La jeune Suzanne, désespérée, écrit à un mystérieux protecteur de lui venir en aide: religieuse contre son gré, elle lui raconte dans quelles circonstances elle a pris le voile. Dès l’âge de seize ans, elle sent que ses parents font une nette différence entre elle et ses deux soeurs, pour qui de bons partis se présentent. Lorsque le jeune homme promis à une de ses soeurs montre trop d’attirance pour elle, la réaction des parents est immédiate: le couvent. Suzanne comprend qu’elle gêne, et pas uniquement sa soeur. La froideur de sa mère lui laisse penser qu’elle serait une enfant illégitime, rappel d’une faute à éloigner et porteuse d’un péché qu’elle doit racheter. Mais Suzanne ne se sent aucun attrait pour la vie monastique, qui lui fait très peur: lorsque vient le moment de prononcer ses voeux, malgré toutes les tentatives de persuasion des religieuses et de sa famille, au beau milieu de la cérémonie, elle dit non. Outrage. Envers les religieuses qui la méprisent, envers sa mère qui n’en souffre que plus d’une faute qu’elle continue à payer et qui n’a plus rien à lui offrir. Harcelée de toute part, Suzanne tombe dans une dépression si profonde qu’on lui fait prononcer ses voeux sans qu’elle s’en rende vraiment compte. Coup du sort: la bienveillante mère supérieure qui l’avait accueillie avec tant de compréhension trépasse, et sa remplaçante est bien décidée à faire payer à Suzanne l’affront qu’elle a fait subir à la vie monastique. Et comme si elles n’attendaient que cet exemple, les religieuses s’empressent de faire de la malheureuse leur bouc émissaire.
J’avais lu ce roman au lycée et il m’avait laissé une forte impression. Cette relecture fut pour moi l’occasion de me frotter à nouveau à la langue ordonnée et démonstratrice du Philosophe. Beaucoup de narration franche et directe, parfois même des résumés. Pourtant, avec peu d’effets déployés, Diderot raconte des horreurs et la presque froideur du ton les rends plus horribles encore. On verra une jeune fille trainée dans les corridors à moitié consciente, marcher sur des éclats de verre répandus devant sa porte à dessein, privée de chaussures, de drap, réduite à manger du pain gâté avec du charbon, et en dernier recours, privée de sa Bible et interdite d’office. La scène de l’exorcisme est absolument poignante, et l’on voit à quel point Diderot a en horreur la vie monastique subie, épinglant au passage le fanatisme entraîné par une réclusion soumise à une autorité religieuse.
Mais lorsqu’elle parvient, grâce à l’intervention d’un avocat outré par de tels agissements, à changer de couvent, ce n’est que pour tomber de Charybde en Scylla: la nouvelle mère supérieure se montre tendre, attentionné. Bien trop, d’ailleurs. Mais la jeune, l’innocente Suzanne, n’y voit aucun mal, ne comprend pas ces caresses pressantes et ces baisers, même si le lecteur comprend qu’il y a là non seulement ce qui à l’époque relève de la perversion, mais surtout que la supérieure se sert de son autorité quasi totale sur Suzanne pour assouvir ses envies. Cette seconde partie m’en a semblé presque pire que la première puisque Suzanne ne se rend pas compte de ce à quoi elle est livrée. La critique du monde reclus est sévère, creuset de toutes les dérives et de tous les délires.
La note de Mélu:
Sans concession!
Un mot sur l’auteur: Denis Diderot (1713-1784) est un auteur et philosophe français, connu pour sa participation à L’Encyclopédie.
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