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12 artistes contemporains iraniens exposés au CAB (Contemporary Art Brussels)

Par Artbruxelles
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Fig.1 Chohreh Feyzdjou, Série E ( 1977-1993), FNAC 02-938, Courtesy of CNAP, France

Bruxelles serait-elle la ville européenne à apprécier le plus l’art contemporain iranien ? Moins de trois mois après le succès d’Unexposed réunissant les œuvres inédites d’artistes iraniennes à Tour & Taxi, puis au Parlement Européen, c’est au tour du CAB (Contemporary Art Brussels) de présenter son exposition vedette au titre très énigmatique : Le Pli : absence, disparition et perte de mémoire dans les travaux de 12 artistes iraniens“*.

Ce projet est le fruit d’une dynamique collaboration belgo-iranienne entre Michel Dewilde, historien de l’art et Azar Mahmoudian, critique d’art et spécialisée en philosophie. Pour les commissaires d’exposition, il était capital de montrer les différentes formes de Modernité présents dans les travaux d’artistes iraniens aux univers éloignés les uns des autres. De ce fait, ils ont volontairement sélectionné des artistes de toutes générations et milieux sociaux confondus. Azar Mahmoudian précise que “ces artistes ont été sélectionnés pour leur individualité propre“ et ce de rajouter qu’“ils n’appartiennent ni à un courant artistique spécifique ni à un quelconque mouvement politique. Critère pourtant souvent attendu par la scène internationale“ déplorera-t-elle. Prendre le parti de ne pas répondre aux attentes d’un public occidental peut-être trop habitué aux stéréotypes liés à l’Iran ? Le pari est audacieux.

L'entrée de l'exposition, View of the exhibition The Fold, photo's Courtesy CAB

L’entrée de l’exposition, View of the exhibition The Fold, photo’s Courtesy CAB

Au travers d’installations, de films-documentaires, de photos ou vidéo expérimentale, l’exposition aborde les thèmes de l’absence, la disparition, la perte de soi ou encore l’amnésie collective mais avec comme leitmotiv le concept du pli. Inspirée par le philosophe français Gilles Deleuze  et de son ouvrage “ Le Pli“ (1988), Azar Mahmoudian explique que “dans la structure du pli il y a des choses qu’on ne discerne pas bien, de l’incertitude, mais aussi des éléments de réciprocité tels que le visible-invisible, la tradition-modernité, l’occident-orient, l’éternel-éphémère“. Si ce sont des notions qui à la base s’opposent, le pli annule la dualité pour ne former plus qu’un. 

Focus sur six artistes représentés 

Disparition de soi

Dans les travaux de la géniale et regrettée Chohreh Feyzdjou (Téhéran 1955 – Paris 1996), art et vie sont intimement liés. Née à Téhéran dans une famille juive qui a changé son nom de Cohen pour celui de Feyzdjou, elle suit d’abord sa scolarité dans une école musulmane puis dans un lycée juif. Quand elle part à Paris pour étudier les Beaux-Arts, son nom de famille jugé “imprononçable“ devient l’objet de moquerie de ses camarades. Dans sa quête permanente d’identité, la jeune femme s’essaye à quelques expériences religieuses allant du judaïsme orthodoxe au mysticisme soufi, mais de ces périodes elle garde un sentiment désagréable de dépossession. A la mort de son père en 1988, l’artiste introduit sa couleur de fabrique, un noir unique et magnifique avec lequel commence sa “production“ noire. Elle prend d’abord la décision de noircir – partiellement ou en totalité- toutes ses créations antérieures (peintures, dessins, objets) au brou de noix ou à la poudre de carbone. Ensuite, elle choisit de les inventorier, les sceller, les enfermer, les cacher en y apposant à chaque fois un label mauve sur lequel est inscrit “ Product of Chohreh“ ( fig.3). Ce sont quatre travaux de cette série que l’on peut découvrir ici. Au centre de la pièce trône une installation puissante ( fig.1), presque douloureuse , où des toiles noircies par l’artiste – originellement colorés d’animaux hybride, de fleurs ou de scènes de cirque- pendent sans vie, démunies de leur cadre. Plus loin, d’autres toiles sont soigneusement enroulées rendant leur contenu invisible et laissant le visiteur en proie à son imagination. Enfin des caissons noirs ( fig. 2), simplement entrouverts, révèlent une masse de fils noirs entremêlés nous rappelant tristement la longue chevelure noire et bouclée de la peintre iranienne. En noircissant et en enfermant sa production, l’artiste qui se savait atteinte d’une maladie génétique semble s’effacer elle-même. Chohreh Feyzdjou meurt à l’âge de 41 ans laissant derrière elle une œuvre puissante, frappée des stigmates d’une vie intérieure tourmentée.

Chohreh Feyzdjou detail

Fig. 3 Chohreh Feyzdjou, detail

Chohreh Feyzdjou, détail

Fig. 2 Chohreh Feyzdjou, détail “ Product of Chohreh Feyzdjouh

 

Disparition de l’autre

Dans “The Time of Butterflies“ ( fig.4 et 5) –spécialement conçu pour le CAB- des papillons aux couleurs douces et rassurantes viennent envahir les murs. De loin un véritable conte de fée aux motifs ornementaux rappelant l’Orient, de près le scénario est tout autre. Dans chaque pli de ses insectes se trouvent des scènes sanglantes de tueries, de combats ou d’emprisonnement. Dans ses œuvres, Parastou Forouhar exprime un traumatisme survenu à la fin des années 90 quand ses parents, activistes politiques, ont été sauvagement assassinés. Depuis, dans toutes ses créations l’horreur vient se mêler sans complexe à la beauté. L’absence et la disparition violente d’êtres chers ont conduit l’artiste à dénoncer dans ses œuvres l’injustice et la situation politique de son pays mais aussi à lutter contre l’oubli d’un événement tragique en rendant au passage un poignant hommage à sa mère prénommée “Parvaneh“ – papillon en persan…

Parastou Forouhar, The Time of the Butterfles, 2013, Wallpaper. View of the exhibition The Fold, photo's Courtesy CAB

Fig.4 Parastou Forouhar, The Time of the Butterfles, 2013, Wallpaper. View of the exhibition The Fold, photo’s Courtesy CAB

Parastou Forouhar, The Time of Butterflies, detail

Fig. 5 Parastou Forouhar, The Time of Butterflies, détail

Disparition des autres et Amnésie Collective

Arash Hanaei (Téhéran, 1978) est certainement l’une des découvertes artistique de cette exposition. Designer et photographe de formation, l’artiste se concentre plus récemment sur le dessin numérique. Dans ses travaux, la démarche est toujours réfléchie, la réflexion intéressante et le sarcasme toujours présent dans l’évocation des paradoxes de la société. En puisant ses sources dans les médias traditionnels ou internet, Arash Hanaei s’amuse à contourner et à manipuler les images afin de raconter une histoire. “Behesht-e Zahra“ ( fig.6) – spécialement conçu pour le CAB –représente la section du plus grand cimetière d’Iran où sont enterrés les martyrs, morts pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). Il est de coutume que sur leurs tombes soient exposées des affaires leur ayant appartenu telles que des photos de saints, de leader islamiques ou des slogans religieux. Dans ce travail, Arash Hanaei illustre des cadres de photos vides, démunis d’images. Où sont passés les visages de ces jeunes disparus trop tôt au nom d’une guerre? Homayoun Sirizi, l’un des artistes présent raconte que bien qu’il y ait eu selon les statistiques officielles plus d’un million de morts durant la guerre, ce triste nombre n’aurait jamais été pris en compte lors du recensement de la population. La raison d’une telle incongruité ? Une croyance religieuse selon laquelle les martyrs sont considérés comme immortels. L’ironie du sort veut que si les martyrs sont éternels, leurs photos ne résistent aux ravages du temps, lentement désintégrées avant de complètement disparaître. “Les images nostalgiques et familières se sont transformées en de simples coquilles vides“ conclura l’artiste.

Arash Hanaei, Behesht-e Zahra, 2013, Diasec Print, 250 x 88 x 3,3cm

Fig.6 Arash Hanaei, Behesht-e Zahra, 2013, Diasec Print, 250 x 88 x 3,3cm, Courtesy of the artist.

Véritable ovni artistique, “Keep right“- une commande du CAB-  du très talentueux Homayoun Sirizi (Kerman, 1981) est de loin l’installation la plus originale et la plus inattendue de cette exposition. Si vous vous demandez ce que sont ces bruits sourds et irréguliers de martèlement qui vous suivent tout au long de votre visite et bien c’est que vous avez trouvé l’oeuvre de l’artiste. Vous ne la voyez pas ? C’est normal il s’agit d’une installation très minimaliste puisque invisible mais sonore. Les coups répété constitue un langage codé proche du morse, et utilisé dans les prisons par les détenus. L’artiste veut dans un premier temps suggérer que des prisonniers se trouvent derrière les murs et tentent de rentrer en communication avec nous. Par ce moyen Homayoun Sirizi désire faire comprendre que si un détenu tente d’établir un lien avec nous c’est parce que nous sommes à notre tour dans une prison. Dans un deuxième temps, et principalement, le jeune homme fait référence à un événement survenu en juillet 1988, un mois après la fin de la guerre Iran-Irak, quand plus de cinq mille prisonniers gauchistes furent massacrés dans le silence le plus total de la communauté internationale. Le mystère demeure encore aujourd’hui – pourquoi les Droits de l’Homme et les autres organisations n’ont pas fait acte de cette tragédie ? C’est cette amnésie collective que dénonce ici l’artiste. Son œuvre met à la disposition des visiteurs des codex (fig.7) afin qu’ils puissent décrypter le message que le prisonnier veut leur faire passer. Triste est de constater que les personnes présentes préfèrent boire leur coupe de champagne plutôt qu’essayer de le décoder. “ C’est parce que les gens ignorent une seconde fois cette tragédie que ma démarche ici est réussi : mon travail représente l’ignorance“.

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Fig.7 codex

Le pli: Réciprocité et incertitude

Dans les plis des folioscopes (fig. 8 et 9) suspendus de la talentueuse artiste conceptuelle Shirin Sabahi (Téhéran, 1984), se cache un message.. ou plutôt deux. On y découvre un homme qui exprime par le langage des signes : “ I“, “ Love“, et “Man“. Selon la manière dont le livre est tenu entre les mains et les pages sont tournées, le personnage signe soit “Man I Love“ soit “Man Loves I“. L’artiste s’est ici inspirée d’une performance chorégraphique dans le langage des signes de Lutz Förster sur une chanson “The man I love“ des Gershwin Brothers.  «C’est la corrélation entre les différents éléments de la performance qui m’a d’abord interpellé, la combinaison entre le mouvement, le silence, la musique, la danse“  précise la jeune femme. En créant son folioscope, Shirin joue aussi au jeu du hasard  « il (elle) m’aime, il (elle) ne m’aime pas, il (elle) m’aime »,  “exprimant à la fois l’incertitude et la réciprocité des sentiments“, ajoutera-t-elle.

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Fig.8 Shirin Sabahi,…,Man I Love…&Maybe…Man Loves I…&Maybe…Man I Love, 2012, Flip-book, riso print, B&W, paperback, glue bound, 10.5 x 7.5 cm, Courtesy of the artist.

Shirin Sabahi, détail

Fig. 9 Shirin Sabahi, détail

Artiste de renommée internationale, Monir Shahroudy Farmanfarmaian  (Qazvin, 1924) occupe, comme l’explique Michel Dewilde, “un rôle clé dans l’histoire de l’art moderne et contemporain en Iran mais aussi bien au delà“.  C’est dans les années 60 que l’artiste met en place “ un dialogue inédit entre les motifs locaux iraniens et une interprétation personnelle des formes de l’art moderne occidental“ raconte le commissaire d’exposition. Dans “Zahra“ ( fig.10) Le miroir est alors métamorphosé, plié, fragmenté en formes géométriques déstructurées où le regardeur ne distingue plus qu’un vague reflet de sa silhouette comme presque absorbé. Mais ainsi déformé, la provenance originelle du miroir devient aussi incertaine. D’Orient ou d’Occident ? On ne sait plus.

Monir Shahroudy Farmanfarmaian, Zahra, 2009, Mirror mosaic and reverse glass painting, 185 x 135 cm

Fig. 10 Monir Shahroudy Farmanfarmaian, Zahra, 2009, Mirror mosaic and reverse glass painting, 185 x 135 cm

En somme une exposition intelligente au delà des clichés qui révèle la modernité, la diversité et la créativité de la scène contemporaine iranienne.  A ne pas rater!

CAB, le centre d’art contemporain qui ose !

 Le projet de ce centre d’art contemporain -à mi chemin entre une galerie et une institution- a vu le jour sous l’impulsion d’un sympathique homme d’affaire belge passionné d’art. Anciennement entrepôt d’une industrie de charbonnage, le magnifique espace privé de 650m2 -inauguré en 2012- accueille deux expositions par an.

La volonté artistique affichée est ambitieuse et différente de ce qui existe actuellement à Bruxelles : “Le CAB vise d’abord à donner une visibilité internationale à des artistes absents des musées et galeries“ explique Eléonore de Sadeleer, directrice du CAB et précisera-t-elle de ““de favoriser l’échange et la rencontre entre des artistes de pays émergeant et du public belge“.

Après la dernière très belle exposition consacrée aux artistes de Sao Paulo, le CAB a choisi faire découvrir en 2013 l’Iran, “un pays très riche historiquement où nous avons découvert au fil de nos échanges une scène artistique à la fois très active et passionnante“.

Informations Pratiques:  The Fold : Absence, disappearance and loss of memory in the work of 12 Iranian artists, jusqu’au 15 juin 2013 . CAB Art Centre, 32-34 rue Borrens, 1050 Bruxelles, Belgique

Remerciements: Merci infiniment à Eléonore de Sadeleer, Azar Mahmoudian,  Homayoun Sabahi, Arash Hanaei et Shirin Sabahi d’avoir accordé de leur précieux   temps à artbruxelles.

Enfin un grand merci à mon photographe Djoudjé et à mon traducteur Arya O.



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