Ni Germain, ni Vladimir, ni Zette.... mais
Fabrice Levy-Hadida)
Tic tac, les aiguilles du réveil n’existent pas, je les vois pourtant. Je vois le temps de l’horloge lentement avancer. Il est en refus, je voudrais qu’il courre, il joue à ne pas avancer, il ralentit le pas... Il est 4H, tout dort sauf moi. Ici et là, dans la rue, là bas, j’entends les bruits de quelque vie solitaire. Tout est tendu, tout se tend, tel le ressort de la montre gousset, je suis tendu attendant que cela démarre. Rester allongé ne sert à rien. Je me lève Il est 4h, la nuit est dense, je projette mes pensées aux quatre coins de l’Europe. Je vois Olegs et Guna en Lettonie. Je vois Veronika et Marius en Pologne. Je vois Diana et Marjiana et Croatie. Je vois, Charo en Espagne. Je vois, Anna et Nikos en Grèce. Je vois Rénie et Lusy en Bulgarie, je vois Dan, Aurélia, Anca et Mirella en Roumanie. Je vois leurs visages au fond de moi. Il est 4H du matin en France. Dans l’appartement endormi, je me dirige vers la cuisine et mets en route la cafetière. Je n’ai pas dormi et tout va pour le mieux ! Je promène mon esprit sur la météo des capitales européennes, interroge la boite mail, écrase 5 cigarettes après les avoir fumées jusqu’au filtre. J’ai 20 ans, les vingt huit années qui me séparent de ces vingt ans ne sont rien.
A 6H, quand j’arrive au Bureau, je finis d’interroger les mails et les compagnies aériennes. Je fais le dernier tour de la feuille de route. Tous les check in sont ok. Le vol en provenance d’Espagne change de terminal. A 8H, le premier mini bus récupéré, le géant et Sophie pourront partir vers la Belgique. A 9H Léonard accueillera Réni et Lucy à Charles de Gaulle et les accompagnera jusque Lille en train. Dorothée les accueille à 12H à Lille Europe. A 11H30, 2ème mini bus récupéré, Geoffrey et Aline partiront vers Charles-de-Gaulle. Les équipages sont prêts, les itinéraires aussi, on contrôle, tout est sous contrôle. J’ai quelques heures pour finir mes préparations. Dernières éditions de documents ; comment se fait-il qu’il en reste tant ? Nous savions depuis longtemps que nous déplacions le bureau à Annequin et les ordinateurs ne sont pas débranchés, les documents ne sont pas préparés ? J’ouvre mon cahier d’évaluation intérieur, et je m’attribue quelques mauvais points bien mérités. Peut-être sont-ils là pour éviter d’autres peurs, celle de l’avion raté, celle du bagage trop lourd, celle de la pluie de pierre. Je force le trait, cela me permettra certainement d’éviter les malheurs…
8H ma journée SMS commence. Chaque relais m’envoie les informations en temps réel. Récupération camion, bouchon, récupération participants, la musique particulière du téléphone accompagnera cette journée particulière. Jusque 20H, heure prévisionnelle d’arrivée en salle des derniers participants, cette musique organisera mon temps et mes pensées.
9H30, le bureau est plié et prêt à rejoindre Annequin. De son côté Raphaël fait ses courses de démarrage. Accompagné de Jean-Luc, il prépare le buffet du soir. Charcuteries et fromages. Je ferme un instant les yeux et l’imagine se promenant dans les allées de marché et Super « marché », lui et sa taille impressionnante, caddy débordant et ses yeux brillants. Je ne lui ai jamais dit, maintenat il le sait si il me lit, mais j’ai souvent ri à l’idée qu’il fallait 2 à 3 types comme moi, pour faire un gars comme lui.
9H30, les premières confirmations d’arrivées me parviennent ; la Bulgarie est en France ! Le Bulgarie impatiente, prendra le train précédent à celui qui était convenu….
10H30, Dorothée me dépose à Annequin. Pendant que j’ouvre la salle des fêtes, elle repart à Lille accueillir Reni et Luysi, les Bulgares impatientes. Au centre de la salle, les services techniques de la ville ont déposé, tel un cadeau, les éléments de la fiche technique (Plateaux SAMIA, Grilles d’exposition, tables et chaises...) que nous leur avions fait parvenir. Mon esprit ne supportant pas le désordre et bien que les plateaux pèsent un certain poids, je cherche d’abord à les déplacer. J’imagine un système roulant et astucieux mais, très vite comprenant que je grillerai trop de cartouche de mon « énergie 2ème souffle », je fais appel à la ville pour qu’une aide me soit apportée. Une fois les plateaux installés, je positionne les grilles en fermeture de salle. 3 espaces sont maintenant clairement délimités. Quand les participants arriveront, ils trouveront 3 lieu dans un lieu.
Dans le carré construction, Je pose amusé les outils spécifiques, support plastique, bloc de mousse, cutter, ciseau, dés à coudre, quelques épingles, des aiguilles à gros chat pour les yeux fatigués…
A 12H30, alors que la musique du téléphone n’a cessé d’accompagner mes œuvres, je suis seul dans la salle et je sais que le gros œuvre est
passé, j’ai faim. Raphaël et son équipe arriveront à 14H, ils pourront installer l’espace restauration. Quand je sors dans les rues de Annequin, le soleil vient frapper mes yeux. J’aurais du
anticiper, je ne l’ai pas fait, il est 12h31 et la boulangerie et les quelques commerces de la place sont fermés. J’attendrai pour combler ma faim, la réalité de la France que nous allons
présenter aux européens est loin de celle des grandes villes. Une France un peu assoupie, après un lourd repas..
Ensuite tout va très vite et très lentement. La même double temporalité que celle habitant chaque mouvement d’une vie, toujours, jusqu’à la fin. Un SMS m'apprend que les Bulgares impatientes sont à Lille, elles profitent du soleil sur une terrasse en déjeunant avec Dorothée et Léonard (au passage sirotant quelque elixir rugueux). Dorothée les transfèrera vers l’hôtel en début d’après-midi.
Les SMS m'ont appris qu'en Belgique, "le géant" et Sophie ont d’abord accueillis les participants Roumains arrivés à Bruxelles Nationale. Puis un autre message me faisait savoir que la petite troupe était partie accueillir les participants Lettons à Charleroi. Ils reprennent la route vers l’hôtel à 13H30.
Ensuite tout va très vite et très lentement. Raphaël et son équipe arrivent. Après avoir pris le temps du déchargement, nous échangeons sur la disposition du Buffet, de la table catering et des tables Brasserie. Je déplace mon espace construction pour que les poussières de mousse et autres matériaux ne viennent percuter la nourriture.
Il est 17H, l’hôtel doit commencer de ressentir les bruits particuliers que nous allons lui faire vivre pendant 8 jours. Perdu dans un village du Pas-de-Calais, 8 nationalités, les langues de Babel retrouvées sont en train de l’habiter. Il est 17H15, Raphaël et son équipe son repartis à la recherche d’objets culinaires et de surprises gourmandisiaques de dernière minutes. Je suis seul dans la salle des fêtes, et le temps m’habite…. Nous avons prévu un premier repas d’accueil à partir de 19H. Des SMS ou des appels continueront de faire chanter mon téléphone jusque plus tard, jusqu’aux dernières arrivées.
Le temps se fige.
Il est 18h55, bientôt, transférés en voiture de l’hôtel, seront là ceux de Bulgarie, de Roumanie, de Lettonie et Marius de Pologne ; les autres, ceux de Slovaquie, d’Espagne, de Croatie, de Grèce n’arriveront qu’après 20H. Il est 18h56, les minutes sont particulières, ce sont les minutes de vérité pendant lesquelles viennent se rencontrer tous les temps, ceux de l’imagination d’abord, de la préparation ensuite et de la réalisation enfin. Dans ces minutes la, on s’interroge sur les forces et faiblesses qui nous habitent. Face au projet mais au-delà, dans ces moments la, c’est notre valeur d’être humain qui est interrogée. Et dans ce moment si particulier, je m’interrogeais sur cette force particulière qui m’habitait¸ celle qui depuis longtemps m’avait fait accepter le travail nécessaire à la réalisation d’un projet. Oui, pour ma part, j’avais accepté l’idée qu’un projet naissait dans des tâches parfois les plus nobles mais aussi nécessairement des tâches les plus ragoutantes. Mais en même temps, double sentiment oblige, cette croyance farouche en la valeur que nous donne le travail était aussi une de mes plus grandes faiblesses.
Le buffet était dressé. Autour de Raphaël, dans la salle, des bénévoles s’afféraient. Qui derrière le bar, qui en cuisine… je regardais de loin. M’étant, comme à mon habitude laissé emporté par les digressions, je raconterai demain, ou plus tard si la vie le veut bien, le mélange des langues, la joie ressentie, les regards échangés. 19H, enfin nous nous rencontrions.
Fabrice Levy-Hadida