Court-circuiter le Parlement, dégrader la qualité de vie et limiter les recours des habitants… Tout un programme !
Par Thibault Doidy de Kerguelen.
Les ordonnances permettront de faire ce qui n’a pas été fait depuis un an !
Jouant à contre emploi et oubliant l’image d’écologiste qu’elle a essayé de se donner depuis quelques années, Madame Cécile Duflot, ministre du logement, a présenté au Conseil des ministres du jeudi 2 mai, son « projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction ».
À l’en croire, l’écroulement de la construction immobilière de ces deux dernières années serait dû à « un certain nombre de freins à l’aboutissement des projets de construction de logements ». Toutes les grandes agitations ministérielles de ces derniers mois n’ayant rien donné, voire ayant empiré la situation, le ministre affirme, comme beaucoup de décideurs en situation d’échec, qu’il faut aller « plus loin » qu’il faut frapper « plus fort ».
L’arme absolue est sortie : les ordonnances. À croire que si rien n’a fonctionné depuis un an, c’est de la faute du Palais Bourbon…
Des ordonnances seront prises « dans les prochains mois » qui concerneront des domaines aussi variés que la transformation de bureaux en logements, la réduction du délai pour agir contre les programmes immobiliers en construction et la lutte contre les recours abusifs. Mais aussi la création d’un « portail national de l’urbanisme ».
Une qualité de vie dégradée pour soi-disant favoriser la quantité
Dans le détail, il s’agira :
– de mettre en place une « procédure intégrée pour le logement », simplifiant la délivrance des permis de construire tout en respectant l’environnement.
Comme toujours, lorsque l’on se sent obligé de préciser « tout en respectant l’environnement », c’est qu’en fait la mesure de simplification fera fi d’un certain nombre d’obligations existantes aujourd’hui. Gageons que les obligations touchant au respect du patrimoine national seront « allégées » (archéologie préventive, accords des bâtiments de France etc.)
– d’accroître la densification, « en favorisant la transformation de bureaux en logements, en limitant les obligations en matière de places de stationnement, en autorisant un alignement sur la hauteur d’un bâtiment contigu ou la surélévation d’immeubles pour la création de logements. »
Comme si ces mesures étaient la cause de l’écroulement de la construction en France… La transformation de bureaux en logements, à part dans les beaux quartiers Haussmanniens où des logements ont été transformés (avec l’accord obligatoire du Maire d’arrondissement) en bureaux, est quasi impossible ou de toute manière extrêmement onéreuse car la conception même d’un bâtiment de bureaux est totalement différentes de celle d’un bâtiment destiné aux logements. Les autres mesures proposées, si elles peuvent, dans certains cas, permettre à des projets de voir le jour, sont dommageables à la qualité de vie et à l’environnement. Comme le nombre de logements qui pourront voir le jour grâce à ces mesures sera marginal, la question de la pertinence de décisions qui risquent de provoquer des logements sans places de stationnements pour les résidents et de voir s’élever des murs bouchant tout horizon à des résidents qui se croyaient protégés par une réglementation protégeant la qualité de vie se pose forcément. En tous cas, même si elles peuvent dans certaines situations se justifier, ces mesures ne sont pas favorables à l’environnement et à la qualité de vie.
– de réduire le délai de traitement des recours contentieux et lutter contre les recours abusifs.
Là encore, comme précédemment, le ministre semble renier ses engagements politiques. Il s’agit ni plus ni moins que de limiter, voire d’ôter au peuple, aux habitants, aux riverains, le droit d’intervenir et de pouvoir décider dans l’évolution de leur environnement. Chaque jour un petit moins citoyens et un petit peu plus « sujets », les Français se verront imposer une urbanisation qui ne correspondra pas à leurs aspirations mais aux besoins politiques du moment. Nous avons vu dans les années 60 le brillant résultat de tels raisonnements.
– d’encourager le développement de logements intermédiaires à prix maîtrisé, qui passerait par la création d’un « statut spécifique et d’un bail de longue durée dédié ».
Encore une usine à gaz, encore un « statut spécifique », mais que diable la puissance publique (communes, communautés de communes) détermine les projets dont elles souhaitent voir le jour (qui mieux que l’échelon local sait ce qu’il est nécessaire de construire en logements intermédiaires ?), que les investisseurs privés soient incités fiscalement à se porter sur ces projets et qu’on laisse le marché s’équilibrer ! Nous voilà encore partis sur un « machin » totalement artificiel qui ne durera pas et ne résoudra rien car ne permettant pas d’équilibrer l’offre en logements intermédiaires à la demande.
– ou encore de créer un « portail national de l’urbanisme pour améliorer l’accès aux documents d’urbanisme »
Oui, la circulation de l’information est toujours une bonne chose. Combien de logements construits grâce à ce portail ?
Pour conclure sur cette volonté d’utiliser les ordonnances dans le domaine de la construction par le ministre du logement, nous dirons que Madame Duflot, dont l’attachement à son poste de ministre n’est un secret pour personne, a opté pour la posture de la fermeté. Choisissant des mesures exceptionnelles face à une situation exceptionnellement grave, elle espère donner l’illusion de la maîtrise de la situation, tout en masquant les pitoyables résultats des décisions prises depuis un an. Cette posture, qui lui permettra très probablement de sauver sa tête lors du prochain remaniement, la conduit inévitablement à l’imposture politique, l’amenant à des décisions contraires à ce qu’on serait en droit d’attendre de la part de quelqu’un se réclamant de l’écologie. L’environnement, nous ne le rappellerons jamais assez aux militants « pastèques » (vert dehors et rouge dedans) ne se limitant pas au CO2 et au nucléaire.
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