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Le projet "Skopje 2014" (1) : la (re)construction de la mémoire comme mémoricide ?

Publié le 05 mai 2013 par Geo-Ville-En-Guerre @VilleEnGuerre

Voir le dossier "Macédoine : Skopje 2014, kitsch
nationaliste et foire aux antiquités",
Le Courrier des Balkans.

Les espaces et les spatialités de la mémoire ont déjà été abordés dans des billets sur les territoires éphémères de la commémoration et le stade olympique de Sarajevo, la reconstruction au Liban, les statues géantes bouddhiques de Bâmiyân, ou encore par l'analyse d'une carte postale ancienne du pont de Mostar. La question de la destruction des espaces de mémoire est double, comme on en avait discuté dans l'article "Les lieux de mémoire dans les villes en guerre : un enjeu de la pacification des territoires" pour Diploweb (31 octobre 2011) : la destruction et la (re)construction comme violences symboliques.

Le "mémoricide" est un néologisme créé à partir du terme génocide en substituant genos (le peuple) par la mémoire, et en gardant -cide (le meurtre). On notera qu'il existe deux usages (peu répandus l'un comme l'autre) du terme : le premier est particulièrement centré sur la guerre de Vendée, et a été utilisé par décrire, pour les tenants de cette thèse, le rôle du politique dans l'écriture des "vainqueurs" et des "victimes" dans la mémoire collective. C'est l'acte et la volonté politiques qui sont au coeur de l'utilisation de ce terme dans ce concept. On pourrait l'étendre à l'analyse de la destruction de la mémoire d'une guerre et de son déroulement par l'histoire telle que l'écrivent (notamment par le biais des manuels scolaires) les politiques.

Le second usage, que l'on peut dater des guerres de décomposition de la Yougoslavie (tout particulièrement pour les guerres de Croatie et de Bosnie-Herzégovine), a été formalisé pour décrire la destruction des bibliothèques comme lieu où la mémoire est entreposée (notamment dans l'article de Vesna Blazina, 1996, "Mémoricide ou la purification culturelle : la guerre contre les bibliothèques de Croatie et de Bosnie-Herzégovine", Documentation et bibliothèques, vol. 42, pp. 149-164). On peut l'élargir à la destruction de tous les espaces qui font mémoire par la guerre, dès lors que ces espaces sont des cibles choisies et pensées pour détruire la mémoire. La question de la destruction des mausolées et des manuscrits à Tombouctou dans la guerre actuelle au Mali participe de ces mémoricides.

Dans ces deux acceptions, les mémoricides sont entendus par la destruction. Mais l'approche par la destruction est-elle suffisante pour appréhender l'ensemble des mémoricides ? Ou, tout du moins, les seules destructions matérielles sont-elles suffisantes pour appréhender l'ensemble des destructions ? Pour le géographe Vincent Veschambre, qui reprend notamment les travaux sur les "Traces-mémoires" de Patrick Chamoiseau, les destructions et les démolitions ne sont pas les seuls processus qui permettent, par le marquage de l'espace, d'inscrire une signification politique dans l'espace qui peut aboutir à une violence symbolique, par la domination de celui qui s'approprie le territoire, qui lui permet de l'aménager, de le "modeler" : "de même que toute domination repose sur un travail symbolique de légitimation, toute forme d'appropriation de l'espace passe par la production (et/ou la destruction) de signes afin de rappeler quel est le pouvoir qui s'exprime et dans le même temps de le légitimer. Le marquage de l'espace correspond de ce point de vue à ce que l'on pourrait appeler dimension spatiale de la violence symbolique, dans le sens défini par Pierre Bourdieu" (Vincent Veschambre, 2004, "Appropriation et marquage symbolique de l'espace : quelques éléments de réflexion", Travaux et documents de l'ESO, n°21, p. 74).

Dans l'article "Les lieux de mémoire dans les villes en guerre : un enjeu de la pacification des territoires", on montrait que la (re)construction pouvait être une destruction : dans les cas des villes en guerre où des lieux de mémoire sont érigés dans la période post-conflit, ceux-ci peuvent être porteur non pas de la mémoire - au sens où Pierre Nora analysait les lieux de mémoire, par le prisme du cadre français, comme participant à la construction et à l'éducation à l'idée et l'identité nationales (voir notamment le compte rendu du café géographique du 29 janvier 2013 "Lieux de mémoire en Europe, lieux de mémoire de l'Europe"), mais d'une mémoire excluante, qui participe des "nettoyages territoriaux" en matérialisant la géographie du vivre-séparé et en territorialisant des identités qui entrent en concurrence pour l'appropriation de l'espace.

A suivre : une série de billets proposant quelques réflexions géographiques sur les conflictualités concernant le projet Skopje 2014 :


1/ Skopje 2014 : géographie d'un conflit d'aménagement
2/ La (re)construction comme violence symbolique ? Quelques pistes de réflexion pour une géographie de la pacification des territoires



"Macédoine : Skopje 2014, kitsch nationaliste et foire aux antiquités"
Dossier du Courrier des Balkans, source incontestable pour comprendre ce conflit mémoriel.
Les photographies de cette série de billets renvoie (en cliquant dessus) à des articles du Courrier des Balkans.



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