« Le mot «labyrinthe» est grec (laburinthos) et désigne le palais crétois de Minos où était enfermé le minotaure et d'où Thésée ne put ressortir qu'à l'aide du fil d'Ariane. L'étymologie de ce mot, le lieu et la légende qui lui sont associés sont à explorer avec attention parce qu' 'ils nourrissent et inspirent une littérature abondante et variée.
Les labyrinthes sont à regarder comme une structure de l'être en devenir, une image de la réalité ou encore un plan pour se guider. Ce plan serait utile à tous, quels que soient les lieux d'où ils partent et quelles que soient leurs destinations. Chacun s'en servirait à sa mesure et selon sa nature, mais serait conduit à découvrir autre chose que ce qu'il avait cru chercher.
Entre la porte extérieure et le centre, la voie peut-être une ou multiple.
La quête, la recherche, la pensée et les savoirs qu'elles produisent se présentent comme labyrinthes. L'histoire est faite d'innombrables histoires, emboîtées les unes dans les autres qui font diversion en passant des concepts aux images et conduisent, au moyen de ces détours, à une intelligence plus affinées du sens. Tous les chemins de la pensée traversent le rêve, le merveilleux, la féerie, le fantastique et, pour s'en rendre compte, il suffit de regarder l'histoire d'un mot, les intrications d'un sens large et d'une signification très limitée, les rapports entre les signes et le message. Qui étudie n'importe quelle modalité du réel entre dans un labyrinthe (on dit aussi un «dédale») parce qu'il commence par perdre ses repères. Qui veut savoir commence par découvrir que ses convictions pré-conçues ne reposent que sur des illusions. Et, pour sortir du labyrinthe, il faudrait distinguer à coup sûr la perception de l'hallucination.
Toutes les réponses sont des impasses à parcourir dans le but bien précis : poser d'autres questions et poser les questions autrement.
Qui veut comprendre ce qui relie les instincts, les désirs, les émotions, les idées et les comportements traverse un labyrinthe. Le langage qui rend compte de cette exploration est lui aussi un labyrinthe. La voie qui conduit du signifiant au signifié est loin d'être droite. Elle suit souvent d'étranges détours.
Les mythes sont à regarder comme le terreau dans lequel s'enracinent les idées et duquel elles tirent leur substance. Le matériel onirique contenu dans le message symbolique est à regarder comme un flot incessant d'images. A chaque image, à chaque signe, à chaque expression symbolique ne manque jamais de correspondre, comme le dit Bachelard, un «doublet-psychique», résonnance harmonique qui se fait entendre au plus profond et au plus intime du moi individuel.
Les symboles et les mythes associés au labyrinthe apportent un éclairage sur ce qui se passe dans la cité. Qui s'abstient d'étudier les mythes en devient la victime inconsciente. Répétons-le sans cesse: l'alternative, pour qui cherche à comprendre l'histoire et les problèmes de société, est celle-ci : ou bien devenir mythologue, ou bien demeurer mythomane. Croire en la supériorité créatrice de l'intelligence conduit à reconnaître la puissance de l'imaginaire. Il est prudent et sage d'écouter de vieilles histoires et de regarder des images anciennes. Elles nous procurent des informations utiles sur les comportements encore actuels. Et qui seront actuels encore pour longtemps, car il s'agit bien du labyrinthe, «schéma» de la réalité et de notre rapport avec elle. Le labyrinthe est l'espace sans repère visible. Chaque direction est illusoire et pourtant nécessaire. 11 faut emprunter des voies illusoires pour parcourir tout l'espace. Chaque issue est fausse. L'espace est brouillé. Chaque issue est vraie et l'espace est clair. Les deux propositions sont vraies ensemble et fausses séparément » Le Labyrinthe Image Du Monde.Daniel Beresniak.Detrad.
« Une image vaut mille mots », écrivait déjà au Ve siècle Sun Xi qui savait de quoi parlent les grammes chinois. Les images discourent bien avant l'écriture. Elles disent des chose d'une complexité oubliée de nos pauvre alphabet. Le labyrinthe est depuis toujours le maître-schéma des rêves où les hommes ont puisé une souple syntaxe bien antérieure] aux sinuosités du langage. À qui sait le décrypter, il révélera les chemins de 1 sagesse. Il apprendra aux hommes à capter leur destin dans un regard comme on tient un oiseau blessé dans la paume de sa main. Il leur permettra de sonder sans relâche leurs propres secrets. Et de s'en souvenir pour exister.
Car le labyrinthe n'est jamais anecdote. L'une des plus anciennes figures de la pensée humaine, il est toujours présent là où se] jouent les drames primordiaux de l'humanité. Déjà, aux temps les plus reculés - et pas seulement chez les Grecs ou les aborigènes d'Australie -, il était la meilleure façon de désigner le complexe, de représenter la tragédie du destin, le temps dont on ne peut s'évader ; d'empêcher aussi les profanateurs de s'approcher d'un tombeau ou d'un sanctuaire.
Quelque chose comme une combinaison ,un code mental et un rituel de passage. C'est ce qui me laisse le plus surpris : comment a-t-on pu si longtemps ne pas voir nue sa présence universelle ne pouvait être fortuite, qu'elle revêtait une signification essentielle, constituant même une des clés principales de l'histoire des religions ? Sans doute ce silence s'explique-t-il par le fait que notre civilisation et notre culture sont fondées sur le rejet et l'occultation du sinueux et de l'opaque, et marquées au contraire, on le verra, par l'apologie de la ligne droite, de la transparence et de la simplicité.
Répétons-le : le labyrinthe n'a rien d'un épiphénomène local. On en trouvait déjà partout, obéissant à des tracés étonnamment semblables, il y a des millénaires, en Scandinavie, en Russie, en Inde, au Tibet, en Grèce, en Bretagne, en Amérique, en Afrique14 .], Gravés dans la pierre ou peints sur des parois à des milliers de kilomètres de distance les uns des autres. Puis, lorsque, tout récemment, le nomade laisse la place au sédentaire, le labyrinthe s'installe dans les lieux du sacré. Et y symbolise le sacré. En Egypte, il représente le chemin emprunté par l'âme. Ailleurs, sur le pourtour méditerranéen, il sert de guide à des danses rituelles ». Jacques Attali. Chemins De Sagesse. Fayard.
L'abstrait ne se traduit concrètement qu'à certaines époques, celles où fleurissent les labyrinthes, palais, pyramides, cathédrales ou jardins. Il faut, pour ce faire, certaines conditions : « Il faut qu'à cette situation, apparemment contradictoire ou paradoxale, s'unissent l'amour de allégorie, une forte inclination pour les emblèmes, une propension pour les représentations figuratives, un certain amour pour les jeux » .Paolo Santarcangeli. Le Livre Des Labyrinthes.
Les dictionnaires les plus prestigieux abondent en définitions sans parvenir à l'exhaustivité, chacun l'accent sur ce qui n'est finalement qu'un aspect ou un moment d'une histoire ou d'un mythe.
« Dirons-nous alors : « Chemin tortueux, tracé pour entraver, contrarier ou tromper ceux qui se proposent d'atteindre le but vers lequel il conduit? » Non, parce que le chemin n'est pas toujours trompeur, parce qu'il n'y a pas toujours de croisements, parce qu'il n'y a pas toujours de but. Alors : « Un chemin tortueux, entouré de murs ou de haies? » Non, parce qu'il se peut que le labyrinthe soit seulement dessiné (sur le sol, sur une pierre tombale, sur une feuille de papier, etc.). Plus nous nous creusons la tête et plus nous nous rendons compte que, labyrinthe jusqu'en cela même, l'objet de notre intérêt ne se résoud pas à la lumière d'une définition qui le comprenne en entier et sans équivoque. Contentons-nous donc de dire : « Parcours tortueux, où parfois il est facile, sans guide, de perdre son chemin. ». Paolo Santarcangeli. Le Livre Des Labyrinthes. GALLIMARD.
Les archéologues nous laissent dans la même diversité de réponses incertaines : Qui de l'Egypte ou de la Crète a le plus ancien vestige ?
Tirant sa dénomination moderne du nom du roi légendaire Minos (les historiens sont désormais d'accord pour dire que le nom de « Minos », au lieu de s'appliquer à un seul personnage historique, désignait tous les souverains de l'île), et révélée par l'archéologue anglais Arthur John Evans au début du XXème siècle, la civilisation minoenne s'est développée sur l'île de Crète, de 2700 à 1200 av. J.-C..
Favorisé par les conditions du lieu et par la richesse des échanges, un peuple qui se nommait lui-même « Étéocrétois », c'est-à-dire Crétois anciens, authentiques, donna vie à une civilisation autochtone, maritime et insulaire celle des cent cités dont parle Homère, avec sa capitale Cnossos, siège de Minos.
Chacun connaît la célèbre interprétation d'A. Evans qui, dès 1901, identifiait le palais de KNOSSOS en Crète avec le labyrinthe de la légende. On sait aussi que cette identification repose pour l'essentiel sur une possible étymologie du mot laburinthos et le rapprochement qui en a été fait par certains philologues avec le nom d'origine lydienne de la hache, labrys.
Cette interprétation séduisante a le mérite d'ancrer solidement la légende grecque du Minotaure au sein de la plus monumentale des réalisations de l'architecture minoenne et de correspondre à certains aspects de cette civilisation.
« les brumes des légendes se soient épaissies autour de la personne mythique d'un seul Minos, concentrant ur une grande figure pseudo-historique les traits de toute une époque.
Depuis le temps de Thucydide et de Xénophon, cette image, sage et puissante, d'un législateur plus que d'un tyran, se tient sur le seuil de l'histoire grecque, pour symboliser l'intime contenu d'une tradition inspirée par l'ordre et le droit, par la réglementation constitutionnelle de l'État et par la discipline de la religion. Elle est, comme dit encore Curtius, « la matrice de cette conception, par laquelle les Hellènes se distinguaient le plus nettement des non-Hellènes », môme si la civilisation minoenne fut moins « grecque » qu'on pourrait le penser; malgré cela, les Grecs s'approprièrent cette figure, dans leur ambition confuse de trouver un lointain et illustre éponyme à leur propre idéalité d'une ordonnance claire et juste ».
Paolo Santarcangeli. Le Livre Des Labyrinthes
Pourtant la religion minoenne différa des divinités « solaires » des grecs.
Toute la civilisation crétois-égéenne est de plus dominée par la figure de la Grande Mère
qui renvoie à un culte primitif qui aurait été universellement pratiqué à la fin de la préhistoire.
« Néanmoins, nous savons trop peu de choses sur le culte protohistorique de la Terre-Mère et sur les rites néolithiques liés au culte du Serpent, à l'intérieur de l'orbite des civilisations de l'Eurasie ; de même que nous ne savons que fort peu de choses sur les relations linguistiques et culturelles de la civilisation dite mégalithique. C'est pourquoi, — plus que les étymologies d'une aire linguistique limitée, ce qui sera utile, pour l'examen conjoint de l'abondant matériel dispersé, ce sera l'étude de cette grande conception de la fécondation du sein maternel de la Terre que l'on retrouve tout au long de l'arc de la pensée religieuse la plus ancienne.
Celui qui traverse le labyrinthe, doit passer par les errements et les pièges de l'obscurité, pour vaincre la mort : de même que les Hébreux firent pendant sept jours le tour des remparts de Jéricho, et de même que les Achéens assiégèrent Troie pendant sept ans. C'est constamment que les labyrinthes « classiques » — des monnaies grecques aux constructions des Indes — ont sept circonvolutions ; ce qui, évidemment, ne peut être que l'expression d'une volonté précise. Les replis des viscères et les lignes tracées sur le foie sont un miroir microcosmique du mouvement des constellations célestes. Ce mouvement cosmique fut reproduit dans la danse, transposant dans la catégorie du temps la représentation spatiale Dans les profondeurs gît la représentation sous forme de mystère du grand ventre maternel et du labyrinthe dans lequel devra errer l'homme destiné à s'engager dans la vie. ». Paolo Santarcangeli. Le Livre Des Labyrinthes
L'origine crétoise du labyrinthe a cependant été âprement critiquée : sir A. Evans n'aurait jamais eu l'opportunité de fouiller le Labyrinthe proprement dit, et ses recherches se seraient cantonnées au palais du roi Minos et à une succession temporelle plus que spatiale de vastes séries de salles. Depuis lors, divers philologues ont contesté la dérivation du mot labyrinthos du nom de la hache (L'étymologie est impossible, car les Crétois désignaient par le terme de peleki cet objet rituel) ;ils se sont orientés vers diverses racines qui feraient du labyrinthe, étymologiquement tout au moins, un ensemble de galeries souterraines, sans aucun lien avec le palais knossien.
I
l comprend douze cours couvertes, les portes se faisant face, six tournées vers Borée, six vers Notus, contiguës, et un même mur les entoure de l'extérieur.
Quant aux salles du bas, j'en parle par ouï-dire, mais celles du haut je les ai vues moi-même, et elles sont plus grandes que les ouvrages courants : les passages à travers les salles et les détours à travers les cours, qui sont très enchevêtrés, causent une infinie stupeur à ceux qui, depuis les cours passent dans les salles, et des salles aux portiques, et des portiques dans d'autres salles et des salles dans d'autres portiques. La couverture de toutes ces constructions est de pierre de même que les murs, et les murs sont couverts de figures sculptées et chaque cour est entourée de colonnes de pierres blanches jointes de la meilleure façon. A côté de l'angle terminal du labyrinthe se trouve une pyramide de quarante orgies, sur laquelle sont sculptées de grandes figures, et jusqu'à elle on a construit une route souterraine.
Mais plus merveilleux encore que ce labyrinthe est le lac dit de Meri, près duquel est construit ce labyrinthe »...Hérodote. Histoires.
La quête, la recherche, la pensée et les savoirs qu'elles produisent se présentent comme labyrinthes. .
On peut citer deux exemples où le labyrinthe et ses miroirs symbolisent la quête infinie d'un savoir peut être « insensé »
Ainsi la Bibliothèque De Babel de Jorge Luis Borges :
Dans le Nom De La Rose, d'Umberto Eco, une abbaye médiévale protège le savoir passé que recopient inlassablement des moines, à l'heure où un nouvel univers intellectuel se profile, peu avant la découverte de l'imprimerie.
Comme le montre l'exemple précédent la recherche étymologique n'est jamais vaine et là les hypothèses ne manquent pas. Poursuive l'origine du nom renvoie à l'origine des mythes à la nature des rites qui ont pu donner naissance à l'archétype.
On peut aussi citer labirion, galerie creusée dans la terre par la taupe. ».Kafka en fera une nouvelle le Terrier dans laquelle le narrateur, une sorte de taupe qui vit dans la terreur du monde extérieur, construit un terrier immense, une sorte de royaume souterrain composé de dizaines de galeries, long de plusieurs centaines de mètres, et protégé comme une place forte. « Mais le plus beau, dans mon terrier, c'est son silence. Silence trompeur, cependant; Il peut se briser d'un seul coup : alors tout sera terminé. »
Dispositif scenique pour le Terrier
(A suivre)