Depuis plusieurs mois, la France est divisée au sujet du projet de loi qui permet aux homosexuels de se marier entre eux. La vive émotion qui s’est emparée du débat vient de la surprise et incompréhension des pro- qui n’avaient pas anticipé une telle mobilisation des anti-. En effet, ce mariage pour tous est présenté comme le moyen d’offrir aux homosexuels une égalité reconnue légalement. En des termes vulgarisés qu’emploient beaucoup de pro-, accorder le mariage aux homosexuels revient à leur accorder le droit de s’aimer publiquement, sans se cacher. Qui peut oser s’opposer à l’amour et à sa célébration? Dans les comédies romantiques et dessins animés de Disney, le présupposé est évident: la plus grande consécration et preuve d’un amour réciproque, c’est le mariage. Vouloir empêcher le mariage entre deux personnes, ce serait donc vouloir empêcher leur amour.
C’est une vision très romantique de l’institution du mariage qui, jadis, relevait de la religion. C’est d’ailleurs ce qui chiffonne les catholiques, pratiquants ou pas, qui y voient toujours un sacrement religieux. Hélas pour eux, le mariage civil a emprunté à la religion le mot et son concept d’union entre un homme et une femme. Manifestement le temps n’a pas réussi à effacer la connotation religieuse du terme. Aujourd’hui, le mariage n’est plus une histoire de religion mais relève du Droit français. C’est ce qu’on peut appeler l’héritage catholique de l’Histoire de France. Toutefois, le catholicisme n’appartient pas au passé, il y a toujours des catholiques en France: entre une personne sur deux et deux personnes sur trois (selon un sondage IFOP de 2009). Mais il doit faire un peu de place à l’Islam et au Judaïsme.
Le catholicisme a commencé à s’installer en France au IIème siècle et a donc quelques longueurs d’avance historiques sur les autres religions. Par chance, la position des papes au sujet du préservatif ainsi que les différentes affaires de pédophilie dans l’Eglise catholique ont fait leur travail de désacralisation de cette religion.
En parallèle, la loi Gayssot du 13 juillet 1990 condamne non seulement les actes mais également les propos racistes, assimilés à de l’incitation à la violence. Cette loi punit le racisme, l’antisémitisme et toute forme de xénophobie. Par discrimination linguistique, cette loi ne s’assurait donc pas de la protection des catholiques blancs. Rien de choquant a priori: étant majoritaires en France, il était peu probable que les catholiques subissent la majorité des agressions. Mais on peut aller plus loin encore. La xénophobie, c’est la haine de l’étranger. On peut, au passage, regretter ici la mauvaise utilisation du suffixe -phobie, qui vient du grec « phobos », « la peur». Il est vrai que la haine trouve bien souvent ses racines dans la peur de l’inconnu. On a moins peur de quelque chose qu’on connaît. Dans le mot « xénophobie », la peur et la haine se confondent. Amusons-nous: il est donc illégal d’avoir peur. La peur est illégale. La France punit donc une émotion. C’est assez absurde, je vous le concède, mais c’est ce que le mot signifie vraiment. La linguistique est une arme terrible et c’est l’instrument le plus sournois que l’on peut utiliser au service d’une idéologie politique, religieuse ou autre. Fin de la digression.
La xénophobie ne concerne que l’étranger. Le Français n’est donc pas couvert par ce terme.
La xénophobie est punie par la loi. En grec, « xenos » signifie « étranger ». La xénophobie ne concerne que l’étranger. Le Français n’est donc pas couvert par ce terme. Le Français catholique blanc devenait donc, par discrimination, le destinataire de cette loi, donc l’unique agresseur logique des minorités religieuses et ethniques. C’est peut-être cette lecture-là qui a semé le trouble dans l’identité nationale de la France, identité nationale devenue un sujet tabou car on en a totalement perdu le contrôle, à force de contradictions motivées pourtant par un désir de justice et de paix. La juste mesure est difficile à trouver en politique et les discours victimaires s’appuyant sur la loi ont vite fait de transformer un David oppressé en un Goliath qui fait des procès et les gagne. Le blanc catholique, qui est trop Français pour invoquer historiquement une quelconque oppression dont il aurait été un jour victime dans son propre pays (oppression qui aurait pu faire naître une loi de protection), se trouve donc dans une position délicate quand il est attaqué sur sa couleur de peau ou sa religion dans le pays de ses racines ancestrale: il est majoritaire en France, en conséquence il semble tout à fait normal de compenser cette supériorité quantitative et présence historique en prenant sur lui, afin d’accepter les revendications égalitaires des minorités complexées qui peinent à se trouver une place en société, encore plus en période de crise économique, tout en étant bien souvent tourmentées par un déracinement qui est une véritable épreuve existentielle, qui que l’on soit, où que l’on aille vivre, d’où que l’on vienne.
C’est dans cette logique de protection des minorités que l’on se retrouve, en 2013. Il est évidemment difficile de savoir quelle est la proportion exacte d’homosexuels qui revendiquaient le mariage avant cette agitation « populaire ». Aujourd’hui, ce n’est plus la question. Le mariage est devenu l’instrument égalitaire de cette communauté. L’homosexuel qui n’avait pas de projet de mariage particulier, mais qui se sent discriminé (ou discriminable) en raison de son orientation sexuelle, peut ainsi saisir l’opportunité qui s’offre à lui de défendre sa communauté contre des agressions homophobes. Par empathie, l’hétérosexuel qui n’est pas nombriliste défendra également le droit au mariage pour les homosexuels. Le mariage accordé aux homosexuels normalisera leurs unions et on ne discrimine pas ce qui est normal, seulement ce qui est différent. On oublierait presque de se poser la question de ce qu’est une normalisation.
Le suffixe -sexuel est déjà assez évocateur quant à la nature de la différenciation entre les deux groupes d’individus. Cela est de la simple théorie sur laquelle je crois qu’il est possible d’être tous d’accord. En pratique, la différence est que, dans le cadre d’un rapport sexuel, un couple homosexuel est stérile. Un couple hétérosexuel peut être stérile également, mais seulement en cas de défaillance des organes reproducteurs. Un couple homosexuel, lui, est toujours stérile, car les organes reproducteurs identiques ne peuvent pas aboutir à de la procréation car l’être humain n’est pas hermaphrodite. Une opération de changement de sexe pourrait à la rigueur être le seul cas se rapprochant de l’hermaphrodisme puisqu’un transsexuel est un individu qui a changé de sexe. Toutefois, le processus de transformation n’est pas biologique mais chirurgical (le phénomène n’est pas spontané, il y a intervention extérieure).
Le modèle parental simple qu’offre la nature, c’est un père et une mère, un modèle biologique à deux individus. Or, pour qu’un couple homosexuel devienne des parents, il y aura nécessairement intervention d’une troisième personne : une femme qui aura porté l’enfant d’un couple d’hommes, ou un homme qui aura donné son sperme à un couple de femmes (l’une ou l’autre, ou les deux). Cette idée de trio va à l’encontre des principes ancestraux du mariage « simple » entre deux individus. De par le principe de laïcité, les catholiques n’ont plus la légitimité d’émettre un avis sur le mariage civil.
C’est pour cette raison que l’avis des catholiques concernant le mariage homosexuel est systématiquement rejeté, car on attribue leur position politique à l’expression d’un dogme religieux. Les défenseurs du mariage pour tous mettent un point d’honneur à mentionner la séparation entre l’Eglise et l’Etat. La communauté catholique, qui assimile ce bâillon rhétorique à un procès d’intention, se sent frustrée par l’impossible débat de fond. L’absence totale de communication de qualité conduit fatalement à des actions violentes menées par les individus les plus extrêmes.
Les pro- ne revendiquent que le mariage en tant qu’union d’amour. Il n’est pas réellement question de parentalité. Ce n’est pas ce qui est revendiqué en premier. Or, le mariage a été créé pour encadrer socialement et légalement le développement d’une famille. Les gens qui défendent le mariage pour les homosexuels se retrouvent donc encombrés par un ensemble de mesures légales, inhérentes au mariage, qui n’ont concerné jusqu’à aujourd’hui que des modèles de couples mixtes capables d’avoir un enfant de manière autonome. C’est pourquoi, si l’on veut appliquer de manière équitable le mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, il va falloir modifier quelque chose quelque part.
« il va donc falloir considérer la possibilité de laisser libre aux homosexuels d’avoir un enfant, afin de jouir pleinement de tous les droits du mariage »
On peut modifier le Code Civil et enlever toute mention de parentalité, et donc extraire du mariage sa consistance éthique originelle, puérocentrée (du latin « puer », « enfant »). Cette solution ne résisterait peut-être pas longtemps dans un débat, personne ne voudrait remettre ça en question sérieusement. Afin de rendre égaux hétérosexuels et homosexuels, via le prisme du mariage, il va donc falloir considérer la possibilité de laisser libre aux homosexuels d’avoir un enfant, afin de jouir pleinement de tous les droits du mariage. On peut alors s’amuser à extrapoler une évolution dans la démarche égalitaire de conquête d’une normalité.
Le mariage homosexuel est un instrument égalitaire. Le mariage d’amour entre homosexuels sera un acte politique qui aura pour but d’éduquer le citoyen français en lui faisant assimiler qu’être homosexuel n’est pas marginal puisque ce n’est pas un critère qui empêche l’union de deux personnes de même sexe devant la loi. Si les homosexuels ne se marient pas, l’instrument égalitaire ne sera pas utilisé et le combat qui aura été mené pour rendre ce mariage possible pour les homosexuels ne sera pas honoré.
« Les couples mixtes et les couples homosexuels ne sont pas égaux devant la biologie. »
Une fois mariés, les couples homosexuels se distingueront des couples hétérosexuels en n’ayant pas d’enfants. Or, l’institution du mariage prévoit l’arrivée d’un enfant. Il y aura donc une différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, puisque le premier se distinguera du second par son incapacité à avoir un enfant de manière autonome. Il y auradiscrimination de nature biologique. Seule l’arrivée d’un enfant au sein du couple homosexuel pourrait véritablement permettre de rivaliser avec un couple hétérosexuel marié qui, lui, aurait eu un enfant biologique. Les couples mixtes et les couples homosexuels ne sont pas égaux devant la biologie. Ce n’est donc pas une démarche égalitaire de conquête d’une normalité via le mariage qui arrivera à venir à bout de différences. Aucune normalisation ne pourra donc rigoureusement donner aux homosexuels et aux hétérosexuels la même existence légale et sociale. Je n’aborderai pas la procréation médicalement assistée ou la gestation pour autrui car ces sujets ne sont pas à l’ordre du jour, et donc en discuter relèverait plus d’une prospective sociologique que d’un débat d’actualité. J’en parlerai certainement plus tard.
Ce débat sur le mariage en France se déroule dans un paradigme à l’intérieur duquel il est normal de se marier quand on est en couple. Un couple qui se marie est un couple qui a priori est plus solide qu’un couple qui ne s’est pas marié, même s’il est vrai qu’un divorce peut mettre un terme à tous les mariages. La lourdeur administrative d’un divorce, souvent difficile à gérer matériellement et émotionnellement, a en effet de quoi dissuader les couples qui ne sont pas certains de réussir à rester ensemble. La réciproque est donc qu’un couple qui se marie est certain qu’il n’aura pas à utiliser le divorce car il pense qu’il ne se séparera pas. Le mariage ayant été mis au point pour encadrer l’arrivée d’un enfant, le second présupposé est que cette vision normalisatrice du mariage implique qu’avoir un enfant relève également d’une normalité. Les allocations familiales accordées par l’Etat peuvent confirmer cette interprétation.
Deux positions peuvent être adoptées quand on considère une norme. On peut adhérer à cette norme ou la rejeter. Si le mariage est une norme en France, quel serait alors le sens d’un combat pour l’instauration d’un mariage ouvert aux homosexuels? Prendre position pour que des individus rejoignent une norme revient à présupposer la légitimité de cette norme, puisqu’on la défend en la servant, en la nourrissant, en la définissant. Une norme est un modèle. Les hétérosexuels et homosexuels ayant accès au mariage, les deux catégories représenteraient cette norme et les individus hétéro- et homosexuels seraient donc considérés comme égaux. Être égalitaire, c’est vouloir l’égalité entre les gens, le refus d’évoquer une différence. Cela touche à la nature propre des individus. En réalité, tout le monde veut se battre pour une équité entre les gens, une égalité de traitements pour tous, peu importent les différences car il y a des différences. Le mot « équité » n’a pas été retenu. Le mot « égalité » est celui qui est utilisé. Or, un hétérosexuel et un homosexuel ne sont pas égaux biologiquement. On pourra toujours y « remédier », contourner la loi naturelle par des moyens scientifiques, comme par exemple la PMA ou GPA que je n’aborderai pas aujourd’hui.
La couleur de peau constitue également une différence qui est difficilement énonçable à voix haute. On préférera utiliser la périphrase « de couleur », sans vouloir la nommer, la couleur. Les plus téméraires oseront « noir de peau ». Ceux qui n’utiliseront que le terme « noir », pour désigner quelqu’un qui a la peau très foncée, éveilleront systématiquement des soupçons de racisme. Les mots contiennent de la violence, des connotations taboues qui peuvent détruire leur énonciateur. Et pourtant c’est par les mots que l’on peut décrire le monde que l’on voit et comprendre le monde vu et décrit par les autres. « Les Noirs » prend avec une majuscule alors que « les vieux » ou « les chauves » ou « les homosexuels » n’en prennent pas. Qu’est-ce que ce détail de pure linguistique signifie? En France, on ne parle pas des différences entre des communautés. Il y a trop de douleur. Ou trop de peur d’en parler. La Loi Gayssot a été très efficace, peut-être trop, dans la mesure où, en convainquant de ne plus exprimer des idées, cette loi a stigmatisé de simples mots qui n’étaient pourtant pas des insultes, qui ne portaient pas intrinsèquement de valeur idéologique.
Le résultat en 2013 est qu’on a l’impression que seuls les antisémites parlent des Juifs ou que le patriotisme est une abomination des partis d’extrême droite. Les définitions du dictionnaire ne sont plus suivies, elles ont été dépassées par les tensions sociales. On ne peut plus aborder certains sujets, devenus tabous, que par l’intermédiaire de perspectives qui excusent d’elles-mêmes la mention des communautés, comme la discrimination positive ou la lutte contre les discriminations « non-positives ». Il y a une contradiction: on refuse les différenciations, les dissociations, et pourtant on catégorise les agressions selon l’identité communautaire des victimes: actes antisémites, actes racistes, actes sexistes, actes homophobes. Ces termes, clairement connotés péjorativement, ont de regrettable qu’ils sont l’expression de théories qui considèrent des individus comme inégaux en leur accordant un traitement particulier qui peut être agression ou protection. D’une certaine façon, tout le monde fait des discriminations: les racistes et autres discriminateurs diabolisent, les anti-racistes et autres anti-discriminateurs infantilisent. On ne peut pas refuser les discriminations de groupes de gens discriminés en raison de leur appartenance à une communauté et défendre de manière discriminatoire (positivement) ces mêmes communautés. On en oublierait presque le dénominateur commun: tous sont des êtres humains.
A force de n’identifier des individus qu’à leur statut de victimes qu’il faut protéger, ceux-ci se voient confortés dans cette position d’opprimés, justifiée par le discours ambiant qui ne cesse de dissocier leur destin de celui des autres communautés. Finalement, en défendant de manière particulière les communautés musulmane, juive ou homosexuelle, on justifie leur sentiment d’insécurité particulière. Les individus qui se sentent en danger ont le réflexe de se replier dans leur communauté. Il est alors difficile d’attendre de leur part la défense d’un idéal universaliste qui dépasserait leur propre communauté. Ils se concentrent sur leur propre cause. De ces sentiments de persécution naissent des idéologies spécifiques défendues par des groupes s’opposant à d’autres groupes, tous aussi inquiets à propos de leur protections respectives dans la société. La lutte des classes a passé le flambeau à la lutte communautaire.
« Est-ce que les soixante-cinq millions de Français sont vraiment représentés à l’Assemblée Nationale, dans les médias, là où la liberté d’expression s’exécute ?«
La communauté catholique prétend se trouver bien seule, sans la loi et sans l’opinion publique pour la défendre, alors que, d’après des sondages, elle recouvrirait pas loin des deux tiers de la population française. Qu’en est-il exactement ? Est-ce que les soixante-cinq millions de Français sont vraiment représentés à l’Assemblée Nationale, dans les médias, là où la liberté d’expression s’exécute ? Là où « ce qu’il reste » de la liberté d’expression s’exécute, si l’on adopte le point de vue de ceux qui dénoncent une censure. Le 31 décembre 2004, deux amendements à la Loi Gayssot ont ajouté les propos homophobes (« discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle ») à la liste des opinions qui n’en sont plus, puisqu’elles représentent un délit désormais. Il devient alors périlleux d’argumenter contre la loi du mariage pour tous. La communauté homosexuelle considère cette loi du mariage pour tous comme une loi anti-discrimination qui leur servira de nouveau principe au-delà duquel il n’y a de facto plus besoin de réfléchir pour défendre leur cause, puisqu’une loi est un principe, un principe est une limite au débat, et une loi fait autorité.
Un article d’Enzo le Renard, sur son blogue.