Dans le monde occidental riche, la plupart des produits achetés viennent des confins de la planète, fabriqués par des gens que nous ne connaissons pas, grâce à des inputs dont nous sommes ignorants. L’augmentation du nombre et de la variété de produits de consommation nous donne un éventail de choix qui ne pourrait que donner le vertige aux générations précédentes. Et la technologie nous permet de vivre à une telle vitesse que même les deux secondes supplémentaires d’une connexion lente de smartphone nous semblent une éternité. Mais alors que le monde devient plus complexe et que la vie semble aller plus vite, des voix s’élèvent pour nous dire de vivre simplement, localement et lentement.
Face à ces voix, je veux défendre le monde complexe, global et rapide dans lequel nous vivons. Ce monde, que beaucoup semblent vouloir rejeter, est un sous-produit de ces mêmes processus économiques qui nous permettent de vivre en meilleure santé, plus longtemps et plus riches.
Les appels à une vie simple et locale invoquent une sorte de romantisme du passé qui est très caractéristique de la critique du capitalisme. Un récent festival du « vivre simple » dans ma région aux USA encourageait les gens à redécouvrir les compétences que nous avons perdues dans cette ère mécanisée. Les participants s’adonnaient à la coupe du bois, au labourage et bien d’autres labeurs dans lesquels l’énergie humaine a été largement remplacée par des machines. On nous dit souvent que nous avons perdu le contact avec notre moi « réel » et avec cette force de caractère forgés par le difficile travail manuel.
Bien sûr, cet argument omet trop souvent que cette période célébrée de l’histoire humaine signifiait également des journées de travail incroyablement longues en extérieur, quelle que fut la météo, peu de nourriture, une médecine quasi inexistante et une espérance de vie très réduite en comparaison avec aujourd’hui, sans parler d’une mortalité infantile extrêmement élevée. La vie à la ferme n’était pas exactement remplie de jours paisibles de travail moyennement dur et de repas fraîchement préparés. Préparer à manger s’avérait être un cauchemar, la nourriture était rare, le chauffage était très limité et les maladies endémiques. Les foules qui se pressent pour célébrer le « vivre simple » ne peuvent pas avoir le beurre et l’argent du beurre : nous ne pouvons pas tous vivre « local, simple, et lentement » et bénéficier en même temps de la qualité de vie et de la longévité que nous connaissons aujourd’hui.
Mais, disent les critiques, les gens avaient alors l’habitude d’être autonomes. N’est-ce pas une bonne chose? Pas vraiment. L’autonomie, toutes choses égales par ailleurs, peut être souhaitable. Mais toutes choses ne sont pas égales par ailleurs. Le monde de l’autosuffisance est un monde dans lequel nous sacrifions la spécialisation fondée l’avantage comparatif et perdons les gains de l’échange que cette division du travail rend possibles.
Il est vrai qu’en occident « riche » nous achetons de plus en plus ce dont nous avons besoin et le faisons de moins en moins nous-mêmes. Cependant, grâce à une économie mondiale complexe, nous sommes en mesure d’amener les autres à faire bien davantage pour nous que ce que nous ne pourrions jamais faire nous-mêmes. Il est assez ironique que les critiques du capitalisme, qui accusent souvent les défenseurs du marché de désirer un monde d’individus atomisés et indépendants, se plaignent désormais que les marchés sapent l’autonomie ! En fait, les marchés constituent le plus grand vecteur de coopération sociale que les hommes aient jamais découvert. Le monde de la spécialisation et de l’échange global signifie que tout ce que nous échangeons est le fruit d’une coopération entre des millions de producteurs. Comme Leonard Read nous l’a expliqué il y a de cela des décennies, même un simple crayon est le produit d’une vaste coopération sociale, et, au surplus, entre étrangers !
Le monde complexe et rapide de l’économie mondialisée a intégré les étrangers de près de 200 pays, des dizaines d’ethnies et des générations différentes dans un réseau de coopération et de dépendance mutuelle beaucoup plus vaste et qui améliore bien plus nos vies que tout ce dont les critiques socialistes du marché pourraient jamais avoir rêvé. Plutôt que de célébrer les manières dont le marché tisse cette toile, les critiques de l’atomisme offrent une version romantique de ce même atomisme mais sous la forme de la pauvreté induite par l’autonomie, typique de ce monde lent, simple et local.
Ces tentatives de la part de riches occidentaux de vivre comme leurs ancêtres vraisemblablement plus éclairés ne pourront jamais dépasser le fait de « jouer à faire semblant ». Même dans la merveilleuse série de la BBC « 1900 House » (Maison de 1900), dans laquelle une famille britannique de 1999 a vécu pendant plusieurs mois comme s’ils étaient en 1900, on disposait de matériel d’incendie moderne et des services médicaux modernes en cas d’urgence. Cette petite tricherie est très révélatrice.
En résumé, nous sommes assez riches pour jouer à être pauvres. Le marché a donné à l’occident une telle abondance de richesses que nous avons oublié la laideur de la vraie pauvreté et de la vraie autonomie, que nous ne pouvons que reconstituer sous une forme romancée, comme étant une activité de loisir amusante. En fin de comptes, les célébrations du « vivre local, simple et lentement », romancent la pauvreté, la mort et la misère dont l’homme a réchappé grâce aux institutions du marché. Célébrons donc plutôt la richesse, la santé et la longévité du marché « rapide, complexe et global », avec un bon vin d’Argentine et du fromage de France, dont nos parents n’ont jamais entendu parler, en nous prélassant dans une chaise de Chine posée sur un tapis d’Inde - et annonçons-le au monde en une microseconde en utilisant notre smartphone coréen.
Steven Horwitz est professeur d’économie à la St Lawrence University aux USA. Le 3 mai 2013. Article paru initialement en anglais sur le site de la Future of Freedom Foundation.