Mais pour un lecteur non familier de cette œuvre, cet ouvrage est surtout
l’occasion de revoir (éventuellement) son jugement sur Jacob. Indéniablement,
c’est une œuvre très singulière, forte, qui ouvre des voies distinctes de
celles du surréalisme ou d’Apollinaire, Reverdy, Cendrars…
Est-ce à dire que c’est une œuvre encore décisive, pour moi, maintenant, comme
peuvent l’être les premiers livres de Reverdy ? Force est de répondre non.
Et je crois, relisant Le Cornet à dés
que ma réserve tient à ce qui pourrait faire l’adhésion d’un autre lecteur, ou
en tout cas ce qui fait l’importance historique de cette œuvre, son caractère
unique. Jacob use de sa maîtrise technique pour mêler sérieux et dérision,
fantaisie et humour, pur jeu sonore, absurde… Je le vois comme un maître du
farfelu, ce qui n’exclut au bout ni la mystique ni le tragique, mais en passant
par des voies si étranges qu’elles me deviennent peu pénétrables. Autrement
dit, et pour être un peu polémique puisque cette période 1910-1920 l’était
diablement, je retournerais contre Jacob ces deux formules sans concession de
l’Art poétique : « Les
auteurs qui se font obscurs pour forcer l’estime obtiennent ce qu’ils veulent
et pas autre chose. » (p.1348), ou « Si bien écrit, si bien écrit
qu’il n’en reste plus rien. »(p.1355)
Voilà qui, en bonne logique jacobienne, devrait inciter tout lecteur à se
précipiter sur ce « quarto » pour se faire sa propre opinion sur
cette œuvre attachante autant qu’épineuse, trop peu maniable pour être facile,
mais certainement risquée, tout autant que certaines œuvres expérimentales
d’aujourd’hui. En ce sens, Jacob a gagné : à cent ans de distance, il
reste « moderne ».
[Antoine Emaz]
Max Jacob, Œuvres, Editions Gallimard, collection Quarto, 1824 pages, 29,50€