Un polar de Pierre Maury sur nos terres
Hasard Dans la suite du roman, le hasard semble jouer un grand rôle. Mais un hasard malgré tout conditionné par une envie de quitter les sentiers battus, de s’écarter des lieux où se rassemblent les vazaha et de participer, autant qu’il est possible de le faire en peu de temps, à la vie des Malgaches. Non plus donc à la manière d’un touriste mais comme quelqu’un qui cherche à s’immerger dans l’inconnu sans prétendre apporter des réponses à toutes les questions qu’il se pose. Et son enquête, dans tout ça ? Il y pense, il y pense… Bien qu’en réalité, il se laisse surtout porter par les événements en se disant qu’il lui arrivera bien quelque chose pour lui offrir quelques éléments. Curieuse méthode, non ? L’auteur ne dit pas vraiment le contraire. « Oui, sans doute. Je n’ai pas voulu faire de Xavier un modèle de journaliste. D’une part, il a des faiblesses bien humaines – bien masculines aussi, comme on le découvrira. D’autre part, il n’a pas vraiment envie d’être là. Je l’imagine comme un homme qui se trouvait installé confortablement derrière son bureau, dans le calme relatif d’une rédaction où il côtoyait ses collègues. Bien entendu, je ne raconte pas tout ce que fut sa vie avant d’arriver à Madagascar. Je ne la connais d’ailleurs pas exactement moi-même. Une chose est certaine en tout cas : il a été lancé d’un coup dans le grand bain – le grand reportage – et il sait à peine nager… » Intrigue D’autres rencontres, plus malgaches et surtout plus féminines, le placeront malgré lui sur la voie de ce qu’il cherchait. Mais il n’avait jamais imaginé qu’il s’approcherait si près de dangers bien réels, et moins encore qu’il deviendrait un acteur d’une intrigue dans laquelle sa présence se révèle souvent inopportune. Forcément : il est maladroit et débarque avec ses gros sabots dans une affaire sur laquelle les autorités locales, dont il avait sous-estimé le savoir-faire (bien un comportement de vazaha, ça !), travaillaient depuis longtemps. L’intérêt de Filière malgache est double. D’abord, il s’agit d’un polar bien ficelé, avec les ingrédients habituels du genre mais transposés dans un pays que peu d’écrivains ont choisi pour cadre dans ce domaine. Le roman noir amène, comme il se doit, une certaine brutalité dans les événements, une certaine crudité aussi. Pierre Maury a dû en lire pas mal et démonter les mécanismes à l’œuvre dans cette littérature, car il utilise au mieux les ressources du suspens et de l’opacité de certains personnages qui ne sont pas toujours ce qu’ils disent être. Ensuite, Madagascar y est présenté sous un jour inhabituel. On devine que l’auteur, en plaçant son héros sur des pistes peu fréquentées, a cherché un éclairage très éloigné de celui des cartes postales. Son pays malgache, ou du moins la partie qu’en découvre Xavier, est rude, violent. Quelques protagonistes sans foi ni loi y sèment la terreur. Pourtant, malgré cette atmosphère tendue et sombre, une vraie tendresse se glisse entre les lignes, envers le pays autant qu’envers ses habitants. Et cela peut être mis au crédit du personnage principal. Ajoutons, pour finir, le plaisir que procure une écriture vive à travers laquelle le lecteur a l’impression de vivre les rebondissements sur les lieux mêmes où ils se déroulent. Après tout, c’était le moins qu’on pouvait attendre de Pierre Maury dont le métier est d’écrire. Comme journaliste, certes, plutôt que comme romancier. Mais sa première incursion sur le terrain du polar est une belle réussite. Eric Ranjalahy
Pierre Maury. Filière malgache. Editions No Comment, 232 pages, 30.000 Ariary ou 13 €. Oui, un peu d'auto-promotion...