La Culture « Makers » comme mode de pensée et le partage comme philosophie

Publié le 09 mai 2013 par Monartiste

Séjour à Barcelone et sortie mondiale du cosmonaute oblige, je ressors et met en en lumière ce projet qui me tient à coeur.

elcosmonauta

«  On n’a pas d’argent, mais on a des choses à dire. A montrer. A partager »

Derrière cette vague créative, il y a une volonté également de jeunes professionnels qui n’est pas encore véritablement pris en compte par les instances publiques comme le Centre National de la Cinématographie, d’affirmer son indépendance et de réaliser les films qu’ils souhaitent, comme ils le souhaitent sans carcan. Avoir à l’esprit de franchir une nouvelle étape au cinéma indépendant,  faisant en sorte que le terme « indie » ne soit pas aujourd’hui uniquement un qualificatif pour ranger les films dans une case. Au cours des quinze dernières années, le monde du cinéma a fait d’énormes efforts pour démystifier le processus de production et donner accès au cercle fermé du financement et de la distribution. C’est un premier pas, mais elle n’a pas donné aux cinéastes l’indépendance, le  vrai pouvoir de faire le film qu’il souhaite. Courir après le financement et essayer de mieux comprendre les subtilités de la production ont sans nul doute distrait la profession et tout particulièrement les jeunes réalisateurs indépendants de ce qu’ils devaient véritablement entreprendre.

Je reprends les propos de Ted Hope qui n’a pas hésité à pousser un cri et qui résume assez bien l’état d’esprit actuel d’un certain nombre d’acteurs du monde du cinéma indépendant.

« nous avons appris à faire des films et la façon de les mettre sur le marché, c’est à notre génération de franchir une nouvelle étape en s’adjugeant la commercialisation et la diffusion des films, pour réussir à les faire comme on le souhaite et à les voir comme on souhaite les voir. Evidemment, nous avons aujourd’hui plus de possibilités et il n’y a jamais eu autant de films, mais ce n’est pas encore la liberté. Nous devons assumer la responsabilité de raconter des histoires uniques d’une manière unique. Nous nous voulons innovateurs et révolutionnaires, mais cela nous vaut des responsabilités supplémentaires. C’est à nous de prendre notre avenir en main, de mieux connaître les attentes du public, d’aller à leur rencontre et de leur permettre de choisir, d’une manière intelligente. Pendant quinze ans nous avons transposé des modèles économiques existant, plutôt que d’avoir développé un modèle propre au cinéma indépendant en adéquation avec notre vision. Nous sommes à l’aube d’une culture cinématographique libre et gratuite, mais il est nécessaire de remettre en cause les fondements de l’industrie cinématographique, ne pas avoir peur de renoncer à la gloire, et cesser de demander aux autres de distribuer et commercialiser pour nous ? Si l’on possède la liberté de pouvoir raconter les histoires que nous souhaitons, nous devons réfléchir et travailler ensemble à un espace pouvant les accueillir. Nous devons nous éloigner du rêve de gagner les oscars pour fonder une communauté de cinéma libre. Nous devons prendre conscience que le développement de cette culture libre nous engage sur un chemin très différent et loin du prestige qu’offre les productions spécialisées indépendante, mais nous y gagnerons ce qui n’a pas de prix, la fin de l’autocensure.  Mais pouvons-nous accepter que d’être cinéaste, c’est prendre la responsabilité totale de nos films, de la production à la distribution et la promotion ? L’indépendance est à notre portée, mais nous devons faire ce que nous avions jamais fait auparavant: nous devons choisir !

Repenser l’économie du cinéma indépendant et offrir ce que nous pouvons faire de meilleur à une audience désireuse de nouveautés et d’expériences est la plus belle des victoires…

l’autoproduction n’est  plus l’apanage d’artistes en herbe mais devient le modus operandi d’un nombre croissant d’artistes établis, confrontés à la réduction drastique des opportunités qui se présentent à eux dans les maisons de production. Ils s’accaparent les nouveaux moyens de production et diffusion qui apparaissent pour tirer leur épingle du jeu et conserver toute leurs libertés d’action et de création.

L’actuel modèle économique de l’industrie audiovisuel s’appuie sur des consommateurs qui ne font pas de choix, qui agissent par impulsion et consomment ce qu’on leur propose (télévision broadcasting) et qui répondent à leur besoin. Nous devons leur donner les moyens de faire des choix. Le numérique leur offre la possibilité d’avoir accès à un contenu exceptionnel, mais pour pouvoir choisir d’une manière intelligente et non impulsive, il faut pouvoir rechercher selon ses goûts et savoir où chercher en s’appuyant sur sa culture. Lorsque nous ne verrons plus les internautes comme des ennemis, que nous les impliquerons dans les processus et ne seront plus considérés comme des consommateurs, les choses changeront et le cinéma retrouvera de la valeur à leurs yeux. Nous allons pouvoir atteindre un public avide de nouvelles expériences et d’émotions.  Nous pourrons nous laisser guider, car pour la première fois, nous pouvons être en contact réel avec eux grâce aux réseaux sociaux, dépassant la simple relation de vendeur consommateur.

 Ainsi une nouvelle fois le problème du cinéma indépendant, au-delà de la difficulté de pouvoir se financer, c’est de trouver son public. D’où la nécessité (très bien comprise par cette nouvelle génération) de trouver une nouvelle façon de financer la création, mais aussi de pouvoir se faire connaître et être diffuser. Il s’agit non pas uniquement une question de financement ou de perte financière comme essaye de le faire croire l’industrie, mais aussi une question de diffusion. C’est une stratégie globale de financement et de diffusion qu’il convient d’inventer et de mettre en place.

Le projet de long métrage espagnol « El cosmonauta » fondé sur la participation des internautes, du co-financement au processus créatif et à la diffusion est pour moi  emblématique de cette vision globale qu’il faut adopter.

Ce  projet de cinéma porté par une jeune société de production madrilène, Riot Cinema, est caractéristique de ce nouveau courant, s’affirmant grâce à internet et s’appuyant sur le public pour exister. De cette nouvelle stratégie gagnant-gagnant émerge un nouveau modèle plus créatif, plus libre et complètement adapté au spectateur.

Les trois membres de Riot Cinéma Collective voient plus loin que la protection des droits d’auteurs contre l’utilisateur, en s’appuyant sur les nouvelles tendances et les nouvelles habitudes de consommation amenés par internet comme la prise de pouvoir des consommateurs, la libéralisation des contenus et la recherche de l’expérience et de la valeur ajoutée. Mais comment envisagent-ils concrètement le financement de la création ? Alors que la chaine de financement classique s’enraye, à qui pourra-t-on s’adresser pour financer un long métrage, lorsque l’on sait que le budget moyen tourne autour de 2,5 millions d’euros ? Les chaines de télévision affaiblies par la chute des revenus publicitaires ne sont déjà plus dans la course, s’adresser directement aux internautes est-il possible et cela suffira-t-il ? Un modèle économique s’appuyant sur la libéralisation du contenu est-il viable ?

La révolution numérique a totalement bousculé le modèle économique du cinéma. A travers le projet « El cosmonauta », ils nous démontrent que développer un long métrage de science fiction loin de l’industrie est possible. En redéfinissant le modèle de production et de diffusion, ils ont réussi à s’affirmer et s’exprimer librement. Ils répondent à de nombreuses questions laissées en suspens par la lamination du circuit indépendant par la crise.

Ils écrivent une nouvelle page de l’histoire du cinéma indépendant et l’espoir de voir émerger et s‘épanouir une culture libre demeure.

Une nouvelle histoire s’écrit à laquelle Hitchcock aurait sans nul doute aimer participer

Les moyens financiers seront forcément moindres que dans des productions classiques ou sans l’appui de noms prestigieux. Cependant il s’agit de prendre de court les grands studios grâce à l’état d’esprit frondeur et solidaire des communautés d’utilisateurs de réseaux sur Internet. Les mêmes qui piratent les blockbusters seront finalement ravis de participer à des projets qui les rendent acteurs d’une véritable aventure artistique.

Une nouvelle dynamique que n’aurait pas renié Alfred Hitchcock, lui  qui expliquait qu’il était prisonnier des compromis financiers et commerciaux :

« Que se passerait-il si l’on donnait à un peintre une toile vierge qui a elle seule vaudrait un million de dollars, une palette de 250 000 dollars, 300 000 dollars de pinceaux, une boîte de couleurs de 750 000 dollars et qu’on lui dise ensuite de faire ce qu’il désire selon son inspiration, mais sans perdre de vue que le tableau terminé doit rapporter 2 300 000 dollars ? »