La Couleur pourpre marque clairement un tournant chez Spielberg, une volonté de sortir du cadre restreint du cinéma de genre pour enfiler les bottes du grand réalisateur que de nombreux spécialistes lui prêtaient depuis longtemps. Histoire sans doute de marquer définitivement son siècle, un peu comme un passage obligé. Volontairement ou non, on sent malgré tout le désir de répondre à une pression de ses pairs – ou à l’envie de reconnaissance officielle des professionnels qui, jusque lors, ne lui accordaient qu’un regard condescendant et le statut d’entertainer – doué, certes, mais pas assez classe/intellectuel/concerné pour jouer dans la cour des grands. Cela me fait irrésistiblement penser à Philip K. Dick qui a longtemps clamé ne jamais avoir été un écrivain de SF, mais bien un auteur de littérature mainstream aux visions iconoclastes. Un peu désobligeant de chercher à quitter une sphère dont le public est pourtant acquis à sa cause. Un peu dommage aussi que le cinéma de genre ne puisse pas conférer autant de valeur au travail d’un réalisateur, aussi performant et visionnaire soit-il.
Adapter la Couleur pourpre (roman d’Alice Walker ayant décroché le Prix Pulitzer), c’était aussi sans doute exprimer enfin de manière sérieuse des thèmes porteurs, des principes qui le grandissent. C’est aussi apporter sa pierre à un édifice qu’il entrevoyait déjà, une cause universelle, et sans avoir besoin d’utiliser des métaphores et des symboles : pour évoquer la différence, la tolérance, la famille, on va cette fois montrer directement de quoi il en retourne.
Après s’être lâché sur Indy, Spielberg semble avoir voulu mettre les petits plats dans les grands, se forçant à réviser proprement cette grammaire cinématographique dont il connaissait pourtant toutes les déclinaisons. Comme à son habitude, il va prendre son temps pour mettre en place son univers, ses personnages et développer des situations au travers de séquences de groupe ou des dialogues minutieusement préparés tout en laissant aux comédiens suffisamment de liberté pour avoir ce côté authentique qui caractérise son cinéma « familial ». Seulement, là où il brillait dans la mise en scène des enfants, il va devoir faire preuve de plus de rigueur et de subtilité tout en veillant à ne pas sombrer dans le pathos, la niaiserie d’émotions trop soulignées, le ridicule de situations trop appuyées ; peut-être cela l’a-t-il encouragé à ne pas prendre (pour la première et unique fois, si l’on excepte la Quatrième Dimension) John Williams pour illustrer musicalement ce film, histoire de laisser ses grandes envolées de violons de côté.
Il faut bien avouer que son pari n’est pas entièrement gagné. Le choix d’un style parfois ampoulé et de situations pas toujours crédibles dessert parfois cette œuvre véritablement ambitieuse portée par une volonté de bien faire engageante. D’autant que l’interprétation est étonnante : le premier grand rôle de Whoopi Goldberg, extrêmement convaincante en Célie, éclabousse l’histoire de ces Noirs plus ou moins bien intégrés, où les femmes n’existent que pour servir leur mari. Le résultat, quoique parfois longuet, est une chronique passionnante, véhiculée au gré de scènes bucoliques auréolées d’un peu de poésie, entre le Tennessee et l’Afrique : la photo d’Allen Daviau et une musique tout en retenue de Quincy Jones y sont pour beaucoup.
Danny Glover étonne dans la peau de cet homme brutal et maladroit, incapable de se rendre compte à quel point Célie lui est indispensable. Spielberg joue sur les couleurs et l’éclairage (les contrejours sont sublimes), des compositions de champ élaborées, une caméra parfois virtuose. S’il n’évite pas quelques clichés et facilités nuisant à certaines scènes (l’interpellation de Sophiaest ratée), il signe une œuvre qui emporte l’adhésion dans le dernier quart d’heure, porté par un gospel jubilatoire. La fin dégage énormément d’émotion et souligne la maîtrise d’un sujet difficile.
11 nominations à l’Oscar, aucune statuette remportée. 5 aux Golden Globes, un seul titre (celui de Meilleure actrice). Pas facile de convaincre un secteur assez frileux (on se croirait à un championnat du monde de patinage artistique). D’autant que le film a davantage choqué que convaincu.
Quoi qu’il en soit, les quelques maladresses çà et là n’entament pas pour moi l’impression d’avoir vu une grande œuvre.
Ma note (sur 5) :
4
Titre original
The Color Purple
Mise en scène
Steven Spielberg
Production
Guber-Peters & Amblin entertainment
Distribué en France par
Warner Bros.
Date de sortie France
10 septembre 1986
Scénario
Menno Meyjes
Distribution
Whoopi Goldberg, Danny Glover, Lawrence Fishburne & Rae Dawn Chong
Durée
154 min
Musique
Quincy Jones
Photographie
Allen Daviau
Support
DVD Warner zone 2 2011
Image
1.85:1 ; 16/9
Son
VOst DD 5.1
Synopsis : Au début du XXe siècle, dans le sud des Etats-Unis. Célie et Nettie sont deux sœurs noires, inséparables malgré les vicissitudes de leur condition. En effet, Célie, à 14 ans, a déjà accouché des enfants de son beau-père, enfants qu’on lui a aussitôt enlevés. La voici donnée à un fermier du coin, afin qu’elle s’occupe de sa maison. Mais il s’intéresse d’un peu trop près à Nettie, bien plus jolie qu’elle. Cette dernière ne se laisse pas faire et doit quitter leur maison, ce qui brise le cœur de Célie. Mais Nettie promet de lui écrire. Le temps passe, Célie reste toujours docilement au service de cet homme sans cœur et attend des nouvelles de sa sœur, la seule personne qui l’ait jamais aimée…