Les stances de Philippe Leignel ont quelque chose de grec, ne serait-ce que par le thème de la mort associé à celui de l'amour:
"Car la mort dont je rêve est enclose au déduit."
Le déduit n'aboutit-il pas à la petite mort et n'est-elle pas la répétition de la grande avant que cette dernière n'entre en
scène pour la dernière représentation?
Ces stances de poète s'adressent à une femme imaginaire, devenue sa muse par la vertu du songe.
Le poète ne la nomme qu'une fois. Elle s'appelle Lyssia:
"Mais j'épelle ton nom sur la mort qui reflue
et le silence se défait."
Elle l'inspire donc. Grâce à elle, il rompt le silence et les mots sortant du chaos s'ordonnent comme les notes d'une musique lui ouvrant un nouvel espace où il peut songer librement.
La mer, avec ses vagues, ses oiseaux, lui offre un décor insigne:
"Des goélands mouraient dans l'écume;
j'étais parti pour ne plus revenir
et par l'absence de tes mains,
plus mortes d'être en vie
je comprenais enfin
la mer."
Cette muse, fruit de son imagination, est sa lumière, en dehors de laquelle il meurt, dans l'ombre de laquelle il veut bien mourir:
"La mort est cette joie dont ta bouche m'enivre."
Il suffirait donc d'un mot d'elle, d'un ordre d'elle pour que son songe de mort devienne réalité. En attendant ce songe est fou, mais il le transforme par l'alchimie des mots:
"Tout ce délire, je l'écris."
Ce songe est prémonitoire:
"J'étais mort à tes pieds, toi, étendue vers la mer
et ses navires de solitude."
Il rejoindrait l'Erèbe:
"Le soleil allait luire.
Et je ne serai plus."
Les stances portent deux numéros:
"La numérotation hésite à descendre ou à remonter le temps de la lecture, comme un chiffre en vertige.", dit Philippe Leignel dans le prélude.
Il faut donc se laisser bercer par la musique des mots, sans souci de chronologie. D'autant que, dans ces stances, le poète a voulu récolter et rassembler comme les pièces d'un puzzle, des "éclats de verre au sol, après le passage de l'éclair".
Ce faisant, le lecteur a l'assurance de faire un voyage onirique où les images se mêlent et ne se comprennent qu'une fois le recueil refermé, se mettant alors en place dans son esprit.
Francis Richard
L'espace pour mourir, Philippe Leignel, 128 pages, Xenia