Des dizaines de millions d'automobiles circulent dans le monde, et chaque jour des milliers de personnes sont victimes d'un accident d'automobile... L'automobile est devenue l'instrument indispensable de notre vie quotidienne. Voiture du boucher, du camionneur, gros camions de transport ou véhicules légers de tourisme, l'automobile est, par excellence, l'instrument à moteur symbolique de ce vingtième siècle déjà dans sa seconde moitié...
Et pourtant, pensez-y : il y a à peine cinquante ans, l'apparition d'une automobile, d'un "teuff-teuff", comme l'on disait, provoquait immédiatement une vive agitation, un mouvement de curiosité, et parfois même de vertueuse indignation...
Et pourtant cette époque est encore bien proche de nous... Et M. Zélélé en reste le témoin convaincu et attendri. M. Zélélé a soixante huit ans. Il est né en Ethiopie, en 1885, mais il est naturalisé Français.
En 1897, M. Zélélé entrait à l'usine de Dion, comme apprenti mécanicien. C'était l'époque où les frères Renault venaient d'acheter des moteurs de Dion pour construire leurs premières voitures automobiles.
Et trois ans plus tard, à l'orée du siècle, en 1900, M. Zélélé, le jeune mécanicien entrait au service personnel du marquis de Dion.
De la monocylindrique à la quatre cylindres, en passant par la deux cylindrs, M. Zélélé a conduit tous les modèles de voiture. Et aujourd'hui, après cinquante années de bons et loyaux services, il est toujours - bon pied bon oeil - "chauffeur de maître" au service de M. André Vallut (90 ans), un des fondateurs du métro.
Zélélé a évoqué pour nous ses souvenirs de la "belle époque".
- Ah ! mes débuts... je me souviens encore des cochers de fiacre qui, furieux de voir ma voiture soulever un nuage de poussière, me criaient :
- "Eh ! va donc... Bamboula !..."
- "A Charenton, Boule de Neige !"
Mais Zélélé, impassible et imperturbable, continuait son chemin. Et c'est le marquis de Dion, lui-même, nous confie-t-il qui répliquait aux cochers au verbe trop haut :
- "Tais-toi, eh ! colignon !"
- J'ai conduit le prince de Galles (le futur Edouard VII) lorsqu'il rendit visite à Gordon-Benett... C'était dans une De Dion "vis-à-vis". Il n'y avait pas de volant, mais un "moulin à café". Et aussi Léopold II de Belgique. Et j'ai été le professeur de la Belle Othero lorsqu'elle a voulu apprendre à conduire.
- Une question professionnelle, si vous permettez. Quel est à votre avis la plus belle invention, le plus grand progrès réalisé par l'automobile !
Zélélé n'hésite pas :
- C'est le trembleur. Une invention de M. le marquis de Dion. Les premières automobiles Daimler étaient à brûleur. Il fallait se préparer à 6 heures lorsqu'on voulait partir, à 8 heures. Le trembleur de De Dion, c'est exactement le même appareil que le rupteur des automobiles modernes. Et pour un chauffeur c'est bien pratique.
Zélélé, De Dion, les premières automobiles, la fondation de l'Automobile-Club de France...Tout un passé, pourtant si proche de nous mais un passé qui vit intensément et qui a préparé la circulation moderne, les belles voitures aérodynamiques, la griserie de la vitesse et de l'espace enfin vaincu.
Louis FOREZ - 1954