"Quand les corps disparaissent, où disparaissent les sentiments, les pensées ou les rêves qui les animaient ?"
Malgré leur foi, les parents du narrateur connaissent le jour et l’heure de leur mort. Ils l’ont décidée. Ensemble. Le 28 avril à 14 heures. Un dernier rendez-vous, en somme. Celui qu’on peut rater quelques fois, différer mais auquel on n’échappera pas de toute façon. Alors pour eux autant que leur dernier acte soit un geste de dignité, celui qui permettra d’échapper à la dégénérescence et aux souffrances de plus en plus présentes. Gravement malades, ils n’ont aucun espoir de guérison. Seul le pire semble se profiler. Alors, pourquoi s’acharner ?
Mais ça n’est pas aussi simple que cela, bien sûr. Au sein du couple, la décision semblait unanime, mais qu’en est-il vraiment ? Que restera-t-il de ce geste, auquel ils ont associé leur fils ? Les proches le percevront-ils dans sa dimension amoureuse et esthétique, comme ils l’ont souhaité ?
Ce roman est le croisement entre un récit – autofiction peut être, autobiographie, fiction, finalement, peu importe - et un essai (surtout dans la deuxième partie du texte, après la mort des parents). Assurément il n’est pas facile à lire, même si l’on est plutôt "partisan" du droit à mourir librement, du "suicide assisté"… Comment accepter la mort de nos proches ? Comment faire pour arriver à exprimer ce que l’on ressent alors que l’heure fatidique arrive et que bien des différences opposent les enfants et les parents ? Le récit n’omet pas la douleur ni les souffrances, que ce soient celles des parents ou celles du fils. Et, c’est probablement ce qui m’a donné plus d’une fois envie de refermer ce livre, non pas parce qu’il ne me plaisait pas, mais parce que je le trouvais parfois insoutenable.
Très bien écrit, dans une langue choisie, il a le mérite de s’interdire la position du juge face à un acte personnel et forcément complexe. Le fils comprend d’ailleurs que ses parents ne se réduisent pas à ceux qu’ils croyaient. La figure du père se complexifie et devient de page en page plus intéressante.
Le questionnement sur l’écriture, sur sa fonction et sa forme, fait partie intégrante du roman. Celui-ci commence d’ailleurs la veille du "suicide" du couple. On pourrait d’ailleurs l’envisager comme un renouvellement de l’élégie.
Au coeur des valeurs humaines, entre transmission et acceptation de la part de mystère de l’autre, ce récit- qui ne plaira certes pas à tout le monde – a le mérite de bousculer son lecteur, de le faire réfléchir sur ses positions, quelles qu’elles soient avant de tourner la première page…
"Le véritable drame de notre existence n’est pas dans notre finitude, mais dans notre capacité ontologique à communiquer et à sortir, ne serait-ce qu’un éclair de temps, de notre solitude existentielle."
"Le véritable tabou autour de la mort, ce n’est pas d’en parler, mais de la demander en toute connaissance de cause, avec cet apaisement tranquille qui en fait une étape inhérente à l’existence."
Pierre Béguin, Vous ne connaîtrez ni le jour ni l’heure, éditions Philippe Rey, janvier 2013, 17 euros.