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Mère, Père et Manque…

Par Tobie @tobie_nathan

PrintempsPèresLa révolte des nouveaux pères

« Masculinisme » ou « hominisme » contre féminisme — voilà une problématique qui risque de flamber. La sensation qui a diffusé dans le corps social d’une injustice à l’égard des hommes est maintenant exploitée par un nouveau mouvement. Les pères seraient-ils en danger ? S’agit-il de nouveaux pères ou d’une nostalgie de pères d’un autre temps ? Il me semble plutôt que l’on est entré dans une dimension nouvelle de la parentalité où le principal n’est pas un parent ou l’autre, ou les deux, mais l’institution.

La question, bien qu’ancienne, avait été mal posée. Elle nous venait d’une sorte de psychologisme de bazar, hérité du freudisme, du genre « pour faire un enfant, il faut un père et une mère ». C’est pourtant nier l’évidence. D’abord, il ne s’agit jamais de faire simplement un enfant, mais de fabriquer un petit américain, un petit français ou un petit malien… Sitôt que la femme est enceinte, voilà que tout le monde s’y intéresse. C’est un garçon ou c’est une fille ? Et qui est le père ? Et pourquoi tout le monde a-t-il voix au chapitre, sinon parce qu’il s’agit d’une question sociale qui concerne tout le monde.

Le fait est qu’aujourd’hui, dès les premiers instants de la conception, le couple n’est pas seul. Ne serait-ce que pour les problèmes d’infertilité, environ 1 couple sur 10 recourt à une PMA — sans compter les arrêts de pilule où après trois mois sans grossesse, on court faire des examens. Et toutes les difficultés d’ordre médical… Si les kabbalistes du moyen-âge écrivaient que lorsqu’un couple fait un enfant, ils sont trois, le père, la mère et Dieu, aujourd’hui, ils sont toujours trois, mais il s’agit du père, de la mère et du docteur — ou plus exactement la médecine.

L’assistance commence dès la conception elle se poursuit, bien sûr tout au long de la grossesse, et bien après. Examens médicaux, surveillance de la mère, du couple, échographies — 4 en tout cas, souvent bien davantage. Examens bien plus intrusifs, amniocentèse, parfois. Le troisième terme est toujours présent. Et puis lorsqu’il se pose un problème d’éducation, de maltraitance, une maladie mentale de l’un des deux parents, par exemple, la plupart du temps, surtout lorsqu’il s’agit des classes populaires, arrive aussitôt le signalement au juge des enfants, les mesures d’assistance éducative, le placement de l’enfant… Nous avons donc bien le père et la mère, mais aussi la médecine (qui a toujours des raisons d’intervenir) et l’Etat, par l’intermédiaire des structures de surveillance, de soutien, mais aussi d’intervention. Parce que, dès qu’il est apparu, l’enfant n’est pas le fils d’un tel et d’une telle, mais il est un sujet de droit.

Exemple :

Une famille congolaise qui a connu de graves déboires au moment de son arrivée et dont l’intervention des services sociaux a conduit au placement de leur premier enfant à « l’Aide Sociale à l’Enfance », a eu un second enfant trois ans plus tard. Devant l’officier d’état civil chargé d’enregistrer le nom de l’enfant, ébahi, le père a déclaré qu’il souhaitait nommer son fils : « droits de l’homme – liberté ». Les tracas subis par sa famille depuis son arrivée en France, et notamment durant la dernière grossesse de sa femme, l’avaient conduit à conclure que tel était le nom du nouvel enfant, puisque les services sociaux n’avaient pas respecté, à ses yeux, ses droits et sa liberté. Du point de vue strictement culturel, le père appliquait une règle de nomination de l’enfant conforme aux habitudes culturelles de son groupe d’appartenance. Car il est vrai que les Bakongo nomment l’enfant à partir des événements survenus durant la grossesse. Durant toute la grossesse, le père estimait qu’on ne respectait pas ses droits. Il considérait respecter sa coutume de nommer son enfant à partir de cette souffrance singulière. On a, bien entendu, interdit au père de nommer ainsi son enfant. On l’a menacé de le placer s’il ne renonçait pas à ce prénom …[1]

Cet exemple montre bien que le père n’est pas le référent de l’enfant — pas plus que la mère, d’ailleurs parce que, dans les pays modernes, un enfant est un sujet de droit dès sa naissance, bien sûr, mais bien avant, comme on le discute sans cesse… et qu’il existe, naturellement, une série d’instances désignées pour faire valoir ses droits.

La nomination de l’enfant est un très bon repère pour identifier le référent de l’enfant. Dans la tradition arabe ancienne, le nom du père changeait à la naissance de son premier garçon. C’est l’origine de tous ces noms tels que abou abdallâh, par exemple — « père d’Abdallah ». Avant cela, l’homme s’appelait peut-être Tewfik, mais il lui est né un garçon, Abdallah, précisément, et voilà son nom qui a changé… Ainsi, le père est-il institutionnellement modifié par la naissance de son garçon. Là, le père existe, non pas pour des raisons psychologiques obscures, mais parce que la règle de son groupe implique qu’il le soit.

L’institution prend toute la place — elle en prendra de plus en plus. Elle est déjà toute puissante pour les adoptions, pour l’autorisation d’une grossesse à un couple gay. Elle sera totalement maîtresse des événements lorsque l’utérus artificiel sera fonctionnel.

H.Atlan
UA

Henri Atlan, biologiste et philosophe, y a consacré un petit bouquin saisissant intitulé  L’utérus artificiel[2], dans lequel il prédit l’avènement, d’ici une cinquantaine d’années, des grossesses totalement in vitro.

Il y rend compte des recherches menées par Helen Hung Ching Liu et son équipe de l’université de Cornell qui travaillent à réaliser un projet qui ressemble en tous points au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley — c’est-à-dire la gestation complète de l’enfant in vitro. Selon Henri Atlan, on ne peut évaluer précisément  les délais de mise en œuvre de cette machine à enfanter : 10 ans, 50 ou 100 ans. Mais le développement d’une telle machine serait inéluctable.

À ce moment, plus de père, mais plus de mère non plus…

Réaliste, Atlan ajoute : pendant une période relativement courte, l’utérus artificiel sera justifié par des raisons thérapeutiques. Mais, très vite, la gestation extracorporelle, parce qu’elle est bien plus commode, parce qu’elle n’entrave pas les règles sociales de contraintes anatomiques, deviendra la norme.

Certes cette situation est encore de la science-fiction. Quand réalisera-t-on un tel utérus artificiel ? Dans 10, 50 ou 100 ans ? Nul ne le sait. Mais l’idée est bien là et constitue une ligne de force de notre rapport à la parentalité — ce vers quoi elle tend — une ligne de fuite.

Dès lors, père et mère n’ont plus véritablement le même sens. À partir du moment où le véritable propriétaire des enfants est l’état, qui les met à disposition des familles et risque de les reprendre à la première alerte, il est normal que les membres du groupe familial deviennent des  sujets de droit, tous à égalité, puisque tous citoyens. L’ambiance y est sans doute plus « cool », mais il ne faudra pas demander à l’un des membres de la famille d’exercer une autorité. Puisque nul dans cette famille ne sera véritablement l’auteur…


[1] Ce cas, nullement imaginaire, mais suffisamment transformé pour interdire son identification, est rapporté en détail dans T. Nathan, À qui j’appartiens. Écrits sur la psychothérapie, sur la guerre et sur la paix. Paris, Le Seuil, 2007.

[2] Paris, Points Seuil, 2007.



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