Le baccalauréat est un rite initiatique au prix exorbitant et au coût désastreux pour l’éducation.
Par Jean-Baptiste Noé.
Commençons par quelques préliminaires, pour éviter de dévaloriser le baccalauréat un peu trop vite. Le bac est utile, il est même indispensable, car sans lui il est impossible de poursuivre ses études dans le supérieur (j’excepte cela des filières particulières qui prennent des élèves, même sans le bac). Même si son niveau a baissé, le bac reste un examen exigeant. Nul n’est certain de l’avoir, pour les plus faibles, et nul n’est certain de l’avoir avec une mention, pour les meilleurs. C’est donc une erreur que de négliger sa préparation.
Ceci posé, nous pouvons nous interroger sur la pertinence du maintien de cette épreuve. Créé en 1808, le bac fut, pendant très longtemps, réservé à une élite. À partir des années 1960 de plus en plus de jeunes Français l’ont présenté, du fait de l’accroissement démographique, et de la volonté nationale de faire obtenir ce diplôme à une frange plus large de la population. Aujourd’hui, entre les bacs professionnels, technologiques et généraux, la réussite est de 85,6% en 2010. L’évolution de cette réussite est forte entre 1980 et 2010, comme le montrent les chiffes ci-dessous :
Taux de réussite au bac général : 1980 : 65,9% 1990 : 75,1% 2000 : 79,9% 2010 : 87,3%
Taux de réussite général au bac (général, professionnel, technologique) 1980 : 63,9% 1990 : 73,1% 2000 : 79,5% 2010 : 85,6%
(Source : Repères et références statistiques de l’Éducation Nationale, 2011, p. 238)
Toutefois, l’objectif de 80% d’une classe d’âge obtenant le bac n’a pas été atteint.
Évolution de la proportion de bacheliers dans une génération (tous bacs confondus) 1970 : 20,1% 1980 : 25,9% 1990 : 43,5% 2000 : 62,8% 2010 : 65,7%
(Source : Repères et références statistiques de l’Éducation Nationale, 2011, p. 242)
Le devenir de ces presque 35% de jeunes n’ayant pu obtenir le bac est par ailleurs quelque chose de préoccupant. Mais, pour revenir à ceux qui arrivent en lycée, c’est 93% des Terminales qui obtiennent le bac après redoublement. Ces chiffres sont à mettre en regard de l’organisation colossale que représente le passage du bac. Les lycées de France sont mobilisés tous les mois de juin pour cet examen. Ni les Premières ni les Terminales n’ont de cours durant ce mois-là, les Secondes arrêtent les cours vers la mi-juin. Le bac fait donc perdre 3,5 mois de cours sur les trois ans du lycée. Le coût d’organisation de cet examen est estimé à 200 millions d’euros annuels (frais directs et indirects, d’après Jacques Marseille, La guerre des deux France).
200 millions d’euros dépensés, 3,5 mois de cours perdus, pour faire échouer 7% de Terminales. Mais il y a plus absurde. Certes le bac est la clef indispensable pour entrer dans le supérieur mais, au moment où débutent les épreuves, la quasi-totalité des bacheliers a validé son inscription pour la rentrée suivante. Les inscriptions dans le supérieur se font via le processus APB (Admission Post Bac) dont le serveur est ouvert du mois de janvier au mois de mars de l’année de Terminale. Les admissions définitives sont connues vers le mois de mai. C’est-à-dire que les écoles et les universités n’attendent pas les résultats du bac pour recruter les lycéens, mais qu’elles examinent les bulletins de Premières et de début de Terminale, et que cela leur suffit. Dans ces conditions, à quoi bon faire passer l’examen du bac puisque les jeux sont déjà faits ? Seuls quelques malheureux, admis dans une école, sous condition d’obtenir le bac, ne pourront y aller parce qu’ils auront échoué. Ils devront donc refaire une année de Terminale pour entrer dans l’école qui les avait admis. Que de temps et d’argent perdus.
Ces conditions réelles d’admission et de réussite au bac entrainent deux attitudes néfastes. La première c’est que beaucoup d’élèves, sachant que l’année de Terminale se finit au mois de mars, font de gros efforts en début d’année et les arrêtent à la fin du deuxième trimestre. Qui peut vraiment leur en vouloir ? À quoi bon continuer à courir vite puisque la course postbac est finie, et que la course bac est facilement gagnable. L’autre conséquence, plus néfaste encore, c’est que les lycées font de l’année de Terminale une année de bachotage, exclusivement tournée vers la réussite à l’examen. L’intelligence y perd ce que le bachotage y gagne. Alors que l’on devrait approfondir des points importants, peaufiner la préparation pour le supérieur, prendre le temps de réfléchir et de former des esprits, l’année de Terminale ressemble souvent à une course contre la montre pour boucler un programme, au mépris de la réflexion intellectuelle et de l’assimilation. C’est presque une année de gâchée.
Compte tenu des taux importants de réussite, obtenus par l’abaissement des exigences. Compte tenu du coût mirobolant de cette épreuve. Compte tenu du fait que tout est joué avant que ne s’ouvre le bac ; à quoi bon maintenir cet examen ? Même ceux qui ont échoué peuvent accéder à des formations dans le supérieur. Nombreuses sont les écoles qui acceptent des non-bacheliers, et les concours de catégorie C de la fonction publique sont également possibles. Alors oui, à quoi bon ? On dira que le bac est un rite initiatique, comme le service militaire en son temps. C’est vrai, et c’est la seule vraie utilité du bac. Mais un rite initiatique au prix exorbitant et au coût désastreux pour l’éducation. On pourrait en imaginer d’autres, comme une remise de diplôme par les établissements à la fin du lycée, ou une cérémonie d’entrée dans les écoles, au début des études.
La suppression du bac aurait en outre l’immense avantage de faciliter la réforme du lycée. Celle-ci peut se faire selon deux axes.
1/ La refonte de la série générale autour de deux sections : une section sciences humaines et une section sciences expérimentales. La filière générale ne devrait concerner qu’environ 30% des lycéens (52% des admis en 2010). 2/ La fusion des séries professionnelles et technologiques en une seule série professionnelle, qui regrouperait environ 70% des lycéens (48% des admis en 2010). Il pourrait y avoir une orientation vers cette voie dès la Quatrième, et en Seconde pour ceux qui auraient fait un collège général.
Ce serait ainsi la fin du collège unique. La fin surtout de l’emprisonnement de nombreux jeunes dans des filières qui ne leur conviennent pas, ce qui les condamne à l’échec et donc à la mésestime de soi. On y gagnerait en baisse de la violence et en consommation de drogue. On pourrait ensuite relever le niveau de la filière générale, afin de permettre aux élèves doués de capacités de réflexions abstraites et intellectuelles d’exploiter leurs talents.
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