Les arguments économiques en faveur de l’accueil des immigrés peu qualifiés sont nombreux pour les pays développés.
Par Véronique de Rugy, depuis les États-Unis.
Un article du magazine Reason.
Manifestation aux Etats-Unis pour la réforme de l'immigration
Alors qu’une réforme complète de la politique migratoire est propulsée au sommet de la liste des choses à faire de Washington, un consensus surprenant est né autour de l’idée que les États-Unis doivent et peuvent offrir davantage de visas aux immigrés très qualifiés, très compétents et très bien payés.
Mais qu’en est-il des immigrés relativement peu qualifiés et peu rémunérés, qui constituent la plus grande majorité des personnes qui se sont échouées sur les côtes américaines ces 150 dernières années ? Quels sont les arguments pour permettre à davantage de travailleurs peu qualifiés, dont beaucoup ont des compétences en anglais aussi mince que leur curriculum vitæ, pour entrer ou rester dans le pays légalement ?
Les nativistes concentrent souvent leur colère sur ces candidats à l’immigration, les accusant d’exercer une pression excessive sur les ressources de leur pays d'accueil. Mais les immigrés peu qualifiés ne sont pas les seules personnes dont les vies s’améliorent par le fait de traverser la frontière. Tous les Américains gagnent lorsque nous accueillons the tired, poor, huddled masses yearning to breathe free.
Aujourd'hui environ 13% des citoyens des États-Unis sont nés à l’étranger, en hausse par rapport au taux le plus bas de 4,7% de 1970, mais toujours en-deçà du record de 1890 de 14,8%. Comme par le passé, la plupart des immigrés n’ont pas de diplôme du secondaire. Contrairement à ceux des générations précédentes, qui ont rejoint les rangs d’une population globalement peu qualifiée, les immigrés actuels se démarquent dans un pays où 87,5% des adultes ont au moins un diplôme secondaire.
Ce décalage permet d’expliquer pourquoi il y a toujours tant d’inquiétude au sujet des immigrés peu qualifiés dans un pays qui est par ailleurs beaucoup moins xénophobe qu’il y a un siècle. Les autochtones craignent que la main d’œuvre bon marché, particulièrement les travailleurs illégaux, fassent baisser les salaires et limitent les opportunités d’emploi. Une étude de février 2012 du Heldrich Center for Workforce Development de l’université Rutgers a montré que 40% des répondants blâment les immigrés illégaux pour le niveau élevé du chômage.
Personne ne questionne le fait que les travailleurs immigrés gagnent moins que les immigrés légaux et que les travailleurs nés aux États-Unis. Selon le bureau du recensement, en 2010 le revenu moyen d’un immigrant mexicain (35 254 $, soit 26 981 €) était significativement inférieur à celui d’un américain d'origine (50 541 $, soit 38 672 €) et que les autres immigrés (46 224 $, soit 35 377 €).
Alors pourquoi les voulons-nous ici ? Parce qu’ils effectuent un travail dans des secteurs où la demande est forte, mais l'offre faible. Ce sont des emplois que l’Américain moyen ne veut tout simplement pas ; la cueillette de laitues, les travaux sur les toits, la peinture, le ramassage de feuilles mortes. Cela reste vrai même en période de récession lorsque les flux d’immigration, même ou surtout ceux des travailleurs peu qualifiés, se ralentissent ou s’inversent.
Les immigrés n’occupent pas seulement les emplois dont les Américains ne veulent pas, ils permettent aussi aux Américains de rechercher d’encore meilleures places. Les économistes ont ainsi montré que les immigrés peu qualifiés sont généralement meilleurs à des postes « non linguistiques » qui ne nécessitent pas de connaissances poussées en anglais. Cela libère des anglophones de naissance de tâches subalternes. Alors qu’un non-anglophone peut nettoyer des bassins de lit ou changer les draps dans un hôtel, seul un natif avec un bon anglais peut travailler à la réception ou prendre les réservations. Le travail domestique peu qualifié permet également aux femmes de sortir de la maison et d’entrer sur le marché des emplois de bureau comme les économistes Patricia Cortes et Jose Tessada l’ont montré dans une étude publiée dans l’American Economic Journal en 2012.
En travaillant pour moins cher, les travailleurs peu qualifiés aident à produire des biens et des services à un bien moindre coût. Ce qui implique de plus bas prix pour tout le monde. Une autre étude par Cortes, Les effets de l’immigration peu qualifiés sur les prix aux États-Unis, publiée dans le Journal of Political Economy en 2008, est l’estimation la plus connue de ces avantages. Selon ses travaux, les immigrés font diminuer les prix des produits achetés par les consommateurs hautement diplômés de 0,4 point de PIB. Pour les consommateurs moins diplômés, c'est un gain de 0,3 point de PIB.
Un argument populaire contre l’immigration peu qualifiée est qu’elle déplace ou réduit les salaires des natifs ayant quitté le lycée sans diplôme. Mais les économistes ont du mal à trouver des preuves que cet effet est aussi néfaste que les gens le pensent. Le plus grand impact négatif mesuré provient des travaux de George Borjas et de Lawrence Katz de l’université de Harvard. Ils ont trouvés que l’impact à long terme de l’immigration mexicaine sur les salaires des américains sans diplôme secondaire était de moins de 5%. D’autres économistes ont trouvés que l’immigration peu qualifiée peut avoir un impact faible mais positif sur les salaires des natifs ayant quitté le lycée sans diplôme, jusqu’à +0,6%.
Il y a cependant un coût évident de l’immigration peu qualifiée : la pression exercée sur les gouvernements des états et locaux par le gonflement de Medicaid et des dépenses de l’école publique, deux types de dépenses sociales que reçoivent généralement les immigrés s’ils y sont éligibles. Mais c’est un argument en faveur de la réforme de l’État-providence, pas en faveur du rejet des immigrés.
Comme Dan Griswold le souligne dans une étude publiée dans le numéro d’Hiver 2012 du Cato Journal, le coût des dépenses sociales est exagéré, car il mesure le prix de l’éducation des enfants des immigrés, la plupart étant des citoyens américains, sans prendre en compte les impôts futurs qu’ils paieront dans le système une fois qu’ils auront grandis et se seront intégrés dans la vie active. Étant donné que ces enfants surpasseront probablement leurs parents en termes de réussites scolaires et de revenus, ne considérer que les coûts immédiats revient à ne pas considérer le tableau dans sa globalité. Alex Nowrasteh, le chercheur en charge de l'immigration du Cato Institute, me dit que « les immigrés ont moins de chances de bénéficier de Medicaid, même lorsqu’ils sont éligibles, et les dépenses moyennes par immigrant adulte est de 1 000 $ (soit 763 €) moindre par an que pour un natif adulte pauvre. Les dépenses par enfant d’immigrant sont d’environ 45% du coût d’un même natif pauvre ».
L’une des craintes récurrentes concernant les immigrés peu qualifiés est soit qu’ils sont attirés aux États-Unis en raison des prestations sociales relativement généreuses, soit que leur éthique de travail s’effondre une fois qu’ils réalisent qu’ils peuvent souscrire aux allocations chômage américaines. Mais il y a peu de preuves venant confirmer cette crainte. Comme Shikha Dalmia l’indique en novembre 2012 dans une étude de la Fondation Reason, « le taux de participation au travail de 2010 pour les hommes étrangers est de 80%, 10 points supérieur que celui des hommes natifs, ce taux était même supérieur pour les hommes étrangers non autorisés (94%) ». Et depuis la réforme de l’aide sociale fédérale de 1996, les immigrés illégaux se sont vus refuser l’accès à tous les programmes sociaux en dehors des urgences.
Comme cela a toujours été le cas, l’écrasante majorité des immigrés sont des réfugiés économiques qui viennent en Amérique pour trouver du travail, pas pour l’éviter.
L’un des arguments les plus convaincants pour ouvrir l’immigration aux travailleurs peu qualifiés est l’impact que cela aurait sur la pauvreté mondiale. Pensez à nouveau au cas le plus typique : un immigré mexicain déménageant aux États-Unis augmente son revenu de deux fois et demi simplement en traversant la frontière. Une étude de 2005 de la Banque Mondiale estime que les citoyens des pays pauvres bénéficieraient d’une manne de 300 milliards de dollars (soit 229 milliards d’euros) si les gouvernements des 30 pays de l’OCDE, parmi les plus riches du monde, acceptaient d’assouplir leurs normes en matière d’immigration pour permettre une simple augmentation de 3% de la taille de leur population active.
Comme Dalmia l’explique, c’est 230 milliards de dollars de plus (soit 176 milliards d’euros) que l’argent dépensé en aide internationale par les pays développés. Alors que cette aide ne sert souvent qu’à enrichir les gouvernements corrompus, l’immigration ouverte donnerait directement des avantages qu’à ceux qui en ont besoin en leur permettant de trouver leur propre fortune. Encore mieux, selon l’étude de la Banque Mondiale, ces pays accueillants gagneraient 51 milliards de dollars (39 milliards d’euros) en augmentant le rendement du capital et en réduisant les coûts de production. C’est un véritable scénario gagnant-gagnant.
Dès la fondation des États-Unis, l’immigration a été une question qui a exacerbé les passions et les craintes. Benjamin Franklin
a craint de manière célèbre l’arrivée massive d’Allemands dans son état adoptif de Pennsylvanie. Après des décennies d’immigration intense venant d’Europe du sud et d’Europe centrale, les "restrictionnistes" des années 1920 ont ouvertement invoqué les craintes d’une dégénérescence raciale si encore plus d’Italiens, Juifs et Polonais arrivaient « direct des taudis de l’Europe ».
Maintenant, ce sont les immigrés non-anglophones des pays d’Amérique Latine qui inquiètent. Ce genre de réponse émotionnelle peut ne jamais s’en aller, mais les arguments économiques en faveur de l’immigration, à la fois hautement et peu qualifiée, sont plus forts que les craintes des nativistes.
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Article original No Skills? No Problem! par Véronique de Rugy - Traduction Eclipse/Contrepoints