Istiklaliya
Infiné
France
Note : 7/10
Allier la musique classique et plus particulièrement le piano à l’électro voire la techno, tel est l’objectif hautement ambitieux que s’est fixé le trio Aufgang. Le batteur Aymeric Westrich et les deux virtuoses des touches noires et blanches que sont Rami Khalifé et Francesco Tristano avaient réussi avec brio ce tour de force avec leur premier album Aufgang en 2009. J’écoute encore avec un immense plaisir cet album qui n’a pas pris une ride avec des titres aussi percutants que sobres comme Channel 7 ou Sonar. De sobriété il va en être question dans ce texte, car ce deuxième album intitulé Istiklaliya (« indépendance » en arabe) a fait des choix plus affirmés vers un son plus électro et plus dansant. On connaît l’attirance particulière de Francesco Tristano pour Jeff Mills et tout porte à croire qu’il n’a pas peiné à embarquer ses compères vers les BPM plus élevées. Certes cet opus réveille en nous le démon de la danse, mais on a aussi l’impression d’une finesse perdue et de pianos relégués au second plan par les machines qui prennent le pouvoir. Le résultat est par conséquent assez mitigé pour moi, j’ai à la fois envie de soutenir le projet ambitieux d’Aufgang qui déborde d’un talent fou, mais aussi peur qu’ils perdent leur originalité avec une musique un brin tape-à-l’œil en perdant singulièrement en nuances.
Kyrie symbolise pleinement les aspirations de ce nouvel opus, la douceur du piano est vite soutenue par des sonorités plus âpres qui donnent une tonalité très sombre au morceau. La montée en puissance très linéaire donne un souffle épique au morceau, cette ouverture a le mérite de taper fort et de nous préparer pour la suite. Balkanik contraste ensuite avec un son aux confins du free jazz, la fin mettant à l’honneur un piano mutin. Ellenroutir revient en des contrées explorées lors du premier opus, la douceur du piano et les synthés vintage dignes de Air révèlent le pouvoir cinétique du morceau. Certes, le titre est plus attendu, mais particulièrement touchant.
Arrive alors le morceau taillé pour les dancefloors, Vertige, qui fera perdre la tête à plus d’un noctambule. Les turbines sont à fond, le début me fait penser à la rugosité rock de Poni Hoax avant une explosion sonore digne de Birdy Nam Nam et rappelant même Justice. Une course-poursuite nocturne anxiogène à souhait. Aufgang aime surprendre et ce n’est pas Abusement Ride qui va déroger à la règle : avec les sonorités aquatiques math-pop et le chant de Tyondai Braxton, on se retrouve face à une créature hybride entre Caribou et Battles. Surprenant, et l’enseignant que je suis aurait presque envie de mettre « à la limite du hors-sujet » dans la marge.
La deuxième partie de l’opus perd ensuite en intensité, le piano d’African Geisha touche par sa retenue, mais le morceau traîne en longueur et un sentiment d’ennui vient discrètement pointer son nez. Heureusement Diego Maradona arrive telle la main de Dieu pour, après quelques brillants passements de jambes, nous tacler sévèrement les deux pieds en avant pour nous sortir de ce début de torpeur incontrôlée. Morceau extrêmement riche à la structure farfelue, je le qualifierai de délire de rave qui survient aux alentours de 5h du matin, lorsque les derniers résistants titubent face aux enceintes. Les deux derniers titres se montreront plus dispensables, Stroke et sa rythmique sous acide est monolithique et sans grande surprise alors que les 13 minutes de Rachael’s Run se présentent un peu trop comme un exercice de technique résumant les influences de l’opus.
Même si le résultat me séduit moins que le premier album, ce Istiklaliya mérite le détour, car il confirme toute l’inventivité d’Aufgang et permet à ce trio de se faire une place atypique dans le paysage musical actuel.
Morceaux préférés: Vertige – Kyrie- Diego Maradona- Ellenroutir