Et si l’entreprise française était dysfonctionnelle par construction ?

Publié le 10 mai 2013 par Christophefaurie
Un exemple d'un exercice que je demande à mes élèves. C’est l’exercice du paradoxe : repérer un comportement bizarre ; l’expliquer par une logique qui n’est pas la nôtre. Un truc ? Commencer par une explication négative (idiotie), puis passer à une explication positive (dans les mêmes conditions, j’aurais fait pareil).
Que donne l’exercice ? Lorsqu’il est appliqué à l’entreprise, il la montre ridicule. Par exemple, pourquoi, pour ne pas perdre leurs congés, les contrôleurs de gestion de telle société sont contraints à les prendre en mai ?!
Voici deux explications proposées par moi. L’une positive, l’autre négative.
  • Explication positive. Conséquence de « l’organisation » sociale. L’activité collective est organisée par des règles. Et ces règles ont des exceptions. Mais, c’est un moindre mal. C’est ainsi que nous avons inventé le feu rouge. Le feu rouge est une bonne idée, mais, de temps à autres, il nous force à nous arrêter alors qu’il n’y a pas un chat dans la rue. Idem pour les entreprises et leur organisation.
  • Explication négative. Elle vient du professeur d'organisation Jean-Pierre Schmitt. Selon lui, l’entreprise française est conçue « par des ingénieurs (non formés à l’organisation) ». Il entend par là des théoriciens ne connaissant rien à la réalité. Résultat ?  Une organisation du travail théorique, inadaptée, pas conçue pour l’aléa, insensible à l’évolution de son environnement concurrentiel. Ce handicap monstrueux doit être compensé par l’exploit permanent des opérationnels (le fameux « mode pompier »). C’est un miracle non durable. En particulier parce que l’entreprise est quasiment incapable de changer (au mieux douleur, coût et improvisation) ou de croître.
Cette explication est aussi celle de Platon. Il disait que nous devions organiser la société selon des principes abstraits, que nous trouverions dans notre tête. Hannah Arendt pensait qu’il avait tiré cette idée de l’expérience de l’artisan, qui est guidé par l’idée de l’objet qu’il veut fabriquer. Certes, mais elle résulte d’une vie de pratique. Et s'il fallait que nos ingénieurs commencent par connaître la réalité avant d’avoir des idées ? (Est-ce ce que Hannah Arendt entend par vita activa ?)