"Le dernier stade de la soif" de James Exley

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins

Je tape « Fante » et voilà qu’on me propose, Steinbeck, Bukowski, Faulkner, Auster,  Fitzgerald et Exley. Je n’ai donc plus besoin de chercher des livres à mon goût, on est prêt à le faire pour moi. Une fois qu’on a mis le bout du clic dans la prise, une multitude de sites, publicités ou réseaux sociaux veilleront à vous proposer des biens culturels en rapport avec votre requête initiale. Le Lectorus papietus, dinosaure-lecteur-papier, veut cependant penser que l’on peut encore dénicher ses bouquins comme un grand, ou, au pire, avec les remarques succinctes d’un libraire forcement bourru. Il veut continuer son voyage au bout de la littérature en autodidacte jaloux. Quelques clics internet m’ont pourtant convaincu qu’il fallait que je le lise, que j’étais passé à côté d’un monument et qu’il serait, en plus, parfaitement dans mes goûts. Aviez-vous déjà entendu parler de Frederick Exley ? Moi, non… A moins d’être vraiment l’œuvre unique publiée en quatre exemplaires en phénicien d’un auteur austro-hongrois mort à 12 ans en 1867, la toile a cette capacité à rendre l’auteur indispensable et le best-seller confidentiel. Toujours plus loin dans la personnalisation, le club, de l’excellence pour tous, du Frederick Exley pour moi…
L’avis de JB
Arturo BukowskiNé en 1929, et bien qu’auteur de trois ouvrages, Frederick Exley est volontiers présenté comme l’homme d’un seul, intitulé « Le dernier stade de la soif » et publié en 1968.Plus qu’une biographie, l’ouvrage m’est davantage apparu comme un pense bête ou un journal intime désarticulé, à l’image de la vie d’un homme torturé. Dans l’ombre d’un père incapable de sortir de son costume de gloire locale, le quotidien de l’auteur est une succession absurde de moments banals, de longues périodes d’immobilité et de séjours en hôpital psychiatrique. Exley boit, beaucoup et avec une envie amoureuse. Il subit la vie, l’Amérique, les attentes toujours manquées, jetant toutes ses forces dans sa seule passion, le football :
« Ces gens étaient grotesques. A présent, j’étais persuadé de comprendre : ils n’avaient pas leur place dans l’Amérique d’aujourd’hui. Cette Amérique était ivre de beauté physique. L’Amérique était au régime. L’Amérique faisait du sport. L’Amérique, en effet, élevait au rang de religion son culte du teint frais, des jambes droites, du regard clair et dégagé, et d’une séduction éclatante de santé – un culte féroce et strident. »« Mais ce n'était pas l'Amérique dont je rêvais. Je savais bien que mes prétentions intellectuelles et mes humeurs étaient irrémédiablement sombres, d'une noirceur teintée d'auto-apitoiement. Mais c'était mieux ainsi, car mieux valait vivre en martyr que de se vautrer dans la fange écervelée de ces mannequins en Technicolor. »
Cette pression l’auteur la prend de plein fouet,  incapable d’exister en dehors de la marginalité, de l’ivresse et de la folie. J’aime ces anti-héros qui, entre deux errances, suintent une phrase ou une idée, devenant parfois un ouvrage, un poème voir un chef d’œuvre. A la croisée du hobo, du clochard céleste ou de l’éclatant Bandini, Exley ne ment pas, il parle de sa vie avec cynisme, réalisme et parfois humour :
 « Mon cœur penchera toujours du côté de l'ivrogne, du poète, du prophète, du criminel, du peintre, du fou, de tous ceux qui aspirent à s'isoler de la banalité du quotidien (...) je ne me sentirais jamais plus à l'aise dans autre chose que des nippes de bas étage, qui rappellent les odeurs, les goûts, les rires et les larmes d'Avalon Valley. »
Une part de tarte et un grand café m'meCette Amérique des années 50-60  a  un charme désuet qu’il me plait de lire. Les grands espaces, les trajets interminables, les communications retardées, l’atypique nait de l’isolement. La route qui deviendra la rue, la perte de repères et la folie créatrice. Le témoignage que livre Exley est, en un sens, unique, parfait marqueur d’une époque, goutte de mauvais whisky à jamais bu. Comme un Bandini, l’auteur parle sans détour des ravages de l’alcool, de l’entourage qui s’en va, de l’escalade de la honte pour pouvoir se payer sa nuit de buverie. Il détruit tout autour de lui avec placidité, toujours lucide pour les autres, parfois à ses dépens :
« Dans un pays où le mouvement est la plus grande des vertus, où le claquement rapide des talons sur le bitume est érigé en sainte valeur, rester allongé pendant six mois relève du geste grandiose, rebelle et édifiant. »« Que diantre pouvais-je lui dire ? Je comprenais Big Red mais pas elle- ou plutôt, je la comprenais bien trop facilement. Une fois remise, elle rentrerait chez elle, épouserait un diplômé de Yale, et sa vie ne serait qu’une longue succession de mensonges à elle- même. »
Sans avoir le talent d’écriture d’un Faulkner ou d’un Fante, Exley livre « Le Dernier Stade de la soif » accessible, structuré et prenant.  Le style est riche, évocateur, original et cynique. Le dynamisme des personnages secondaires, comme Mr Blue ou The Duke, apporte un côté Lynchien (à vous de juger si c’est une qualité ou un défaut) au récit qui cherche quelques fois un second souffle. La faute peut être à cette volonté presque testamentaire de consigner pour ne rien oublier, aucun visage, dates ou résultats des New York Giants (l’équipe de football dont l’auteur ne rate pas un match). Les matchs de son équipe favorite sont les seuls repères de l’auteur, qui met un point d’honneur à n’en manquer aucun, scrutant, chaque week-end, Frank Gifford, un camarade de l’université devenu son double réussi.
A lire ou pas ?Oui. « Le dernier stade de la soif » est une gorgée de café tiède dans un drive-in, une ambiance, une idée, une tranche de vie. Le journal intime d’un homme face à l’Amérique, qui ne sera jamais quaterback ou publicitaire de renom, mais un simple auteur en constante fuite, rongé par la mauvaise bière. De ce destin sans gloire, mais écrit avec panache, éclot un grand livre. Un peu de la folie de l’auteur dans l’écriture, et l’on aurait frôlé l’indispensable…
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