Ce Premier Mai 2013 était sinistre et pas seulement à cause du temps ! Il y avait aussi les tristes images de squelettiques manifestations syndicales. Du coup m’est revenu en mémoire ce qu’écrivait dans une de ses préfaces Antonio Pennachi, cet italien devenu écrivain après plus de trente années passées dans une usine d’Alcatel :
Le syndicat était encore unitaire (*) en Italie. La CGIL, la CISL et la UILI n'auraient jamais songé à signer des contrats ou des accords séparés. En réalité, il y avait déjà eu un avertissement : la «nuit de la Saint-Valentin», concernant deux points sur l'échelle des salaires, puis le référendum destiné à en abroger l'accord, promu par la composante communiste de la CGIL. J'étais dans ce camp, mais c'estlà que s'est brisée irrémédiablement l'unité syndicale. La rupture n'a pas été immédiate : les « Comités de délégués » perduraient dans les usines. Chaque atelier élisait sur un bulletin blanc un délégué qui n'était pas forcément inscrit au syndicat. Ce n'étaient donc pas les organisations singulières qui choisissaient des représentants, mais la CGIL, la CISL et la UIL qui devaient se confronter ensemble à ce Comité élu par la base. Cette démocratie directe s'appelait le « syndicat des comités »...
… Mais depuis, le syndicat n’a cessé de se diviser en Italie. La CGIL, la CISL, et la UIL ont donné l’assaut au « syndicat des comités», le seul unitaire, et chacune s'est employée à protéger sa propre organisation, concurrençant les autres pour obtenir accords, pouvoir et surtout cartes d'inscription, avec l'argent qui les accompagne. D'ailleurs, se justifier et s'alimenter est le principe de toute bureaucratie.
Or, lorsqu'un syndicat se brise, le seul à en tirer profit- en dehors des bureaucraties susdites - est le patron, non l'ouvrier ou le travailleur en général. En effet, inévitablement - c'est même une loi physique des mouvements de masse — l'un des deux segments choisit des positions de plus en plus extrémistes: «Je suis le meilleur, je ne cède jamais, suivez-moi car je suis le seul à ne pas me vendre. » Quand les autres signent un accord, ce syndicat affirme qu'on pouvait obtenir plus, que les autres sont des vendus. Et moins il signe - plus il joue le pur et dur, le seul « honnête » -, plus les autres le font.
Car - et c'est là encore une loi de la physique sociale — plus il va à gauche, plus les autres vont à droite. Ils signent tout, même à la baisse, mais ils signent, parce que si notre syndicat doit construire un consensus en criant: «Je veux davantage ! », les autres le construisent de force par le biais du pouvoir et des favoritismes de l'entreprise. «Tu veux passer d'un atelier à l'autre? Tu veux changer d'équipe?
Tu veux entrer dans une autre catégorie? Suis-moi, je te conduirai chez le chef du personnel. » Évidemment, quand vient l'heure de la signature, le chef du personnel fait signer ce qu'il veut.
Ergo, lorsque le syndicat se divise, une partie va vendre son âme au patron et l'autre au diable, c'est inévitable. Le seul à payer pour tout le monde, c'est l'ouvrier, car le patron passe au milieu des sections comme un char d'assaut. Il vous affile au rasoir.
Chambolle
(*) au début des années 80