Mud (Jeff Nicols)

Publié le 06 mai 2013 par Carnetauxpetiteschoses @O_petiteschoses

DeWitt, une ville de campagne en Arkansas. Des motels sans artifices, un supermarché et des maisons flottantes sur le fleuve. Ellis et Neckbone, deux jeunes adolescents, nous introduisent dans les lieux et en même temps, nous entrainent d’emblée dans leur quotidien.

Dans un âge transitoire, leurs 14 ans les placent entre l’enfance et l’âge adulte. Dans leurs traits juvéniles, on lit leur récente sortie de l’enfance, qui nous pousse à les considérer hâtivement comme des gamins. Tous deux fréquentent assez peu l’école, s’inventent des occupations, des terrains d’expérimentations, et secondent leurs parents dans des tâches manuelles. En y regardant de plus près, leur vie n’est pas idéale. Neckbone est orphelin, élevé par son jeune oncle et le mariage des parents d’Ellis se délite. Leur amitié semble le remède à ce quotidien pas toujours évident à supporter. Leur soutien est sans compromis. Mais loin d’être infantilisés, la vie les pousse à grandir vite ; cela se vérifie d’ailleurs dans leur comportement parfois maladroit ou dans les accessoires qu’ils possèdent : Neckbone conduit avec fierté une moto, Ellis affronte les situations délicates à coups de poing, ou prend un air exagérément important en empruntant à l’oncle de son copain un livre pour apprendre à comprendre les filles.

Leur évolution vers la vie adulte se fait comme la découverte d’un terrain inconnu, fait de joies, de déceptions et de nouveautés. Comme pour matérialiser topographiquement cette dimension, la terre s’offre comme terrain de jeu. Fascinante et rebelle, rassurante et mortelle. Cette dualité et cette attirance des lieux sont exprimées dès le départ. Les deux amis partent en effet, à la conquête d’une île, qui abrite à la cime de ses arbres, une épave échouée lors d’une inondation. Perchée à plusieurs mètres au dessus du sol, c’est la cabane idéale. Partant à l’assaut de ce nouveau territoire, Ellis et Neck découvrent les vestiges des affaires de l’équipage. Souriant à la vue des magazines de charme, et déchantant à celle des vivres fraiches qui présagent d’une présence humaine dans les parages. C’est ainsi qu’ils font la connaissance de Mud.

Un homme mystérieux, fort, et courageux qui se cache du monde, seul sur cette île. Ils consentent à devenir ses alliés dans son entreprise romantique, désespérée et risquée. Parce qu’il contribue à les pousser dans leurs retranchements et à repousser les frontières de leur terrain de jeu, les deux amis se rallient à la cause de Mud, le soutenant comme ils le font l’un avec l’autre. Qu’est-ce qui pousse Ellis à s’impliquer autant dans l’histoire d’amour chaotique de Mud et son amie Juniper, qui vient tout juste de débarquer à DeWitt (attirant les chasseurs de prime à la recherche de Mud) faisant tourner les têtes ? L’amour qui unit ce couple le touche, il leur avoue. Il essaie de les réunir comme pour au moins réparer un couple, puisqu’il se trouve impuissant face à celui de ses parents. Au cours du film, ils apprennent à connaitre Mud et à chacun tisser un rapport particulier avec lui. Complétant leur appréciation personnelle, en écoutant ceux qui le connaissent. La personnalité de Mud est complexe, et son image oscille entre celle du héros et celle de l’homme banal et lâche. Sous le vernis de l’histoire d’amour impossible, déborde le traitement intelligent de valeurs fondamentales. Les notions fortes d’amour, d’estime, de confiance et de relation humaine traversent le film. L’amour est ce sentiment précieux à protéger à tout prix. Il est compris par les garçons autant dans son acception noble, que sous son aspect pratique signifiant « sortir avec une fille », ou « coucher avec elle ».

D’autre part, dans la multiplication de la figure de père, se lit la recherche d’un modèle. Dans leur rencontre avec Mud, les garçons rencontrent un homme fort, dont les récits impressionnent, et le placent sur un piédestal. Plus idéal et séduisant que les figures de pères qu’ils ont tous les deux, l’un démissionnaire pour Ellis, et l’autre pas toujours responsable pour Neck, ils considèrent Mud avec admiration. Mais ce dernier est loin de correspondre parfaitement à l’image qu’il a dépeint aux garçons. Il convoque par sa présence, sa propre figure de père, Tom Blankenship le voisin d’Ellis, un ancien tireur d’élite qui veille sur lui depuis toujours. Face à eux, le père maffieux, appelé King, qui lâche sur Mud ses fils, chasseurs de prime, comme une meute. Dans cette quête de modèles, les deux garçons font l’apprentissage de leur virilité naissante. C’est en cassant l’image du père idéalisé et fantasmé, en se dressant justement contre Mud, qu’Ellis retrouvera une voie d’entente avec son propre père. En amour aussi, il connaitra des désillusions, des surprises et se résignera à accepter certaines situations.

Traité de bout en bout, le thème du passage est admirablement évoqué et développé. Accompagné par une photographie esthétisante, il s’appuie sur la métaphore des lieux pour figurer cette mouvante, ce flottement des repères typique de l’adolescence. Une fois encore, on suit avec Jeff Nichols, un processus. Dans Take Shelter, lentement et péniblement le héros sombrait dans la folie, ici il s’agit d’accompagner ces garçons dans ce moment insaisissable de passage entre la jeunesse et l’âge adulte. Porté par des acteurs excellent, c’est un film magnifique.

A voir :
Mud, un film américain de Jeff Nichols, (2h10)

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