Une fin de matinée sur le RER B.
Pas trop de monde, je suis sagement assise sur une des banquettes 4 places.
Station Saint Michel Notre Dame, plusieurs personnes montent.
Un monsieur s’installe sur les banquettes un peu plus loin de moi. Les cheveux noirs, la cinquantaine, des lunettes carrées. Bien sévères, les lunettes, bien sévères.
Il s’assoit droit comme un i sur son siège, pose un sac plastique noir sur ses genoux et s’immobilise un moment. Il a l’air fermé, presque antipathique ce monsieur. Le voyage se poursuit et je le regarde de temps à autre, il ne bouge pas d’un iota.
Puis doucement, il prend son sac, il l’ouvre très délicatement, mais pourtant je sens une impatience contenue. Il en sort un tissu. Il le déplie, coin par coin. Précautionneusement. Quand le tissu est totalement déployé, l’homme le regarde, d’un côté, puis de l’autre et le caresse doucement. Il pose ses doigts dessus, les yeux fermés quelques secondes comme s’il était pris dans un songe. Puis l’homme rouvre les yeux et replie le tissu. Coin par coin, plusieurs fois, pour en faire un petit carré qu’il glisse à nouveau dans le sac. A son tour, le sac plastique est plié, replié, plusieurs fois et l’homme revient à sa position initiale. Droit comme un i, mains et sacs sur les genoux, air antipathique.
Je suis intriguée. Ce tissu et le sac me font penser à des étoffes vues en Thaïlande. Très jolies par ailleurs, mais je ne leur portais pas autant de dévotion que ce monsieur pour son petit sac.
Après quelques instants, l’homme semble à nouveau en train de trépigner. Je me dis qu’il semble vouloir résister à l’envie de déballer une nouvelle fois ce qui se trouve dans le sac. N’y tenant plus, il recommence une nouvelle fois, dépliage du sac, déploiement de tissu, caresse de l’étoffe, moment de recueillement dessus. Ça me fait sourire. Ce monsieur bien sous tout rapport, rigide, à l’allure sèche au premier abord. Je le prends « la main dans le sac », son regard prend des allures enfantines tel un môme qui découvre son cadeau de noël et qui ne peut pas s’empêcher de le regarder, de le toucher comme pour se rassurer que oui, « il est bien là », « c’est bien à lui ». J’ai aussi la sensation que toucher ce morceau de tissu, le rassure, l’apaise, il sourit par moments.
Je tente d’imaginer le pourquoi de cet attachement. Une symbolique familiale ? un motif de tissu qui se transmettrait de générations en générations. Un souvenir d’un être aimé ? Le tissu lui rappelant une jeune femme, la jupe, la robe de celle-ci. La femme. Celle qui lui a fait vivre ses premiers émois, avec qui il a vécu une folle passion. Un jour, il s’est marié avec une autre, mieux sous tous rapports, pour convenir au désir familial. Et plus jamais il n’a revu cette première femme. Il pense encore souvent à elle se demandant ce qu’elle avait bien pu devenir. Alors quand il a vu ce tissu dans une vitrine, il n’a pas pu en détacher ses yeux parce que c’est un peu elle qu’il retrouvait à nouveau sous son regard.
Pendant que j’en étais à mes questionnements, le monsieur est de nouveau resté immobile. Regardant au loin, perdu dans ses rêveries avec un petit sourire. Puis sa station est arrivée. Il s’est levée rapidement. Il a pris son sac et l’a gardé doucement, mais fermement contre sa poitrine. Avait-il peur qu’on lui dérobe me suis-je demandée ?
Peut-être.
Pourtant, au fond en retenant le tissu, je le soupçonnais de retenir un souvenir qui l’habitait depuis longtemps et qu’il ne voulait plus laisser filer.
Ps : un peu la tête ailleurs en ce moment, je ne sais pas si je vais conserver ma régularité bloguesque pour les prochaines semaines. Disons que je vais essayer, mais je vous le précise juste histoire que vous ne pensiez pas que je vous délaisse tout à fait les loulous.