Rochefort | 2
Je la revois. Déjà, toute jeune elle était vieille, la vieille. En noir. Toujours. En tablier. Neurasthénique qu'elle était. Souffrait des nerfs. Venait même chez nous, à Fouras. Alors fallait faire gaffe qu'elle se balance pas dans le puits qu'on avait au bout du jardin. Avait des velléités de suicide paraît-il. Tu parles ! Elle bouffait bien, rotait à table. Je trouvais ça dégueulasse moi, avec mes sept ou huit ans, cette vieille qui rotait en plein repas. C'est les nerfs disait ma mère. Se rendait pas compte. Sa mère elle la protégeait. Et pourtant la vieille elle pouvait pas la piffer sa fille, c'est-à-dire ma mère. Lui trouvait tous les défauts. Elle préférait son autre fille la vieille, celle qui était mariée au grand con de gendarme maritime de l'arsenal de Rochefort. Elle préférait aussi les autres petits-enfants, ceux du grand con. Qu'elle nous bassinait avec ça : la communion de Marie-Claude, les diarrhées du Yves-René, je peux y aller maintenant, y a plus de risques, sont tous morts où presque, et on se connait pas. Quand même, la Marie-Claude, ma cousine, la fille du grand con je l'ai chopée après l'enterrement de notre grand-père, lui ai collé un baiser pleines bouches à la Marie-Claude qu'avait des pâmoisons qu'elle répétait la vieille, qu'elle en devenait blanche, au bord de calancher, qu'il fallait lui mettre la tête sous l'eau pour la dépânoiser. Moi ça me foutait les jetons cette histoire-là. N'empêche : après l'enterrement comment je te l'ai serrée la cousine. C'est sans doute la première fille que j'ai embrassée. Et elle s'est laissée faire. C'était sans doute pas le bon moment pourtant. Après un enterrement, c'était peut-être pas du meilleur goût vous me direz. Je l'ai fait pourtant. Tiens, je me souviens, c'était dans un raidillon de la rue qui descendait vers la gare de Rochefort. Il existe peut-être plus ce raidillon. Un raccourci ou je ne sais quoi. Mais je m'en souviens.