Le Boeing 787 revient

Tout l’art consiste maintenant ŕ faire oublier l’incident des batteries
Voici le savoir-faire de Boeing en matičre de communication soumis ŕ rude épreuve : une centaine de 787 vont progressivement entrer en service dans les semaines ŕ venir, dont la moitié n’avaient pas encore été livrés. Pour l’avionneur américain, il s’agit évidemment de tout mettre en œuvre pour faire oublier au plus vite le désastre lié aux batteries lithium-ion et la mise au sol prolongée des avions qui en a résulté. Ce ne sera pas chose facile.
Chacun admet que le problčme posé était trčs technique, difficilement accessible au vulgum pecus mais diablement encombrant. D’entrée, le National Transportation Safety Board avait adopté une attitude sévčre, entérinée par la Federal Aviation Administration, les difficultés étant ŕ n’en pas douter trčs sérieuses. D’autant plus que les autorités américaines n’avaient plus retiré le certificat de navigabilité d’un avion commercial depuis les problčmes désormais lointains du Douglas DC-10. Lequel avait perdu un moteur au décollage (il s’agissait d’un appareil d’American Airlines), l’enquęte ayant rapidement montré qu’il s’agissait du résultat d’une faute lourde de maintenance.
Aujourd’hui, ŕ propos du 787, une seule question subsiste : la crédibilité du dernier-né de Boeing est-elle sérieusement entamée ? Apparemment, deux réponses parallčles sont en train de prendre corps. La premičre est celle des compagnies clientes, certes agacées, qui calculent le montant des pertes financičres liées ŕ l’affaire, mais acceptent les conditions techniques de la sortie de crise. L’autre réponse, apparemment mitigée, est celle de l’opinion publique et, en tout cas, d’une partie de celle-ci, notamment japonaise. La confiance des voyageurs a été ébranlée, dans des proportions qu’il est impossible de mesurer, et qui est susceptible de disparaître rapidement.
A vrai dire, le cas de figure est inédit. Aussi les pleines pages d’excuses qui, ŕ grands frais, s’adressent ŕ l’opinion japonaise pourraient-elles, finalement, faire plus de tort que de bien. De męme qu’on a du mal ŕ comprendre pourquoi la livraison d’un 787 d’Everett ŕ Tokyo vient de faire l’objet d’une déclaration selon laquelle le vol s’est bien passé. C’était probablement inutile et certainement maladroit, bien que la logique asiatique obéisse ŕ des rčgles qui lui sont propres.
Il est intéressant d’observer la maničre de faire de Boeing. Et plus particuličrement le choix des termes utilisés pour minimiser l’incident, de tenter de passer au plus vite ŕ autre chose. D’oů l’empressement ŕ souligner qu’avant d’ętre cloués au sol, les 50 appareils déjŕ livrés avaient totalisé 18.000 vols et transporté un bon million de passagers. Randy Tinseth, directement du marketing ultra médiatisé de Boeing Commercial Airplanes, responsable d’un blog trčs lu, du type publicité rédactionnelle, a entrepris d’énumérer avec persévérance les raisons pour lesquelles les passagers aériens aiment le 787. A n’en pas douter, dans les męmes circonstances, Airbus n’aurait pas osé adopter le męme ton.
On devine la suite. Bientôt, les mauvais souvenirs auront commencé ŕ s’estomper. Et quand viendra l’heure du bilan financier 2013, Boeing pourra continuer de positiver. Pendant la crise, ses usines de l’Etat de Washington et de Caroline du Sud ont continué ŕ produire le 787 au rythme de cinq exemplaires par mois (avant de passer bientôt ŕ 10) et les livraisons programmées pour l’ensemble de l’année respecteront ainsi le calendrier initial. Ce qui revient ŕ dire que le chiffre d’affaires atteindra le niveau prévu, encore que des pénalités plus ou moins importantes (et bien entendu secrčtes) soient réclamées par les compagnies de lancement pour compenser les conséquences des retards.
Des informations contradictoires, invérifiables, sans doute fantaisistes, circulent en effet ŕ propos des Ťvraiesť conséquences financičres de l’affaire des batteries. Le seuil de rentabilité du programme se serait dangereusement déplacé, affirment certains experts, par rapport aux calculs initiaux. Ce n’est sans doute pas faux, encore que l’on tende ŕ oublier que le 787 répond aux attentes du marché et qu’il a été vendu sur catalogue ŕ plus de 800 exemplaires. Ce ne sont donc pas des batteries construites au Japon qui pouvaient faire vaciller l’édifice. Mais le temps des interrogations n’est pas terminé pour autant.
Pierre Sparaco-AeroMorning