit dans une chaîne de traitement des déchets en vue, après tri sélectif, de leur valorisation par compostage ou leur élimination sur un autre site, ne peut, par elle-même, méconnaître la hiérarchie des modes de traitement des déchets énoncée par les dispositions rappelées ci-dessus ; que, par ailleurs, et ainsi qu'il a déjà été dit sur le respect des normes applicables, les doutes sérieux émis par les appelants quant à la qualité et la quantité du compost annoncé ne sont pas établis ; »

Ces deux décisions, du tribunal administratif de Montreuil et de la Cour administrative d’appel de Marseille sont donc intéressantes en ce qu’elles font état de plusieurs moyens susceptibles d’être opposées aux projets de traitement mécano-biologique, présentés comme une alternative à l’élimination « pure et simple » des déchets, par enfouissement et/ou par incinération.

Arnaud Gossement

Avocat


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