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Réflexion à voix haute sur les réseaux personnels et autres bousculements pédagogico-sociétaux

Publié le 04 mai 2013 par Olivier Leguay

Cette semaine, j'affirmais qu'il était préférable d'utiliser le terme  de réseaux personnels, en ce qui concerne la communication numérique des jeunes, car elle est essentiellement construite autour de l'individualité, plutôt que le terme de réseaux sociaux. Ces réseaux sont utilisés par pas moins de 1 milliard et demi d'individus et de 96% des jeunes âgés de 18 à 24 ans. 

On peut donc poser la question d'une nouvelle définition, à la lumière de l'usage répété de ces réseaux depuis le plus jeune âge, de ce que l'adolescent peut qualifier aujourd'hui de "personnel" et de "non personnel". 

Je postule que ce qui relève actuellement du "personnel" (hors biens) pour un jeune est principalement lié à la communication non médiatisée par un agent extérieur. C'est à dire que celui qui émet est en première ligne d'émission, sans déformation de son discours par le contact imposé d'un tiers. Cette position est très nouvelle et permise par les réseaux puisqu'auparavant, toute tentative de communication vers un groupe, ou toute autre cible non individuelle, se trouvait nécessairement médiatisée par un tiers (parent, système, hiérarchie, structure...). Les réseaux personnels (dits sociaux) définissent un nouvel espace-temps d'une communication non captée par un agent externe. C'est un espace d'expression personnelle quasi pure, très faiblement contraint par autrui .

Cette nouvelle définition de la sphère personnelle de nature communicationnelle chez le jeune va à l'encontre de la dénomination dite "sociale" de ces réseaux. Elle me semble cependant plus pertinente. 

Certains constats numériques, que je n'avais pas interprétés, me laissent penser de la justesse de ce raisonnement. Mais là n'est pas l'essentiel. Car bien souvent, l'analyse des phénomènes numériques s'arrètent au numérique.

A cette définition de la représentation de l'espace personnel du jeune, certainement fantasmé et idéalisé en partie,  mais néanmoins intériorisé proportionnellemment au temps passé devant l'écran,  il peut imaginer, ce qui relève de sa sphère non personnelle. Auparavant, ce qui n'était pas personnel était temporaire, collectif ou partagé. Cela concernait principalement  les actes et les objets. Aujourd'hui, il semble que la notion de "non personnel" coïncide plus avec celle d'une intervention tierce et imposée dans sa communication.

La sphère non personnelle serait celle dans laquelle la communication directe ne peut pas se réaliser, celle dans laquelle la Loi externe pose les conditions d'émission de l'acte, c'est certain, mais aussi de la parole, et c'est nouveau pour le jeune. On voit donc émerger un nouvel espace qui remplace l'ancien, un espace dans lequel, biens et  temps communs, sont  substitués symboliquement et remplacés par lidée d'une dépossession de sa parole. Alors que l'ancien espace non personnel relevait plutôt du partage d'espace et de biens, le nouvel espace, qui ne coïncide plus avec l'ancien, fait intervenir aussi  la norme, la loi et la contrainte concernant la communication. Cet espace s'appuit sur la croyance que la Loi, qui se projette sur tout type d'échanges est celle du "Bien pour tous". Personne n'y échappe théoriquement dès lors qu'il se trouve dans son espace non personnel. L'ancienne définition du "non personnel" permettait une extraction égoïste (je partage mais je possède) alors que le nouveau ne le permet plus puisque qu'il est impossible de ne pas communiquer. L'espace non personnel de communication s'impose sans extraction possible. Il est impossible de ne pas communiquer et toute communication m'engage.

La massification des canaux de communication a permis l'émergence d'une nouvelle sphère de liberté personnelle qui auparavant n'était offerte qu'à certains "élus" ou certains médias, à certaines positions dominantes. Aujourd'hui chaque individu peut évoquer son droit d'être un émetteur dont le message n'est pas médiatisé par un tiers et qui est lancé à destination de cibles diverses, dans son espace propre de libertés.

On retrouve cette idée dans une dernière décision judiciaire, avec laquelle un groupe d'amis Facebook a été défini comme relevant de l'espace "personnel" et non pas, "non personnel". Les paroles prononcées dans cet espace ne peuvent être considérées comme publiques et ne peuvent être utilisées comme telles à l'encontre de l'émetteur! L'utilisateur dispose bien d'un espace personnel d'échanges dans lequel il n'est pas soumis à médiatisation tierce. On retrouve aussi cette idée avec les tweets lancés par des personnages publics, qui sont bien souvent interpértés comme s'adressant à la sphère privée de l'émetteur et ne devant pas faire l'objet d'une analyse publique.

L'espace personnel est donc non médiatisé par un élément externe et l'émetteur peut, tout dire ou presque, tout transmettre ou presque aux cibles de son choix. Au contraire l'espace non personnel, est  celui de la parole médiatisée, captée ou déformée par un agent tiers.

L'espace non personnel contient des normes strictes. Les paroles sont soumises à médiatisation sociétale. C'est particulièrement nouveau. Si l'espace public ou l'espace social était auparavant présenté comme un espace dans lequel la Loi était nécessaire pour assurer le '"vivre ensemble", il faut maintenant lui rajouter la contrainte de la présence de la parole déformée, interceptée ou médiatisée.

Je pense que le développement de la communication de type réseau, pousse par exemple, les figures parentales et scolaires un peu plus loin vers la sphère sociétale, les éloignant de plus en plus de la sphère personnelle.
Je m'explique. Il y a quelque temps, pour punir un enfant, il suffisait qu'un parent l'envoie dans sa chambre. Aujourd'hui s'il ne lui enlève pas son smartphone et/ou son ordinateur connecté en Wi-fi, pensez-vous que de l'envoyer dans sa chambre va être une "vraie" punition? La privation que constituait l'interdiction à un espace collectif parental, de l'accès à la parole "publique" dans la maison ou considéré comme tel (je ne parle pas des privations de type sorties ou achats), est caduque avec l'utilisation des modes numériques de connexion. Le puni n'abandonne pas sa position centrale, et que très partiellement sa liberté, même s'il est seul dans sa chambre, en ayant accès à son espace de communication personnel. 

On peut aussi s'interroger à juste titre sur la nature propre que donnent les jeunes actuel à l'espace "classe" dans lequel ils séjournent pas moins de 6 heures par jour. Je ne suis pas loin de penser qu'il s'agit, dans leur propre représentation d'un espace social, sociétal, public, plus que d'un espace personnel  tel que nous pourrions l'imaginer en tant qu'enseignant supposant que chaque élève est là, ici et maintenant, pour se former.

On peut s'interroger sur la représentation des images parentales, à l'ère des réseaux. Les parents ne font-ils pas eux aussi de plus en plus partie de l'espace social, s'éloignant ainsi, dans bien des cas, de l'espace personnel de l'adolescent, (dans le cadre de la communication)?

Les remarques  précédentes impactent nécessairement le triangle didactique dont deux des sommets, les parents et l'enseignant, sont certainement aujourd'hui vus, plus qu'hier, comme appartenant à la sphère publique et sociétale. Ils s'accolent, de facto, à l'espace personnel de l'adolescent, sans y pénétrer.

La communication des jeunes vers un groupe n'est pas nouvelle, ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est la possibilité conjointe de communication interpersonnelle sans positionnement individuel particulier au sein de ce groupe, sans déformation de la communication par le groupe, ni par un statut quelconque du jeune dans le groupe. Auparavant le groupe devait être constitué, créant au passage des relations de pouvoir/soumission/séduction en son sein. Aujourd'hui la communication personnelle n'est plus médiatisée par ce plongement dans le groupe. Elle peut-être émise directement par l'adolescent, sans médiation, sans déformation externe. 

Il me semble que cela interroge pleinement l'enseignant dont le rôle, qu'il s'assigne bien souvent, est de médiatiser l'échange, de contrôler la parole dans la classe... La classe n'est-elle pas un devenue un espace plus  public et plus social à l'époque des réseaux personnels? Cet espace public et social qui était jadis considéré comme la possibilité du vivre ensemble, n'est-il pas aujourd"hui considéré comme l'espace des contraintes imposées et subies arbitrairement, en termes d'actes mais surtout de paroles. L'échange positif et le "bon" acte prodigués par le milieu scolaire ne tombent-ils pas de plus en plus dans l'inconscient adolescent comme une forme de contrainte sociétale aliénant sa liberté, amputant son identité?

Réflexion à suivre.


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