Nous somme tous conditionnés par rapport à certaines croyances, certains postulats qui sont utiles à l'action humaine. Bien que la plupart de nos représentations soient construites, et que la raison humaine soit limitée, nous choisissons de lui faire confiance malgré tout. Il y a une multiplicité de points de vue, mais certains sont meilleurs que d'autres, par rapport à leur objet. Si cet objet est lié aux valeurs, c'est exactement la même chose. Cette thèse s'appelle le perspectivisme.
Comme l'expression l'indique, le "point de vue" est la position que l'on adopte pour voir. Cela sous-entend plusieurs choses :
On ne voit pas la même chose selon que l'on adopte un point de vue ou un autre. Par exemple, si vous regardez la mer d'une montagne, ou si vous allez tremper les pieds dedans, vous ne verrez pas les mêmes détails, le même mouvement, etc. Si vous êtes dans la forêt, ou que vous regardez celle-ci d'un hélicoptère, vous ne verrez pas du tout la même chose.
Cela signifie que d'un seul point de vue, on ne peut pas tout voir. Si l'on regarde un visage de face ou de profil, on n'a pas les mêmes détails : il faut pouvoir en observer l'ensemble, et donc changer de point de vue. Aucun homme n'a de point de vue omniscient. C'est la thèse de la finitude de la raison humaine.
D'ores et déjà, on peut dire qu'il y a des points de vue "meilleurs" que d'autres, en fonction de ce que l'on regarde et éventuellement d'une finalité pratique. Prenons la métaphore de la lunette: pour regarder les étoiles, il peut être utile de se servir d'un téléscope. Par contre, pour observer des cellules, un téléscope ou l'oeil nu ne suffisent pas : on a besoin d'un microscope. En bref, selon ce que l'on veut regarder, il existe des points de vue plus pertinents que d'autres. Il faut noter que chaque point de vue possède une zone de pertinence. Pour reprendre l'exemple du tableau, on attend en général plus souvent le point de vue artistique que celui qui n'observe que le matériau. On peut grosso modo relier les points de vue à des zones de pertinence (limitées), à des domaines du savoir.
Parlons donc du point de vue qui se veut "critique" ; celui qui précisément est l'épistémologie, c'est-à-dire : le point de vue sur les points de vue, le meta point de vue. L'épistémologie, la recherche de la connaissance valide, est en ce sens la science ou l'étude des points de vue. Nous pouvons nous demander plus précisément quels sont les critères de ce point de vue. En effet, si le point de vue est une position de départ, en fonction d'un objet, il est utile de savoir quelles positions sont à rejeter ou à prôner pour "bien" voir.
Sans doute l'erreur de ceux qui se veulent "critiques" consiste à adopter un point de vue qui se différencie d'autres points de vue qu'il rejette. Donnons directement l'illustration parfaite, en politique, où l'on confond en fait point de vue et identité : les gens s'identifient à leur point de vue, et rejettent l'autre (l'altérité) simplement parce qu'il porte une autre étiquette, alors qu'au fond, ils pensent peut-être pareil. Du moins, fort probablement, leurs points de vue pourraient opérer ensemble une synthèse. En général, ceux de droite rejettent ceux de gauche - et vice versa - pour des raisons d'identité et non d'idées. Ils se disent critiques, mais ne parviennent justement pas à prendre la distance nécessaire : ils ne font que rejeter, et nient donc l'existence de choses qu'ils ne voient pas. C'est une attitude bornée et ridicule, agissant avec des oeillères.
Il existe donc principalement un type de point de vue qu'il faut rejeter : celui qui rejette des points de vue.
En bref, le point de vue qui opte pour le rejet, la destruction et la haine est celui qu'il faut rejeter. Ici vient l'extension promise aux cultures. Tous les points de vue ne se valent pas : certains voient beaucoup moins certaines choses que d'autres et en plus, certains ne permettent pas de rendre compte des autres points de vue. Une culture qui ne propose qu'un point de vue par rapport aux valeurs, tout en rejetant les autres procède d'un dogme, à rejeter (surtout lorsqu'il est question de haine). Une culture qui ne permettrait pas d'adopter tout point de vue qui ne rejette pas les autres est mauvaise. Enfin, meilleure est la culture qui permet de synthétiser les points de vue, au lieu de les faire lutter les uns contre les autres (il en est de même pour les idéologies : est-il vraiment impossible de faire de l'économique sans faire du social ?