Personne ne me protégeait

Publié le 09 mai 2013 par Lana

Un court instant plus tard, on me dit qu’il était temps de me préparer à aller au lit et on m’ordonna
d’enlever mes vêtements de tous les jours et d’enfiler une robe d’hôpital. Alors que je me
déshabillais, la pièce de métal et le briquet tombèrent de ma poche sur le sol, ce qui attira l’attention
de l’infirmière.
« Donnez-moi la pièce de métal et le briquet, Elyn », exigea l’infirmière.
Mon Dieu. « Non », fis-je « j’en ai besoin pour me protéger »
« Vous n’en n’avez pas besoin, nous vous protègerons » dit-elle. « Donnez-les-moi ».
« Non !» insistai-je. « Vous ne les aurez pas tant que je n’aurai pas décidé de vous les donner, et je
ne l’ai pas décidé. Des mesures seront prises si vous essayez de me les prendre »
Je ne sais pas d’où cela m’était venu. Je ne sais pas pourquoi je ressentais cela pour l’anneau de
métal et le briquet ni pourquoi je menaçais l’infirmière. Je n’avais aucune intention de la brutaliser ni
elle ni personne d’autre ; en réalité, je me sentais petite et sans secours, sans souhait (ni possibilité)
de blesser quiconque. Cependant, les mots sortirent de ma bouche, spontanés et effrayants, et je
m’étais perchée de tout mon haut lorsque je les avais déversés.
L’infirmière fit demi-tour et sortit de la chambre. Quand elle revint après plusieurs minutes, elle était
accompagnée de plusieurs personnes. Une bande de quatre ou cinq costauds, en réalité.
« Elyn, nous souhaitons que vous vous installiez vous-même », dit fermement l’infirmière. « Et si vous
ne le faites pas volontairement, nous le ferons ».
Je ne pouvais pas le croire. «Je suis désolée, je suis désolée » suppliai-je. « S’il vous plait, ne
m’attachez pas à nouveau. Je serais sage. De toute façon, c’était une simple plaisanterie, s’il vous
plait !»
Mais j’avais déjà perdu la bataille et je le savais. Aussi, je m’étendis passivement sur le lit alors que le
personnel pratiqua son travail manuel. Cette seconde fois fut presque pire que la première, car je
savais ce que les prochaines heures allaient être.
En dépit du Trifalon qu’on m’administra dose après dose, je fus attaquée par mon délire qui
m’envahit comme un essaim dense et serré. Les créatures du ciel voulaient me tuer ; les créatures
d’ici-bas étaient prêtes à l’attaque. Personne ne me protégeait. Et, au cours de la nuit, ma psychose
s’aggrava. Je chantais, je criais, je hurlais de terreur. J’étais attaquée. Je me débattis contre la
contention tant et tant que mon dos devint douloureux et ma peau à vif. Pendant tout ce temps, la
porte de ma chambre était restée ouverte ; chacun passant par-là pouvait regarder, et beaucoup le
firent.
Finalement, l’épuisement et le médicament me plongèrent dans le sommeil – un puits noir de rêves
et de cauchemars et un corps douloureux et abandonné.
Lorsque la lumière du jour s’infiltra, cela faisait en tout trente heures de contention. « S’il vous plait,
détachez-moi !» implorai-je, mais la réponse était un non pur et simple. S’ils avaient en tête un
échéancier pour ma libération, ils ne le partageaient pas avec moi. Le jour défila, et à huit heures du
soir, j’étais toujours attachée, pieds et poings liés.

Extrait du livre d’Elyn Saks, traduit par Alain


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