Cinéaste français talentueux et mondialement reconnu depuis son désormais célèbre « Eternal Sunshine of the spotless mind », oscarisé en 2005 et classé depuis parmi les chefs d’œuvre de la comédie dramatique, Michel Gondry revient ici avec un projet non moins surprenant et tout aussi farfelu : celui d’adapter sur grand écran l’œuvre « vraie puisque imaginée » de Boris Vian.
Étudié sur les bancs de l’école, fièrement posé dans la bibliothèque familiale, ouvert puis reposé sur la table de chevet, « L’écume des jours » fait partie de ses romans incontournables et atemporels qui ont accompagné et accompagnent toujours nombre d’adolescents dans leur éducation sentimentale. Relatant de la fatalité et de l’Amour, le roman de Vian compte l’histoire de Colin (ici interprété par Romain Duris), jeune parisien possédant « une fortune suffisante pour vivre convenablement sans travailler pour les autres », de Chick (Gad Elmaleh) , son meilleur ami, ingénieur et fan de Jean-Sol Partre, et de Nicolas (Omar Sy), son cuisinier et confident. Le jour où Colin apprend que Chick et Nicolas ne sont plus célibataires, il « exige » lui aussi « de tomber amoureux ». C’est chose faite quand il rencontre Chloé (Audrey Tautou) lors d’une fête. Hélas l’idylle de nos jeunes mariés prend un goût amer lorsque, quelques jours à peine après leur mariage, Chloé apprend qu’elle est malade d’un nénuphar qui se développe dans son poumon droit…
Si l’on a tous en tête l’histoire de « L’écume des jours », le problème qui se pose réside bel et bien dans le fait qu’avec l’histoire, on avait des images, toutes plus délurées les unes que les autres, tant l’imagination débordante de Vian a nourri le roman d’inventions en tous genres et de décors fantastiques. Comment alors ne pas appréhender la violation de notre esprit par l’adaptation sur grand écran que nous propose Gondry ? A cela, je vous réponds « N’ayez crainte! » car Gondry a trouvé le parfait équilibre entre respect de l’œuvre originale et apport d’effets personnels. En effet, il s’agit bien ici, non pas d’une simple adaptation du papier à l’écran, mais bel et bien d’une réappropriation de l’œuvre de Boris Vian par Michel Gondry. C’est d’ailleurs ici que réside la clé de succès du film : Gondry réussit à se réapproprier ce monument de la littérature française et en plus il lui rend hommage en filmant cette salle où les dactylographes tapent le texte du roman à la chaîne, afin de se rappeler, de nous rappeler, que le livre était là avant et qu’il sera là après. Le livre transcende le film, l’histoire est déjà écrite, voilà de quoi nourrir encore un peu plus le sentiment de fatalisme qui pèse sur le destin de nos personnages.
Si la fatalité du destin de Chloé et Colin est déjà connue, il n’en demeure pas moins que Gondry parvient à nous enchanter, à nous émerveiller en nous emmenant avec lui dans son univers fantastique et poétique. Toutes les inventions loufoques décrites à la précision par Boris Vian sont incroyablement portées à l’écran par Gondry, qu’il s’agisse du « pianocktail » ou de l’« arrache-cœur ». Car s’il est un don que Michel Gondry possède, c’est celui de faire parler les objets et de les mettre en scène aux côtés des acteurs du film. Le résultat est un univers poétique où la limite entre le réel et l’imaginaire n’est jamais totalement définie et ce, d’autant moins que les nombreux effets du film sont d’avantage mécaniques que numériques, à l’instar de ce moment magique où Chloé et Colin s’envolent au-dessus des Halles dans un nuage suspendu à une grue. Si le réalisateur laisse planer le doute quant à ce qui relève du réel ou de l’imaginaire, il en est de même pour l’époque puisqu’on est la fois dans un décorum des années 50 et dans le Paris tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Loin de n’être qu’un simple roman d’amour, « L’écume des jours » est une œuvre sociétale où Boris Vian n’hésite pas, à travers la métaphore et la caricature, à pointer du doigt certains fléaux de nos sociétés modernes tels que la déshumanisation du travail, la maladie, la monétisation de la religion ou encore les dérives de la star système. Gondry a pris assez de recul sur le roman pour retranscrire ces thématiques, mais toujours dans un langage qui lui est propre.
Passé le temps des copains, le temps de l’amour et du « Biglemoi », le film prend une tournure beaucoup plus tragique dans sa deuxième partie. Tragique certes, mais non pas moins fantastique et poétique puisque à mesure que le nénuphar croît dans le poumon de Chloé, Gondry fait à merveille se rétrécir la maison, se resserrer les murs et s’estomper la lumière. Le coup de génie réside dans l’assombrissement progressif des lumières et couleurs au fur et à mesure que le film avance, jusqu’à sa fin tragique et sublime en noir et blanc.
Joli film donc autant clip que poétique dont on ressort le cœur empli de rêve et de mélancolie.
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