Passer par Hollywood. Les Français s’y sont essayés pour le bilan mitigé que l’on connait (seul Alexandre Aja et, peut-être, Florent Emilio-Siri, peuvent se targuer d’avoir connu un succès), les Chinois également avec toute la vague venue de Hong-Long (Woo, Hark, Lam). C’est au tour des Coréens de tenter l’expérience. Après Kim Jee-won et Son Dernier rempart et en attendant Bong Joon-ho pour un Transperceneige plus international que réellement US, c’est Park Chan-wook et ce Stoker qui prennent la relève.
On sait le cinéaste coréen intéressé par les plongées du côté obscur de l’âme humaine. Sa trilogie sur la vengeance (le double Symapthy For Mr Vengeance, le bourrin Old Boy, le superbe Lady Vengeance) et même le vampirique Thirst, Ceci est mon sang, sont autant d’exemples de métrages sombres, pour ne pas dire décadents, qui ont permis à Park Chan-wook de réfléchir sur la négativité de l’être humain. Le réalisateur n’est pas un humaniste au grand cœur débordant d’affections, c’est le moins que l’on puisse dire. Néanmoins, une telle démarche a permis au cinéaste de construire une carrière passionnante et une filmographie cohérente. C’est ce qui fait sa force mais c’est également ce qui donne du grain à moudre à ses détracteurs. Park Chan-wook est un réalisateur qui divise, qui peut être décrié pour sa complaisance ou sa violence dans le traitement formel. Quant aux thématiques, elles renvoient sur un miroir de l’âme humaine qui n’est pas glorieux. Ce qui l’intéresse, ce sont donc autant les propositions reptiliennes du cerveau humain en réaction à des situations extrêmes que les vices assumés d’une personnalité broyée et complexe. Stoker, comme le veut cette tradition cinématographique, va contenir son lot de perversités où les morales du réalisateur, du spectateur et du personnage vont être questionnées. En effet, ce cinéma place chacun des acteurs du spectacle filmique dans une position douteuse qui fait réfléchir. On reconnaît donc aisément la touche Park Chan-wook dans cette dernière livraison et on peut se féliciter, globalement, que le passage de l’autre côté de l’océan Pacifique n’ait pas ébranlé ses velléités vénéneuses.
Il est aidé en cela par un duo d’acteurs en or qui fait plus que le job. Ils investissent complètement le projet du métrage. Matthew Goode est suffisamment beau gosse et même inexpressif pour livrer une composition à base d’inquiétante étrangeté et de proximité douteuse que l’on sent influencé par le Terrence Stamp de Théorème de Pier Paolo Pasolini ou l’Anthony Perkins de Psychose du maitre du genre, Alfred Hitchcock. Bien entendu, les comparaisons peuvent être qualifiées de surévaluées, même si la convocation du cinéaste anglais pourrait apparaitre comme une évidence, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent exister dans un sens où Stoker serait perçu comme un pur exercice référentiel. A ses côtés, il y a une actrice qui révèle toute sa grandeur. Mia Wasikowska trace tranquillement sa route vers les cimes artistiques. Stoker s’intègre dans la liste de choix courageux de la comédienne (Restless en tête de gondole). Cette dernière est absolument parfaite dans son rôle de femme-enfant et fait preuve d’une belle richesse de jeu. Si l’on rajoute une Nicole Kidman qui tend quand même à se momifier mais dont le talent n’est pas à démontrer, on se dit que la distribution est parfaite. L’alchimie entre les acteurs est palpable, surtout entre les plus jeunes comédiens, comme en témoigne une belle séquence de duo au piano aux contours érotiques et malsains. Pourquoi malsain ? Parce que Park Chan-wook a, comme à son habitude, un compte à régler avec la cellule la plus intime et la plus désagrégée : la famille. C’est cette double identité qui donne un tel caractère au métrage.
Le scénario est pourtant, dans son genre, très classique. A la mort du père, seules restent la veuve et la fille auquel va se greffer un intrus, un révélateur, une matrice. Ce sera donc le personnage incarné par Matthew Goode qui s’avère être le frère du défunt. Son arrivée va faire rejaillir les larmes du passé et ouvrir sur des perspectives comportementales enfouies dans l’inconscient. La famille ne s’en relèvera pas indemne. On se rend alors bien compte des difficultés de communication, de jadis et de maintenant, au sein de la structure. Les scènes de repas sont, à ce titre, assez impressionnantes, surtout que le cinéaste arrive à caler quelques éléments d’un humour purement cynique et des réactions qui interrogent. Pourquoi y-a-t-il un refus de manger ? La politesse doit-elle être toujours de mise ? Ces éléments, parmi d’autres, permettent au malaise de transpercer l’écran. D’autres images, tout aussi marquantes, vont également arriver. Néanmoins, ces séquences, aussi formidables soient-elles, n’arrivent pas à relever le niveau global. En effet, elles ne trouvent pas de caisse de résonance dans la suite du projet. C’est comme si ce côté obscur n’agissait que par intermittence, sans lien évident avec le déroulement du projet. Rendre mal à l’aise uniquement pour rendre mal à l’aise. Il y a comme une gratuité dans ces propositions. Le spectateur sent un manquement évident dans une écriture qui n’apparait pas totalement maitrisée. Parallèlement, les nœuds scénaristiques restent quand même d’une prévisibilité somme toute assez puissante. Certains personnages voient leur destinée s’écrire des kilomètres à l’avance. Rien de bien nouveau chez deux protagonistes féminins qui jouent clairement au faire-valoir. Pire, le personnage de Nicole Kidman, même s’il n’est pas la tête d’affiche, peut apparaître complètement oublié. Les interactions avec les autres cessent au bout d’un moment. Alors qu’il paraissait prendre une part importante, il est sacrifié au moment où Mia Wasikowska prend le relais. Davantage de linéarité n’aurait pas été de refus dans le transvasement du statut des personnages. Le final est également décevant autant dans son déroulement flemmard que dans son émotion en ne touchant pas la noirceur du spectateur. Il y a donc un manque de cohésion dans le projet global. Cet ensemble donne au métrage un côté cassé. Il agit plus comme une succession de scènes parfois très bonnes, parfois prévisibles. La conséquence est terrible. Finalement, Stoker est bien trop sage. Faut-il y voir une corrélation avec le passage de Park Chan-wook sous l’égide hollywoodienne ? C’est comme si l’industrie avait bridé la personnalité du réalisateur dans son intime même.
Pourtant, si le scénario, dont le fait qu’il ait été écrit par la star de Prison Break relève de l’anecdotique, est franchement bancal, la mise en scène est, globalement, de facture assez impressionnante. Les compositions du cadre sont précises mais ce sont surtout les mouvements de caméra qui trouvent un écho resplendissant chez le spectateur tant ils peuvent faire monter la tension non dénuée de beauté intrinsèque. Celui-ci se délecte alors d’une belle capacité à faire réfléchir sur le sens de l’image. Le jeu sur les décors sont également à prendre à compte. Cerise sur le gâteau, un certain nombre d’inserts à forte capacité métaphorique donne un petit cachet supplémentaire. L’homme est animal pour l’homme. Tel est le constat que Park Chan-wook peut faire passer par son image. En technicien avéré, il arrive à compenser les carences du script. L’honneur est sauf, en quelque sorte. Le plus fort reste qu’il y a, surtout, une réelle gestion de l’espace scénique. Finalement, cette maison devient réellement inquiétante, surtout lorsque sa propre géographie est mise à mal. Ainsi, les multiples pièces n’arrivent pas toujours à communiquer entre elles. Ce lieu qui devrait être protecteur s’ouvre en fait constamment pour que le malsain puisse faire son entrée. Mieux encore, ces trous peuvent servir au cinéaste pour mixer les ambiances. Ainsi, le passage dans le sous-sol est un véritable exercice de genre horrifique qui casse un peu les habitudes du thriller. L’angoisse cherche à s’intensifier, la démarche est indéniable. La bâtisse est poreuse, le malheur peut venir de n’importe où et il lui est également bien facile de s’échapper. L’extérieur, imposant, entre alors en confit avec l’intérieur. On pourrait regretter, cependant, le fait que les ouvertures purement cinématographiques ne se font pas plus souvent. Les scènes en dehors du domaine familiale apparaissent beaucoup plus faibles et on ne parlera pas des quelques incohérences, tout du moins, des grandes facilités grossières. A l’instar de la plongée dans les thématiques, on sent que le cinéaste s’est bridé formellement. A ce titre, on pourrait regretter une certaine mise en retrait dans la virtuosité. Les précédentes livraisons proposaient leurs lots d’images assez irréelles. Un exemple significatif parmi tant d’autres, le travelling de fou furieux représentant une immense baston dans Old Boy. Ici, si tout reste passionnant, il manque ce côté un brin maniériste qui faisait toute la richesse de la forme de Park Chan-wook. C’est comme si la passion n’était pas là. Stoker est peut être trop maitrisé et n’arrive pas à basculer dans la folie. C’est dommage, le sujet l’annonçait pourtant.
Stoker, s’il reste un métrage agréable et parfois réussi, n’en est pas moins un petit coup d’épée dans l’eau. L’aspect malsain et le traitement formel apparaissent bridés par le dogme industriel d’Hollywood. On espère que Park Chan-wook va prendre cette livraison comme un essai et qu’il va revenir à un cinéma plus rentre-dedans. Il ne mérite pas une telle trajectoire sacrifiée.