UNE RENCONTRE AVEC LA LOG LADY DE TWIN PEAKS
Aujourd’hui, Catherine E. Coulson a abandonné sa bûche pour les planches. Elle travaille à l’Oregon Shakespeare Festival depuis des années. Elle adore jouer et "entendre les applaudissements", d’autant plus que vu son âge désormais avancé (elle l'admet elle-même), on lui donne des rôles plus intéressants. La seule chose qu’elle regrette, c’est qu’il n’y ait pas assez d’amour dans les rôles pour femmes matures. "Il faudrait écrire des parties pour que les vieilles dames comme moi puissent encore embrasser, c’est important." Issue d’une famille où le théâtre était omniprésent (sa grand-mère était actrice en Hongrie, sa mère dans des Vaudevilles) elle a toujours su qu’elle jouerait et en ferait sa carrière. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’elle a aussi travaillé de l’autre côté de la caméra. Elle a même été l’assistante de David Lynch pour Eraserhead.
"Avoir été au bon endroit, au bon moment"
Dans les années 70, Catherine Coulson travaille pour l’American Film Institute où elle apprend les bases du métier d’acteur à de jeunes réalisateurs. Parmi eux, David Lynch. "C’était un cas à part. Il portait toujours trois cravates à la fois, il avait différentes cravates porte-bonheur… Une fois, David est venu à un de mes cours. Il l’a bien aimé, mais c’était beaucoup trop tôt le matin pour lui. Vous savez, il travaille la nuit." Le jeune Lynch demande à Catherine et son mari à l’époque, Jack Nance (oui, le même qui joue Pete Martell dans Twin Peaks) s’ils veulent bien travailler avec lui sur Eraserhead (1977). C’est son premier film, et aussi le plus étrange – donc forcément celui auquel les fans prétentieux et chiants de David Lynch font sans cesse référence.
L'actrice ne tarit pas d’éloges quand il s’agit d’évoquer ce que c’est que de travailler avec David Lynch. "La seule chose qu’il a testée sur moi, c’est mon sommeil. David Lynch est l’une des personnes les plus gentilles que vous rencontrerez jamais. Il est juste une âme aimante. Lui et moi avons commencé à méditer ensemble à partir de 1973, quand nous étions encore des enfants, enfin, je veux dire, j’avais seulement vingt ans. Nous faisions de la méditation transcendantale. D’ailleurs, maintenant, il a une grande fondation internationale où les gens apprennent à méditer et à calmer leur esprit. Et donc, je pense que nous étions connectés à certains niveaux qui me donnaient vraiment envie de travailler pour lui. Aussi, nous étions toujours payés. Équitablement. Même quand nous étions à court d’argent. Nous avions tous 25 dollars par semaine. Peu importe notre rôle dans le film. [..] Le truc avec David, je pense, c’est qu’il inspire les personnes et les pousse à donner le meilleur d’eux-mêmes en travaillant tous ensemble."
Et quand on lui demande son souvenir préféré avec le réalisateur, elle raconte cette histoire étrange où il lui avait dit, à trois heures du matin, en plein tournage d’Eraserhead "Cath, nous devons remplir ce tiroir de pudding à la vanille et mettre une couche de petits pois". Sa première réaction fut : "Est ce que tu sais quelle quantité de pudding il nous faudra ?". Et ils sont partis à la recherche de pudding dans la vieille Volkswagen de David Lynch qu’il utilisait pour pouvoir livrer le Wall Street Journal. "Il jetait le journal depuis la vitre. C’était censé prendre huit heures, mais il le faisait en une heure et demie. C’était fou." Au final, Catherine Coulson considère comme une de ses plus grandes victoires personnelles d’avoir su combien de boîtes de pudding acheter pour remplir le tiroir en question.
Genèse d’un personnage culte C’est d’ailleurs sur le tournage d’Eraserhead que l’idée de la log lady prend forme dans la tête de David Lynch. Une nuit (encore), en plein travail, remarquant Catherine dans le jardin avec ses lunettes et une jupe à carreaux, il lui dit "Un jour, je voudrais que tu joues cette fille avec la bûche".
"David a toujours adoré le bois. Son père était un chercheur pour le Département de l’Agriculture des Etats-Unis. Donc il s’y connaissait en bois. Il adorait le pin panderosa." David Lynch lui dit qu’il pense faire une série pour la télévision à une époque où, pourtant, les réalisateurs n’aspirent pas vraiment à travailler pour le petit écran. Mais il a le projet de faire des vidéos à un rythme hebdomadaire où on porterait une bûche chez différents spécialistes. "Par exemple, j’amenais la bûche de pin panderosa chez le dentiste, et le dentiste mettait une de ses petites serviettes autour de son cou, ou euh, son tronc, et examinait la bûche avec l’un de ses instruments. Et on en apprendrait sur la dentisterie et sur le bois." Finalement, Lynch a eu l’idée de Twin Peaks, de cette petite ville et de cet agent du FBI, et il a naturellement décidé d’intégrer la bûche à ce projet. "Il m’a appelée pour me dire « J’ai un pilote pour ABC, tu veux être la fille à la bûche ? » et j’ai répondu « Tu sais, je pense que ce n’est plus une fille maintenant. ». Donc on l’a appelée la log lady. Il n’a pas dit à la chaîne que je serai dedans, parce qu’il avait peur qu’ils ne comprennent pas. C’est comme ça que ça a commencé. Et je pense que c’est vraiment à cause du bois."
Et comme finalement le public adore la bûche, l’équipe la met de plus en plus dans la série. "Pas beaucoup, pas trop. Mais juste un peu pour en apprendre sur le bois. Et personnellement, maintenant, j’en connais un rayon sur le pin panderose." Soudain, la bûche devient une star. Catherine Coulson se rappelle bien de la première fois qu’elle a été confrontée au succès de la série. Le casting se rendait à une convention dans un grand hôtel chic où l’on présentait de nouveaux programmes, au tout début de la diffusion de Twin Peaks, donc. Elle s’y est rendue avec son mari dans leur vieille Volvo, et dès qu’ils se sont garés devant l’hôtel, les flashs des appareils photos se sont mis en route et elle s’est dit "Oh, nous aurions dû laver la voiture !" A partir de ce moment, l’actrice a dû sortir de chez elle "mieux habillée" et "faire un shampooing avant de partir de la maison".
Vie et mort d'une grande série de deux saisons
Twin Peaks atteint vite le statut de série culte, bien que ce n’était pas vraiment prévu : "On n’aurait jamais pensé que ça arrive. On a seulement fait cette série dont David Lynch rêvait depuis des années." Avec le recul, Catherine E. Coulson explique ce succès par différents facteurs. "J’ai le sentiment que c’est parce qu’on n’avait jamais vu de la télévision comme ça avant." Et si la série continue de fasciner et qu’on remarque qu’une nouvelle génération de fans est en place, elle pense que c’est dû à la "qualité intemporelle du travail de David Lynch" et à l’universalité des personnages, on connaîtrait tous des gens comme dans Twin Peaks. "C’est sur la face cachée d’une petite ville que tout le monde connaît mais dont personne ne parle. C’est, je crois, quelque chose que nous avons tous en commun. Il y avait des personnages étranges, mais pas trop. Juste assez. Et puis, ça a marché aussi parce qu’il y avait plein de jolies filles dans la série !"
Pourtant, au bout de deux saisons, la série n’est pas reprogrammée et s’arrête. Twin Peaks serait peut être allée trop loin pour l’Amérique puritaine, même si de nos jours, cela ne choquerait plus tellement. La chaîne avait déjà changé depuis quelque temps le jour de diffusion, le passant du dimanche au samedi, afin que les gens l’aient un peu oubliée pendant le week end et n’en discutent pas trop le lundi. Mais cette fin brutale est peut être pour le mieux, admet la log lady, car le programme commençait à s’essouffler. "David voulait juste faire une mini série. Il voulait faire huit ou dix épisodes tout au plus. Mais comme ça marchait si bien, on l’a convaincu d’en faire plus. Mais il était en train de travailler sur Wild At Heart, donc il a laissé les autres producteurs prendre en main l’écriture. Il dit qu’il se sent mal à propos de ça, de ne pas être resté un peu plus longtemps. Les nouveaux auteurs ont amené de nouveaux personnages qui n’étaient pas forcément intéressants d’un point de vue narratif. Et oui, il y avait aussi un peu de meurtres et de viol. Mais je pense que c’est vraiment une question de narration. Quand l’histoire a perdu David Lynch et son imagination, c’est là où elle a perdu de son intérêt. Bien que j’ai revu la saison deux récemment et je me suis dit qu’il y avait vraiment des intrigues secondaires très intéressantes."
David Lynch a fait une dernière œuvre sur Twin Peaks, le film discutable Fire Walk With Me, puis plus rien. Depuis, les fans se repassent les trente épisodes en boucle, en attendant une éventuelle réunion du casting. Des rumeurs à ce sujet circulent régulièrement, mais rien de concret n’est arrivé, si ce n’est un épisode de la série Psych intitulé "Dual Spires" (vous avez saisi ?), faisant directement référence à Twin Peaks et avec quelques uns des acteurs au générique, dont notre log lady qui a des petits-enfants. Comme Psych n’avait pas le droit d’utiliser les noms originaux, Catherine Coulson a été renommée en "Wood’s Woman". Quoi qu’il en soit, les retrouvailles ne sont pas au programme, mais si jamais cela arrive, l’actrice le promet, nous serons mis au courant."
Pour le moment, le réalisateur est très occupé à Paris par ses lithogravures, son bébé qu’il a eu l’année dernière, Lulu, et son appartement "qu’il adore". Quand Coulson lui a demandé s’il avait quelque chose à dire à ses fans à Anvers, il lui a dit "Oui, j’adore l’odeur de l’encre de l’imprimante". Merci. C’est bien sympa, et on a aussi apprécié son album sorti en 2011, Crazy Clown Time, mais c’est quand même derrière une caméra qu’on le préfère, même si on ne comprend jamais vraiment ce que ses films veulent dire. C’est normal. Sa vieille amie Catherine Coulson non plus : "Je ne pense pas qu’on est censé les comprendre. Il faut juste se laisser aller dedans. C'est son idée. Il n’aime pas vraiment parler de pourquoi il a fait telle ou telle chose. Le seul aspect dont on parle vraiment est l’histoire du personnage. Il est vraiment très doué pour développer ses personnages. On a créé l’histoire du mari de la femme à la bûche qui est mort dans un incendie, et de comment elle ne pouvait pas supporter que quelqu’un fume autour d’elle. Pas parce qu’elle désapprouve la cigarette, mais à cause du risque d’incendie. Ce genre de choses. Mais d’une façon plus générale, il n’aime pas parler de ses films. Je pense qu’il sait d’une façon intuitive. Et c’est ça aussi qui plait. On interprète le film comme nous le voulons. Et on en fait notre œuvre, l’histoire que l’on veut entendre."
Quant à la bûche, à la fin du tournage de Twin Peaks, David Lynch a insisté pour que Catherine la garde. "Oui, je suis en possession de la bûche. Mais je ne peux vous dire où elle est. Elle est dans un endroit secret et sécurisé. Elle a beaucoup séché. Quand j’ai eu la bûche pour la première fois, elle était humide et tellement lourde. C’était un vrai exercice de la tenir sur mon avant bras. Maintenant c’est plus léger, elle a séché plus que je ne le souhaitais. Mais moi aussi donc… J’aurais aimé l’apporter avec moi, mais le gouvernement américain ne rigole pas avec le fait d’embarquer des objets qui pourraient être utilisés comme des armes. Je trouve ça très insultant, la bûche ne ferait de mal à personne. Mais ils ne m’ont pas crue. Et je ne pouvais pas la mettre en soute, vous savez comment ils traitent les bagages. C’est terrible. Mais j’ai amené quelques branches à faire dédicacer." Et de conclure, dans un sourire : "Je ne pense pas vraiment que je possède la bûche, je pense que c’est la bûche qui me possède."