Sang noir, un récit bouleversant sur la catastrophe minière de Courrières

Sang noir de Jean-Luc Loyer retrace la tragédie de Courrières en 1906 qui a vu l’explosion de la mine de charbon de la ville et provoqua la mort de 1099 mineurs. Cette catastrophe eu pour conséquence de grands mouvements sociaux et des grèves.

Richement documenté, Sang noir, permet à Jean-Luc Loyer, au-delà de la catastrophe, de nous raconter la vie des mineurs dans le Nord de la France : leurs difficultés, leur espoirs, la vie, la mort et les délicates conditions de travail au fond des mines. Un travail remarquable de reconstitution.

Le contexte politique historique est riche en 1906. Armand Fallières succède à Emile Loubet à la présidence de la république. L’année précédente, Aristide Briand propose de faire voter la loi de séparation des églises et de l’Etat.

Du côté économique, la France change de visage avec l’Industrialisation.  En effet, au début du XXe siècle, la France est en plein essor industriel. De nombreuses innovations technologiques sont apparues, qui ont donné un véritable coup de fouet à l’économie. Le Nord, avec le textile, l’acier et surtout le charbon, explose en terme de productivisme. Le département du Pas-de-Calais compte à lui seul, 120 puits de mine, qui produisent quelque 20 millions de tonnes de charbon.

Mais à partir de 1905, la demande accrue de charbon bouleverse la donne, à cause du développement du chauffage urbain, des chemins de fer et des industries. Les patrons ne s’occupent plus trop des lois sociales qui ont été votées auparavant (temps de travail journalier réglementé, accès aux soins gratuits et à la retraite) et font fi de la sécurité de leurs ouvriers. Et ils embauchent des garçons et des filles dès 12 ans pour descendre dans la mine.

C’est dans ce contexte politique, religieux et social que le 10 mars, entre 6h30 et 6h40, une explosion d’une violence inouïe (dont les causes demeurent inconnues jusqu’à ce jour) propage en quelques secondes, une trombe de flammes sur plus de cent kilomètres de galeries. En fin de journée, seuls 576 mineurs ont pu s’extirper du brasier. Plus de 1000 manquent à l’appel. La recherche des survivants cessera trois jours après la catastrophe ; on retrouva pourtant 13 rescapés vingt jours plus tard. Il y aura 1099 morts au total, dont 242 enfants. Malgré ces nombreux morts, la direction de la Compagnie de Courrières fera dire solennellement : « … la compagnie ne peut en aucun cas se permettre de ralentir sa production…. » Cynique et troublant !

Les obsèques seront organisées le 13 mars. Et dès le lendemain, les mineurs de toutes les exploitations de houille du Nord descendent dans la rue et se mettent en grève. Georges Clémenceau, ministre de l’intérieur, fait intervenir l’armée pour contrôler les excès de ce 70 000 mineurs. Le 11 juillet 1906, la compagnie de Courrières sera dégagée de toutes responsabilités parce que la France a besoin de son charbon !

Après l’excellent album Noir métal, Jean-Luc Loyer revient avec une superbe bande dessinée. Il déroule le récit  de Sang noir chronologiquement, sans aucun oubli, en s’appuyant sur des recherches d’historiens de la catastrophe. Son récit est fort émotionnellement et très maîtrisé. Pour compléter son album, des planches d’introduction permettent aux lecteurs de bien saisir le contexte politique; ainsi qu’un cahier de notes et de documents (lexique et bibliographie) pour prolonger l’histoire, en fin de livre. Au milieu de l’album, une liste précise des mineurs décédés marque encore plus le côté humain et réel du livre. On y découvre des familles où 5 voire 6 personnes sont mortes. Glaçant !

Son trait semi-réaliste en noir et blanc, réhaussé de gris, permet une belle précision sur les objets du quotidien et de la mine, ainsi que de magnifiques planches en une case notamment la scène de l’explosion. Un album admirable et remarquable.

• Sang noir
  
• Auteur: Jean-Luc Loyer
• Editeur: Futuropolis
• Prix: 20 €
• Sortie: mars 2013