La puissante tour carrée du château de Guillaume le Bâtard surplombe la vallée de l’Ante et la bonne ville de Falaise qui s’étale à ses pieds. Fouetté par un vent d’océan si souvent chargé de pluie, son oriflamme de conquérant semble lui désigner, comme toujours, les brumeux rivages d’Albion et la plaine d’Hastings. De vieux paysans prétendent d’ailleurs apercevoir de temps à autre sa haute silhouette pieusement recueillie devant la fontaine d’Arlette, sa mère. Pour moi, c’est plutôt en grande modestie que j’y reviens. Des peuplades inconnues bivouaquaient déjà en ces lieux depuis plus de dix mille ans, lorsque, répondant à l’appel des verts pâturages, plusieurs tribus celtes y migrèrent. Heureux comme Goliards en Cocagne, ces Calètes, Véliocasses, Viducasses, Baiocasses et autres Lexoviens, Éburovices, Esurviens, Unelles ou Abrincates s’y établirent à demeure. Mais au nord du Nord, vivaient des hommes blonds qu’on appellera plus tard Vikings en vieux norrois. Ils se sentaient à l’étroit au fond de leurs fjords glacés et rêvaient d’un pays où l’herbe serait grasse et les troupeaux infinis. Certains, hardis aventuriers, se dirigèrent vers le Levant et créèrent le royaume de Novgorod. D’autres, habiles navigateurs, chargèrent leurs drakkars et suivirent Rollon, leur chef, jusqu’aux rives de la Seine. Ainsi, avant d’être à l’origine de la mode actuelle du roman policier boréal, créèrent-ils cette Normandie où je devais voir le jour quelques siècles plus tard. Mais peut-on dire pour autant que du sang de pillard coule dans mes veines ? Mes pères répondraient probablement par le fameux cliché « P’t’êt’ ben qu’oui, p’êt’ ben qu’non ! ». Peut-être en effet mes ancêtres affrontèrent-ils les embruns de la mer du Nord avant de drosser leurs rudes esquifs contre les falaises d’Étretat ou de s’enliser dans les vases de la Dives ! Mais ils purent tout aussi bien être les auteurs magdaléniens des gravures pariétales de la grotte de Gouy. En fait, il y a jolie lurette que la couleur des yeux n’est plus, en ces lieux, un signe identitaire. D’autant plus qu’après les Gaulois de nombreux Saxons vinrent fouiller les riches labours suivis plus tard des soldats angevins des Plantagenets, des ouvriers Silésiens envoyés par le fond pour extraire le minerai de fer et des Irlandais émigrés aux Amériques et débarqués sur les plages du jour le plus long pour affronter les hordes teutonnes. Comme toutes les terres de France et d’Europe, la terre normande est plus un asile qu’une appartenance. Mais une question me taraude tandis j’arpente en promeneur le magnifique parc du château de la Fresnaye. Seul, je crois, François Reynaert pourrait me répondre (cf. ma chronique du 24 février 2011). Lequel fut le plus grand Normand ? Rollon le rouennais qui acquit la province ou Guillaume le caennais qui se fit couronner à Westminster ?
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