« Profession ?
Survivante», murmura-t-elle - ce fut le premier mot qui lui vint à l'esprit. »
7 ans les séparent. Ils se retrouvent, chacun avec leurs secrets. Lui, le militaire parti en guerre. Elle, qui a vécu cachée dans les bois. Leur fils, ce petit animal qui n'a plus aucun souvenir de son père.
Un premier roman attachant qui se démarque en abordant des sujets qui sont légion en littérature – la guerre, la séparation, l'exode – sous un angle différent, celui des retrouvailles. Amanda Hodgkinson soulève, avec beaucoup de finesse, plusieurs tabous. Après la guerre, combien de familles ne se sont pas retrouvées ? Combien l'ont-elle décidé ainsi ?
Chercher les siens pouvant être considéré comme un retour en arrière. Comment être celui ou celle que l'on n'est plus ? Bâtir une nouvelle vie. Ne rien vouloir savoir de ce que l'autre est devenu. Par peur de souffrir à nouveau, parce que l'on est tombé amoureux de quelqu'un d'autre, parce tout a changé.
Janusz et Silvana y ont pensé. Ils vont pourtant tenter de reconstruire leur vie de famille. Rien n'est simple et l'auteure, par petites touches, apporte beaucoup de psychologie et de subtilité aux personnages. Personne n'a tort. Le lecteur pourrait prendre la défense de chacun des protagonistes.
Le tableau de famille semble si réel que j'ai eu le sentiment d'être à l'intérieur des personnages. Malgré quelques longueurs, 22 Britannia road est un roman mélancolique sur la nostalgie des jours enfuis et la recherche de sa place dans le monde. La fin m'a beaucoup touchée. J'ai aimé cette métaphore du jardin anglais.
Extrait
« Le garçon était tout pour elle. Petit et turbulent, il avait l'allure effarouchée d'une créature sauvage surprise en terrain découvert. Dans son corps d'enfant, dans son regard vif, palpitait le cœur obscur de tous ceux qui avaient été perdus et retrouvés, tous ceux qui n'avaient jamais été oubliés. Elle l'aimait avec cette force implacable qui fait jaillir les forêts des profondeurs de la terre et craignait pourtant que cela ne suffise pas pour le garder. Alors elle l'emmenait en Angleterre, déterminée à ce que Janusz l'aime aussi et qu'il le protège.
Sur la liste d'embarquement, elle était inscrite sous le nom de Silvana Nowak. Vingt-sept ans. Mariée. Mère d'un garçon de sept ans, Aurek Josef.
«Quelle est votre profession ?» lui demanda le soldat, en vérifiant les papiers d'identité qu'elle lui tendait.
Elle regarda les documents posés sur le bureau et vit des feuilles couvertes de noms, chacun suivi de la mention «femme au foyer» ou «domestique».
Derrière elle, des centaines d'autres femmes, pareillement vêtues d'habits distribués par les bonnes œuvres, attendaient en silence avec leurs enfants. Au-dessus de la tête du militaire, un panneau rappelait en différentes langues, dont le polonais, le règlement de bord : Tous les draps et les couvertures demeurent la propriété du bateau. Tous les articles volés seront confisqués.
Silvana resserra son étreinte autour de son fils. Le soldat lui lança un rapide coup d'œil, puis replongea aussitôt le nez dans ses papiers. Elle comprit qu'il était gêné de voir une femme aussi négligée, un enfant aussi agité. Elle porta une main à son foulard, s'assura qu'il était bien en place, et appliqua fermement l'autre dans le dos d'Aurek pour le forcer à se redresser.
«Profession ?
- Survivante», murmura-t-elle - ce fut le premier mot qui lui vint à l'esprit. »
Lu également par Aifelle, Denis, Enna...