Après l’immense succès du 5 mai, il faut constater un autre élément de continuité entre François Hollande et Nicolas Sarkozy : leur attitude face aux mobilisations populaires venues de la gauche. La réponse du pouvoir à la marée citoyenne du 5 mai n’a rien à envier aux postures si habituelles sous la Cinquième République d’un exécutif « droit dans ses bottes », avec seulement les talonnettes en moins.
C’est Ayrault qui s’est chargé de promener un visage de marbre dimanche au JT de TF1. Les 180 000 personnes dans la rue ont été évacuées avec mépris : « Mélenchon va jusqu’à proposer dans certains de ses discours de ne pas rembourser la dette, ce n’est pas sérieux ». Ce n’est pas Claire Chazal qui allait le relancer sur le sujet. Elle a préféré insister sur les « entrepreneurs » qui s’inquiètent du surmoi socialiste qui pourrait subsister dans ce gouvernement par ailleurs si accommodant. Ayrault a pu les rassurer. La principale annonce de sa pesante prestation, pain bénit pour les pigeons, se dissimule derrière une formule : l’Etat va « dégager une partie [du capital des entreprises dont il est actionnaire] pour financer l’investissement ». Cela valait la peine de réorganiser le service de communication de Matignon pour inventer cela, non ? Dit en français, il s’agit de privatiser. Et pas n’importe quoi : les entreprises du secteur énergétique comme Areva, EDF et GDF-Suez. Ceci juste après l’ouverture au secteur privé des concessions des barrages hydro-électriques. Décidément ce premier ministre qui s’est présenté comme un cultivateur obligé de replanter plusieurs fois les mêmes graines n’a pas la main verte.
Le lendemain, nouvel exercice de communication avec un séminaire gouvernemental à l’issue duquel la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem déclare : « il faut être offensif ». Elle aurait pu ajouter contre le peuple quand on entend la suite du programme : « garder la ligne envers et contre tout ». On croirait quelqu’un qui promet de faire un régime la veille de Noël ! Et pour que le message soit clair, elle a ajouté texto : « il ne faut surtout pas changer de braquet ».
Cette porte fermée l’est directement dans la figure de Pierre Laurent et de plusieurs responsables de la gauche du PS qui avaient utilisé cette formule en précisant parfois qu’elle était largement préférable à l’excessif coup de balai réclamé par Jean-Luc Mélenchon. Autrement dit, le gouvernement n’admet même pas la critique latérale. Il renforcera donc la critique frontale. Car il lance un défi à tous ceux qui s’opposent à l’austérité : à vous de changer de braquet. Le pouvoir annonce en effet qu’il ne bougera rien. L’an II s’ouvre par des privatisations. Il prévoit la ratification de l’accord made in Medef, la mise en œuvre de l’acte III de la décentralisation, l’allongement de la durée de cotisation pour les retraites et de nouvelles coupes dans les dépenses visant à la fois les services publics et les collectivités locales. Il est dans la continuité du projet sarkozyste que le candidat Hollande résumait ainsi : « le démantèlement du droit du travail avec ces accords compétitivité-emploi, la mise en cause d’un certain nombre de droits fondamentaux pour la protection sociale, les attaques contre les collectivités locales jugées trop dépensières, c’est l’austérité comme seule perspective ! ».
On notera qu’à cette époque Ayrault n’avait pas dit comme il l’a prétendu à ce JT que l’austérité est une « invention de propagande ». Pauvre ruse ! Même cette dérobade face à nos critiques a été jugée trop désagréable pour les oreilles d’Angela Voldemort. Elle n’a donc duré que 24 heures. A Berlin, l’inénarrable Pierre Moscivici en a rabattu pour conserver la « compréhension » de son homologue conservateur Schaüble :« nous ne voulons pas faire des plans d’austérité qui vont plus loin que le nécessaire». Oui vous avez bien lu. Quand ils sont devant la droite allemande, les voilà qui minaudent : notre programme c’est l’austérité petit braquet. Quelle déchéance !
J.L. Mélenchon sur LCI dans « Politiquement Show… par lepartidegauche
Je revoyais récemment cette émission télévisée réalisée dans un moment du quinquennat Sarkozy qui rappelle celui que nous vivons. L’affaire Woerth venait d’éclater et la réforme des retraites était mise sur les rails. Déjà. Les commentateurs réunis par Michel Field s’inquiétaient alors de la gravité de la crise morale. Ils pointaient la responsabilité d’un système et les dégâts dans les classes populaires du rapport à l’argent révélé par l’affaire Woerth. Sur le plateau, Olivier Duhamel mettait en cause la Cinquième République. « Il y a un problème de système politique. Nous avons un système politique qui n’est pas apte à gérer ces crises parce que tout est concentré, parce que tout est monopolisé. Et parce qu’avec la monocratie hyperprésidentialiste de Nicolas Sarkozy ça s’est aggravé. Alors que dans d’autres pays, d’une part toucher un ministre, ce n’est pas toucher le président de la même manière, parce qu’un ministre a une autonomie qu’il n’a pas ici. Et parce que d’autre part, dans des systèmes comme les démocraties parlementaires, dans le pire des cas, vous avez démission du premier ministre et nomination d’un nouveau premier ministre. Et ce n’est pas dramatique. En France, vous ne pouvez pas faire ça. En France, la démission du premier ministre ça ne sert à rien et la démission du président de la République c’est un cataclysme. » Je n’ai pas vu si Olivier Duhamel est venu manifester le 5 mai. Mais je vois bien que Hollande répond à cette crise par une pratique renforcée de la monocratie présidentielle : déshabillage en place publique des membres de son gouvernement, humiliation des parlementaires, à commencer par le président de l’Assemblée Nationale, refus de l’amnistie sociale votée par les sénateurs PS le jour de la commission des lois à l’Assemblée, remaniement annoncé « le moment venu » histoire de rappeler qui nomme les ministres et les mettre tous sur le grill… Hollande fait exactement ce que fit alors Sarkozy pour traverser la tempête. Cela n’a rien d’original. Il applique le conseil qu’adressait dans cette même émission le directeur de la rédaction du Figaro à Sarkozy : « parler vite, remanier ferme et agir fort ». Mais il y a une grande différence entre ces deux moments. A cette époque, Sarkozy était à la veille de la présidentielle. Les Français avaient la possibilité de le sanctionner à brève échéance. La proximité du vote a offert une soupape à la colère. Cette fois, il reste 4 ans dans ce quinquennat. Vu le tunnel de souffrances qui s’annonce, il est illusoire de compter sur la patience du peuple. Nous voilà donc appelés à redoubler nos mobilisations. Car sinon, à s’entêter de la sorte, le pouvoir annonce un an II fois pire.