Quelques jours après la présentation de leur nouvel et très bel album acoustique Violence With Benefits dans l’église St Eustache (Paris), les frères Antoine et Nicolas Puaux ont très gentiment répondu à nos questions.
On va débuter par votre précédent album Narco Corridos, qui semble t-il ne vous a pas laissé indemne ?
Antoine Puaux : C’était un album dur à faire, dur à finir comme une grossesse compliquée. C’est un disque qui a été pensé très très longtemps avant de l’avoir fait.
Nicolas Puaux : Il y avait d’énormes ambitions dessus, avec un coté « on lache rien » sur l’album. On voulait aller au bout, tout dire musicalement. Antoine disait souvent qu’on voulait faire notre White Album, avoir un truc assez complet. Sauf qu’ils (ndlr Les Beatles) avaient dix disques derrières, pas nous.
AP : On voulait même faire un double album directement. C’était quand même un peu prématuré. C’était compliqué d’être un groupe en devenir et de sortir un deuxième album double.
NP : Cette ambition là était difficile à gérer.
AP : C’est un disque où il y a trois batteurs différents, il y a beaucoup d’instruments, beaucoup d’arrangements assez compliqués. C’est un disque qui a pris du temps où il a fallu donner à chacun son poste. C’était une super bonne expérience mais c’était un disque plus dur que celui d’avant et celui d’après.
NP : Avant ça, on fonctionnait comme un gros collectif avec tous les partenaires qui travaillaient avec nous, ingénieurs du son, etc. On s’est retrouvé là, à l’évidence qui fallait définir des postes et qu’on ne pouvait plus tout décider, tous ensemble, et qu’il y allait avoir des choix à faire. Notamment il y a eu un moment assez douloureux dans la cellule de ce collectif qui a été créé, où il a fallu dire « non ce n’est pas ça qu’on veut » quitte à créer des scission en interne. Je pense que ça, ça a été dur et humainement compliqué à gérer. Il y a eu une sorte de crise interne liée à ça.
AP : Rien de très original. Je pense que c’est quelque chose qui arrive à de nombreux groupes.
Ca vous est arrivé pendant l’enregistrement ?
AP : Pendant les prises, j’ai le souvenir que cela s’était plutôt bien passé. Parce que cela restait les prises et qu’on ne savait pas comment on allait modeler tout ça. Tout le monde est sorti en disant « wahou super ! ». C’est à partir des mixes et des décisions finales de comment doit sonner un disque, comment doit sonner ce morceau, qu’est-ce qu’on met en avant ou pas…
NP : Personne ne voulait lâcher son point de vu. On s’est retrouvé à la croisée des chemins. On n’était pas d’accord, il fallait bien prendre une direction.
AP : Toi et moi (en désignant Nicolas) on était plutôt d’accord. L’idée c’était après de faire passer le message au mixeur, aux partenaires, et même aux musiciens qui bossaient avec nous. Ca ça était compliqué.
Pour ce nouvel album Violence With Benefits vous êtes repartis comment ?
NP : Il y a eu cette envie du coup de faire les choses de façon beaucoup plus simple.
AP : Les rôles étaient plus définis. Sachant qu’on voulait faire un album acoustique on savait plus ou moins qui ferait quoi et on savait qu’on n’allait pas partir dans des arrangements grandiloquents. Il fallait qu’on rende sur scène ce qu’il y avait sur le disque. Même si sur le disque on s’est permis des trucs en plus.
NP : Le geste était quand même plus simple dans la réalisation à la base. S’il devait y avoir un avantage à la crise précédente c’était justement que les cartes étaient mieux distribuées. Et que chacun sache à l’avenir où il devrait se placer. Ca nous a permis de faire ce disque de façon très spontané, très simple, très rapidement.
C’est à dire, comment sont nées les chansons ? Vous étiez à Apt.
AP : On a commencé à travailler, Nico et moi, pour les arrangements de certains morceaux à la maison, avec deux guitares pour voir ce que cela donnait. On a un peu fait le choix des morceaux qu’on voulait. On ne voulait pas prendre les morceaux acoustiques et doux des albums précédents, histoire de plutôt faire des morceaux qui bougeaient et les faire de façon acoustique.
NP : Il faut bien entendre que ce troisième album c’est une compilation à la fois de nouveaux titres et d’anciens titres complètement revisités. Comme le dit Antoine cela aurait été relativement simple d’aller piocher nos morceaux acoustiques des précédents disques en disant « on va juste les jouer dans une chapelle et on verra ce que ça va donner, ce sera beaucoup plus beau ». En fait, non, il y avait vraiment la détermination de dire « ce n’est pas intéressant pour l’auditeur qui nous connaît d’écouter des titres qu’il a déjà entendus, donc retravaillons les ». Il y a donc une partie du travail qui a été faite, réfléchie entre nous avant de travailler en chapelle. Mais il y a eu aussi une résidence en chapelle régulière qui nous a permis de construire les chansons en fonction du lieu. La composition a été guidée en partie par la chapelle qui nous a un peu imposée son règlement.
Vous l’avez enregistré dans cette chapelle ?
NP : Tout à fait. On l’a travaillé, enregistré là-bas.
Comment s’est fait le choix de l’acoustique ?
NP : Il y a plusieurs facteurs. Déjà le fait qu’on est à l’aise avec l’acoustique, c’est un exercice qu’on aime bien. On a grandi là dedans avant d’avoir les moyens de pouvoir jouer électrique. Au final on a une guitare sèche et sa voix. Ensuite il y a eu l’envie aussi de faire ce disque posé qu’ont fait Nirvana avec Unplugged in New-York, ce sont des choses qu’on avait en ligne de mire. Pourquoi pas faire notre Unplugged in New-York à nous. Ca fera l’Unplugged in Apt, mais ça marche quand même.
Il y a eu aussi le fait que sur la tournée de Narco Corridos, c’était un peu compliqué de gérer le coté émotionnel qu’il y a dans la musique de Narrow Terence avec l’électricité qu’on voulait lui mettre. Là, je parle plus pour moi que pour Antoine peut-être. J’avais eu une sorte de frustration après la tournée de Narco Corridos. Je me disais « on est devenu un groupe péchu, on sait faire bouger les jambes, mais est-ce qu’on continue à s’adresser à l’âme ? » Ce truc là me manquait un peu. J’avais un peu peur en sortant des concerts de la tournée Narco Corridos qu’on ait perdu la fibre purement émotionnelle du projet. L’acoustique était une bonne manière d’y revenir, en réintégrant des cuivres, des cordes, en jouant avec les matières, les instruments, en livrant les voix, qui sont un point très fort du groupe. Tout cela explique cette envie d’acoustique.
Ensuite, c’est fait, on se tourne vers l’avenir, et le prochain album sera encore différent. Disons qu’on n’a pas défini notre univers avec ça. Il reste encore des choses à explorer.
Un DVD est fourni avec le CD, vous pouvez en dire quelques mots ?
AP : Le DVD c’est la captation du concert qu’on a fait à Apt en public. C’était la présentation des morceaux devant un public. Avec une équipe qui venait filmer ça pendant deux jours. C’est un témoignage de ce qui s’est passé à ce moment là sur le concert.
NP : C’était le premier concert qu’on a fait après avoir enregistré le disque. On a enregistré le disque, et le lendemain on a joué le concert qui a été filmé par les équipes d’Enkirama, Gabin Rivoire et Antoine Gazaniol qui l’a monté. La deuxième partie du DVD c’est un documentaire sur le groupe qui explique aussi ce qui nous a conduit à nous retrouver dans cette chapelle. L’histoire qu’il y a eu avant. Parce que c’est vrai que nous ne sommes pas particulièrement pieux et qu’on ne développe pas de complicité particulière avec les églises. Mais on a fini par faire un disque là bas, du coup on estimait que c’était important que les gens sachent pourquoi. C’est un documentaire de 26 minutes qui raconte ça.
Vous avez fait un concert dans l’église St Eustache, comment s’est organisé ce concert dans ce lieu ? Est-ce une volonté de faire une tournée des églises pour présenter cet album ?
AP : Cela n’a pas été une démarche si compliquée que ça. Ca faisait longtemps qu’on pensait à cette église, on se prenait à se dire « ce serait bien qu’on fasse la date de sortie dans cette église là ». On savait qu’ils faisaient de plus en plus de concerts, on savait qu’ils étaient assez ouverts. On avait des amis musiciens qui avaient déjà eu l’occasion de jouer là-bas. On savait que c’était possible, après, c’est comme tout, c’est une histoire de timing. Finalement, ça s’est passé assez simplement.
NP : Ce n’est pas complètement exposé, mais dans le milieu ça se sait que c’est une église qui programme des concerts de musique sacrée et de musique contemporaine, incluant tout ce qui est pop-rock, etc. Ils ont d’ailleurs un événement « les 36 heures de St Eustache » le 21 juin, pour la fête de la musique. Pendant 36 heures, c’est un marathon musical, pas mal de groupes viennent jouer. On savait que c’était ouvert.
Ca était très simple. On a appelé le régisseur. On lui a présenté le projet. Je crois qu’il a eu un bon coup de cœur. La rencontre s’est bien passée et la musique lui a plu.
AP : On avait l’avantage d’avoir déjà enregistré notre disque dans une chapelle. Il y avait donc pour la personne une garantie du fait qu’on avait déjà réussi à faire ce set et ce show, que c’était adapté à une église.
NP : Avec le vrai plaisir de travailler avec quelqu’un qui a un très beau lieu, mais qui n’est pas dans le business de la musique. Les rapports étaient vraiment très désintéressés et très ouverts à ce que les choses se passent bien. C’était une super négociation qui a été très fluide. On est content, car c’était le meilleur endroit pour représenter le disque à sa sortie.
C’est un lieu avec un volume incroyable, ce n’est pas impressionnant ?
AP : Il y a une reverb de 5 secondes, c’est impressionnant. Après c’est aussi rigolo de jouer avec. Quand on avait des morceaux qui se terminaient d’un coup, il y avait vraiment un plaisir de 5 secondes à se dire « c’est encore là ». Je pense que même les gens attendaient que l’écho soit terminé avant de se dire « ok, là c’est fini ».
NP : Sur une musique douce qu’on a développée sur ce disque, cette attention est précieuse. Je crois que c’est le parfait costume. Tu disais « est-ce que c’est un hasard St Eustache ? ». Non, sur ce disque on essaie au maximum d’aller vers des lieux inédits. Eglises, chapelles ça tombe sous le sens puisque le disque a été enregistré là-bas, mais on a joué à Lille dans un petit cinéma. Ce qui nous permet d’ailleurs de projeter le documentaire en première partie de nous même. Ce qui est agréable.
AP : Ce qui est très bien pour les changements de plateau ! Sauf quand l’écran met dix minutes à se relever et que nous sommes déjà sur scène à attendre que ça finisse.
NP : Pour toutes les dates qui s’annoncent, il y aura des salles de concert plus classiques, ensuite on essaie de travailler avec les salles en leur disant : « est-ce qu’on peut conserver votre structure, votre organisation, mais juste déporter le concert dans une production ‘hors les murs’, en partenariat avec les mairies ? »
AP : Les gens ont en général un bon rapport avec ces lieux pas très communs. J’ai l’impression que cela leur met un petit coup de pied au cul pour venir nous voir. Ils ont l’impression de voir le show dans un endroit atypique et donc de vivre un moment plus exceptionnel. Pour St Eustache, je pense que c’est ce qui a fait que le concert était si complet, les gens réalisaient que ce n’est pas tous les jours qu’on peut jouer dans un lieu comme ça.
NP : C’est un très bon argument
Dernière question, qui a fait l’illustration de l’album, que je trouve magnifique ?
NP : Ah, c’est chouette, parce que tout le monde ne la trouve pas magnifique. On a même eu une fille qui est venue nous voir après le concert qui nous a dit « j’ai vu passé votre pochette, et elle m’agaçait au plus haut point, je n’avais pas envie d’écouter votre musique à cause de ça. » Elle n’était pas particulièrement grenouille de bénitier, mais c’est juste que ce visage l’a gênée.
AP : Il est un peu gênant quand même. Même pour nous, on se rend compte du coté très provocateur de la pochette. En même temps, je pense qu’on ne peut pas faire une pochette qui raconte mieux ce qui s’est passé. Le DVD dans l’église était assez présent dès le début, on savait déjà qu’il fallait raconter à la fois ce qu’il y avait dans le documentaire et le fait qu’on avait enregistré l’album dans une chapelle.
NP : Cette même fille qui nous avait fait des reproches sur la pochette, une fois qu’elle avait vu le documentaire et qu’elle a assisté au concert derrière, elle est revenue nous voir pour nous dire que cela faisait tout à fait sens, et que c’était ce qu’il fallait faire.
Et pour répondre à la question, c’est Gabin Rivoire qui a fait l’illustration. Celui qui est l’auteur, le réalisateur du documentaire.
AP : C’est une pochette plus agressive parce que très frontale, avec un gros visage en plein milieu, ce qui change de nos deux dernières pochettes qui étaient avec des plans plus lointains, avec des détails. On avait envie ici de faire, en l’imaginant dans un bac à la Fnac, une pochette qui ressorte. Et pour le coup, je pense qu’elle ressort un peu. Un peu moins arty peut-être, plus punchy. Ce qui est marrant parce que c’est certainement l’album le plus calme. Même si je continue à penser que ce sont des morceaux de rock’n roll qui se passent là dedans, mais joués à la sauce tranquille.
Merci