Cher Vieux Matou,
Vos petits sont grands aujourd’hui. Peut-être ont-ils quitté le camp de base. Peut-être se sont-ils eux-mêmes engagés volontairement au sein
Vous conviendrez, capitaine, ô mon capitaine, que la responsabilité est carabinée puisqu’il est de mon devoir de mener mes troupes à la libération. Or, la formation d’un bon petit soldat peut s’avérer pour ses parents un vrai parcours du combattant. S’il s’agit de faire flèche de tout bois, les forces d’intervention éducatives sont assez diversifiées. Il se trouve que ma propre légion étant étrangère (je suis la mère française d’enfants québécois), je peux profiter de deux forces alliées pour mettre sur pied mon propre gouvernement provisoire. En effet, l’issue du combat n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique. Quand en France, les parents sont surtout soucieux de la réussite de leurs enfants, les parents québécois, eux, se soucient avant tout de leur bonheur. L’offensive semble ferme d’un côté et sensible de l’autre. Alors quelle est la meilleure campagne, selon vous, cher Chat, pour obtenir son bâton de maréchal ?
En France, c’est un tout autre chant de bataille. L’implication parentale ne se mesurant pas à la précipitation, on s’évite rapidement les quarts de nuit en obligeant le nourrisson à attendre. À deux mois, après s’être égosillé sans obtenir sa ration, il n’a donc d’autres choix que de se plier aux règles de l’armée de Taire. On tire d’ailleurs volontiers à boulets rouges sur ceux qui n’apprennent pas rapidement la patience à leurs enfants. La politesse est également un fer-de-lance et le petit Français sait pertinemment qu’une capitulation n’est possible qu’après un défilé en bonne et due forme de petits mots magiques : « bonjour, au revoir, s’il vous plaît, merci ». Son homologue nord-américain, quant à lui, franc-tireur, fera irruption dans le frigo du voisin pour boire à même la pinte de lait, avant de prendre la poudre d’escampette sans piper mot et sans que personne ne l’ait dans le collimateur.
Et si en exemptant ce petit soldat de règles de politesse, on le privait de l’apprentissage de l’empathie ? Quelqu’un lui a-t-il dit qu’il n’était pas seul au monde ?
En France, non seulement, on milite pour garder un certain pouvoir décisionnel sur les permissions à accorder, mais aussi pour une vie
En France, comme au Québec, on veut ce qu’il y a de mieux pour nos enfants afin qu’au moment de passer l’arme à gauche, nous soyons rassurés sur leurs moyens de survie, de défense et d’attaque. Qui est plus susceptible de recevoir la médaille du mérite ? Celui qui pense réussite, performance, encadrement ? Ou celui qui pense tout simplement bonheur ?
Car voilà, « quand les talons claquent, l’esprit se vide », disait le maréchal Lyautey. Trop de règles ne finissent-elles pas par nuire à l’autonomie ? À lui imposer toutes ces grandes manœuvres, l’enfance ne perd-elle pas un peu de cette insouciance qui invite à la riposte ? À la bombarder de nos attentes, ne risque-t-on pas plutôt de lui tailler des croupières ?
Pour chacun de mes flos*, je veux être une armée de mères. Entre fermeté et sensibilité. Ils sont jeunes, mes mercenaires, et je reste encore le théâtre de leurs opérations terrestres, mais quand vient le salut aux couleurs, c’est toujours le drapeau blanc que nous hissons. Ensemble.
À la guerre comme à la guerre !
Sophie
* flo vient de l’anglais fellow. Un flo est un enfant au Québec.