Et en particulier sur le déplacement de la sculpture de Calder
Le débat sur « L’homme » du sculpteur Alexander Calder (1898-1976) vous laisse-t-il indifférent ? Vous souvenez-vous de cette œuvre imposante qui régnait sur la Place des Nations, aux beaux jours de l’Expo 67, avant qu’elle soit plus ou moins oubliée dans l’île aux pique-niques des Montréalais ?
Normand Charest – chronique Valeurs de société – dossier Culture
Pour ou contre son déplacement
Cette célébrité un peu négligée a fait l’objet de débats récemment, et Le Devoir a voulu prolonger les échanges d’opinions publiés dans ses pages, lors d’une soirée sur le thème de l’art public, animé par l’éditorialiste Antoine Robitaille, le 22 avril dernier, au Centre canadien d’architecture (CCA), situé au 1920 rue Baile, à l’ouest de Montréal.
On avait invité à ce débat : Marcel Côté, un économiste aussi impliqué dans le domaine de l’art ; Sarah McCutcheon Greiche, historienne de l’art et auteure de deux études sur le déplacement de l’œuvre de Calder ; Marie-Claude Langevin, chercheuse et auteure d’un mémoire sur le déplacement d’œuvres publiques ; puis François W. Croteau, maire de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie.
Au départ, les quatre invités étaient d’accord sur une chose : celle de mettre en valeur cette œuvre, ainsi que les 224 autres qui composent la collection d’art public de la ville. Cependant, leurs opinions s’opposent sur la manière de le faire.
Favoriser le centre-ville ou la vie de quartier ?
Les deux premiers invités (Mme McCutcheon Greiche et M. Côté) souhaitent déplacer l’œuvre de Calder au centre-ville afin de lui offrir une place appropriée. Une œuvre d’une telle valeur, nous disent-ils, doit être vue par le plus grand nombre. Selon eux, sa place est au cœur de l’agora, comme dit M. Côté, c’est-à-dire au centre-ville.D’ailleurs, des œuvres d’une telle envergure ont souvent été déplacées, ailleurs dans le monde, sans que cela cause de problèmes.
Pour les deux autres invités (Mme Langevin et M. Croteau), l’œuvre est inséparable de son milieu, de sa dimension historique et sociale. Ils proposent plutôt de restaurer l’environnement de l’œuvre. Cela donnerait en même temps l’occasion de revitaliser le parc des îles qui en a bien besoin.
De plus, loin de privilégier le centre-ville, le maire de Rosemont-La Petite-Patrie préfère favoriser la vie de quartier, puisque c’est là que l’on vit au quotidien. Et cela implique d’apporter l’art public en ces lieux, plutôt que de le réserver aux secteurs d’affaires et de bureaux.
Un art « public », et donc un art pour tous
Tous les invités parlent de l’importance d’investir dans l’art public. Mais l’animateur fait bien de soulever la question de la popularité des œuvres, qui ne font pas l’unanimité. Les invités évitent un peu la question, nous semble-t-il, en disant qu’il n’y a jamais de consensus public en art.
Or, faudrait-il s’en remettre exclusivement aux experts pour le choix des œuvres publiques, comme le suggère Mme McCutcheon Greiche ? Cela nous semble drôlement élitiste, et même contraire au sens de l’expression « art public ».
En effet, si cet art est « public », n’est-on pas en droit de réagir lorsque l’œuvre nous déçoit, en tant que citoyens ? Lorsque nous ne voyons pas comment cette œuvre coûteuse pourrait améliorer notre qualité de vie, alors qu’elle n’éveille en nous aucune sensation de beauté ou d’élévation ?
En d’autres mots, est-il utile de dépenser des fortunes pour des œuvres inaccessibles au plus grand nombre, dans une société où l’argent manque pour les projets publics ? Dans une société démocratique, on est en droit de se poser la question. Et sans être nécessairement accusé de vouloir niveler l’art vers le bas.
Il est facile d’aimer Calder maintenant, après plusieurs décennies de mûrissement, nous dit-on. Et il est normal de ne pas aimer les œuvres contemporaines du premier coup. Or, il faudrait informer le public, nous disent poliment les invités de ce débat. En d’autres mots, il faudrait faire son éducation.
Cependant, toutes les œuvres monumentales qui occupent les lieux publics ne sont pas d’égale valeur. Et pas seulement parce qu’elles sont trop abstraites et que les citoyens manquent de culture. Nous ne souhaitons pas, non plus, revenir aux statues édifiantes d’autrefois.
Élargir le débat et la notion d’art public : pour un art plus vert
Le débat sur la place de l’art public n’est donc pas terminé. Selon nous, la réflexion pourrait même s’élargir et remettre en question l’autorité des experts à choisir ce qui est valable et ce qui ne l’est pas pour l’ensemble de la population.